La musique chinoise du xxe siècle Par Bruno Deschênes
/ 9 février 2004
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Depuis le début des
années 1980, grâce à la politique moins isolationniste du gouvernement chinois,
nous découvrons une Chine ouverte et imprégnée de musique occidentale.
Régulièrement, nous pouvons entendre leurs musiciens et leurs compositeurs de
grand talent. Cet article trace un portrait très sommaire de l'évolution de la
musique contemporaine chinoise en Chine, mais aussi à Taiwan.
Chine : une musique de propagande
Le premier contact de la Chine avec la musique occidentale date de 1601 : un
jésuite italien y fait entendre une épinette. Au xviie siècle, un
compositeur italien, mis au service de l'Empereur par le pape, pouvait jouer
plusieurs et même chanter des airs chinois sur les instruments européens. Après
cette époque, la cour a pu entendre régulièrement des instruments occidentaux. À
la fin du xixe siècle, une notation basée sur les chiffres
européens a été établie pour les instruments traditionnels.
Ce n'est qu'au début du xxe siècle à Shanghai que la bourgeoisie et la classe
intellectuelle ont commencé à avoir accès à l'enseignement de la musique
européenne, grâce à l'exil de musiciens russes et juifs. C'est aussi à cette
époque qu'on voit apparaître les premiers compositeurs, dans le sens occidental
du terme, la notion de création individuelle étant traditionnellement
inexistante en Chine. Après la création de la République chinoise, en 1919, le
gouvernement commence à imposer des modes de composition calqués sur la musique
européenne.
Le piano deviendra un instrument très prisé de la bourgeoisie et des
intellectuels. À partir de 1949, le gouvernement de Mao le considère
représentatif de l'esprit capitaliste, donc bourgeois. Il doit être proscrit.
Malgré cette condamnation, l'intérêt pour le piano se maintiendra. En fait, le
piano s'avèrera fort utile. Dès les débuts du xxe siècle, le
gouvernement chinois, s'appuyant sur un principe confucéen, considérait que la
musique, et surtout le chant, était un bon moyen de rallier les masses. Pour y
parvenir, il devait créer une musique nationale. Pour rassembler le grand nombre
d'ethnies du pays, cette musique nationale devait avoir une structure
universelle. La gamme tempérée occidentale a été adoptée dans ce but. Les
mélodies collectées par les fonctionnaires du ministère de la musique ont été
réécrites en se basant sur « le piano ». Même, la plupart des instruments
traditionnels de toutes ces ethnies ont été modifiées, surtout depuis les années
1950, pour adopter l'accord tempéré. Par exemple, la fabrication du zheng
(cithare sur table) et du pipa (luth) a été modifiée pour qu'ils puissent
rivaliser en intensité avec les instruments occidentaux.
On voit aussi poindre des
orchestres de type occidentaux. Jusqu'au début des années 1980, les compositeurs
devaient se plier aux consignes révolutionnaires et participer à la création de
cette musique nationale. Similairement, à Taiwan, on entend alors des mélodies
pentatoniques typiques, accompagnées d'une orchestration à l'européenne de
l'époque romantique.
La révolution culturelle,
dirigée par la femme de Mao, Jiang Qing, est un des grands bouleversements de
l'histoire récente de la Chine. Jiang Qing désirait créer des oeuvres modèles
pour la musique et les arts de la scène. Elle dénombrait 8 de ces modèles, alors
qu'en réalité, il y en a eu 18. Toute la musique nationale a dû se conformer à
ces modèles hybrides grandement influencés par la musique occidentale.
Ce sera à la fin de cette
prétendue révolution, en 1976, que la musique occidentale prendra tout son essor
en Chine. Étonnamment, ces oeuvres modèles n'ont pas été ignorées pour autant.
Elles influencent encore aujourd'hui bon nombre de compositeurs, et même ceux de
musique populaire et rock.
Depuis le début des années 1980, on peut entendre en Occident un grand nombre
de compositeurs et de musiciens de la Chine populaire, y compris des musiciens
traditionnels. Toutefois, une grande proportion d'entre eux émigrent en
Occident, surtout aux États-Unis (citons, par exemple, la merveilleuse
interprète du pipa, Liu Fang, maintenant résidente de Montréal). Parmi les
compositeurs, le plus connu est Tan Dun (voir l'encadré à la page
suivante). Le style d'écriture
de la plupart des compositeurs chinois d'aujourd'hui se résume ainsi : une
musique hybride, fusion de musique traditionnelle et de musique occidentale.
Certains, comme Tan Dun, « recontextualisent » ces musiques, d'autres, tout
simplement, les réarrangent, le tout dans un but de « modernisation », un terme
qui dissimule en réalité l'occidentalisation de la musique moderne
chinoise.
Taiwan : une musique pour se démarquer de la Chine
populaire
Taiwan a rapidement adopté la
musique occidentale après la Deuxième Guerre mondiale, en grande partie pour
distinguer sa politique de celle de la Chine populaire. Après l'intégration du
modèle économique capitaliste, la musique de l'après-guerre a reçu peu d'appui
du gouvernement taiwanais. Dans les années 1950 et 1960, il y a eu un plus grand
intérêt pour les musiques occidentale et chinoise, au détriment de sa musique
traditionnelle. Ce ne sera qu'à partir des années 1970, à la suite d'un succès
économique croissant, que le gouvernement établira des politiques culturelles
visant à promouvoir les musiques traditionnelles du pays. Par exemple, le très
populaire Opéra de Pékin prendra une forme plus représentative de la culture
taiwanaise. Toutefois, sauf pour la musique traditionnelle depuis les années
1970, on ne retrouve pas à Taiwan, même aujourd'hui, de milieu musical
proprement dit, comme il y en a en Europe ou en Amérique. Les nouvelles oeuvres
ne sont aucunement créées dans un contexte socio et politico-culturel
incitateur.
L'évolution de la musique contemporaine à Taiwan s'étend sur trois grandes
périodes aux limites imprécises. Après la Deuxième Guerre mondiale, les
compositeurs cherchaient surtout à redéfinir les musiques traditionnelles
chinoises et taiwanaises, sans toutefois clairement définir un langage musical
proprement dit. Dans les années 1960 et 1970, les compositeurs démontrent une
plus grande connaissance de la musique occidentale. Ils ont été les plus
avant-gardistes jusqu'à ce jour. La troisième période débute dans les années
1970 et va jusqu'à aujourd'hui. Les compositeurs de cette période ont une
meilleure connaissance de la musique occidentale, mais une connaissance très
limitée de la musique traditionnelle. Cependant, à cause d'une politique
économique pragmatique axée sur le modèle américain, les musiques pop et rock
reçoivent un plus grand appui du public et du gouvernement. Les compositeurs,
pour leur « survie », en viennent à écrire dans un style calqué sur
l'orchestration européenne du xixe siècle. La musique d'avant-garde est presque
inexistante.
Tant à Taiwan qu'en Chine
populaire, l'écriture musicale a été et est encore aujourd'hui largement
influencée par les politiques culturelles et économiques des gouvernements. À
Taiwan, la classe bourgeoise et les dirigeants du pays ne semblent pas
comprendre le « besoin » d'encourager la création d'une nouvelle musique.
L'auteur remercie les professeurs Jonathan Stock et Christian Utz pour
avoir mis à sa disposition le contenu du dernier numéro de The World of
Music avant sa publication finale, et Christian Utz pour les autres articles
mis à sa disposition.
Bibliographie
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Georges Gad. « Chine : au pays de
l'Harmonie céleste ». Le monde de la musique. Nº 280, Octobre
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Jean-Christophe Frisch. Notes de CD. Teodorico Pedrini, Concert Baroque
à la Cité Interdite, XVIII-21, Musique des Lumières, Auvidis, E 8609, 1996,
67:18.
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