Dans les notes du feuillet accompagnant son disque Le
Jardin de Nuit, la compositrice et violoniste Mireille Proulx explique que les
pièces de son disque sont inspirées par « les beaux-arts et les voyages ». Non
seulement ses compositions sont-elles impressionnistes, mais elle les joue dans
cet esprit. Il en résulte un jazz plutôt réfléchi, sinon intellectuel, mettant
bien en évidence une sorte de poésie toute classique. L'improvisation sur des
thèmes construits à partir de progressions harmoniques tonales est bien là, mais
les rythmes et les timbres font clairement entendre leur allégeance
européenne.
Le jeu du pianiste John Sadowy,
qui semble assumer un rôle d'accompagnateur de sonate, souligne d'ailleurs cette
impression de classicisme. Sa technique irréprochable lui permet parfois de
donner des ailes à la musique, mais il y a toujours ce brin d'académisme qui
retient la soliste au sol. En revanche, cette dernière fait vibrer et chanter
ses cordes avec beaucoup d'imagination. On appréciera ses articulations
scintillantes et ses envolées assurées, mais l'ensemble se déroule d'une manière
un peu trop métronomique et rigide. Néanmoins, les improvisations demeurent
cohérentes et inspirées et les développements conviennent assez bien au
caractère des compositions.
Dès Le Sac de Balducci, la première pièce du disque, on entendra
certains relents de musiques classiques à coloration de jazz, évoquant par
exemple Golliwog's Cake Walk de Claude Debussy ou, dans d'autres
passages, l'oeuvre de Ravel. En contrepartie, Pickpocket sur Times Square
est une description de New York qui se déploie sur une pulsation envoûtante de
ragtime (quoique passée au travers de la lentille ravelienne). Parmi les autres
pièces, on trouvera notamment Rouge et bleu, Les oies des neiges,
une jolie ballade au lyrisme délicat qui aurait peut-être plu à Erik Satie, et
Le Rideau s'ouvre, au pas bien
dansant.
Mettant en évidence une soliste, son accompagnateur et leur penchant commun
pour une musique rêveuse et éthérée, ce disque s'adressera à ceux qui dégustent
leurs plaisirs au salon plutôt que dans les salles de spectacle. Paul Serralheiro