The Handmaid's Tale's: D'une inquiétante actualité Par Julius H. Grey
/ 13 juillet 2004
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La Scena Musicale vous amène à l'opéra
!
La Canadian Opera Company présente la première
canadienne de
The Handmaid's Tale du compositeur
Poul Ruders en septembre et octobre 2004 ; le livret de Paul Bentley est tiré du
roman de Margaret Atwood.
La première mondiale de 2000 par le Théâtre royal
du Danemark, acclamée par la critique, a été enregistrée par les disques Dacapo
et est distribuée au Canada par Naxos.
La Servante écarlate (The
Handmaid's Tale, 1985) de Margaret Atwood est l'un des plus grands et des
plus terrifiants des romans « distopiques », à ranger au côté de chefs-d'œuvre
comme Le Meilleur des mondes d'Aldous Huxley, 1984 de George
Orwell ou Globalia de Jean-Christophe Ruffin. Ces œuvres parlent de
mondes situés dans un avenir assez proche et dont les scénarios politiques sont
totalement repoussants. Contrairement aux romans d'anticipation, ces romans se
concentrent sur l'évolution politique et sociale et sur la fragilité de nos
notions de liberté individuelle plutôt que sur les progrès technologiques. La
Servante écarlate est une condamnation particulièrement virulente de la
droite chrétienne américaine et une mise en garde contre les réactions
éventuelles visant à renverser le féminisme et le laïcisme. Il donne froid dans
le dos de voir qu'un roman écrit il y a presque vingt ans avait déjà laissé
entrevoir l'imposition de la tyrannie par des lois d'urgence promulguées en
réponse à des actes de terrorisme.
Néanmoins, La Servante écarlate est plus
qu'une parabole politique. C'est aussi un roman d'un romantisme noir qui parle
du désir sexuel dans un univers lugubre, de l'amitié et de la
résistance.
L'héroïne, dont nous n'apprenons jamais le nom
véritable, a tout perdu -- sa fille, son mari, sa liberté. En quelques mois, son
univers a entièrement basculé et elle est devenue un outil de procréation pour
les fils de Jacob, les dirigeants de la république chrétienne fasciste de
Gilead, laquelle a remplacé l'État laïque des États-Unis. Le lecteur voit du
point de vue de l'héroïne les leaders du nouveau régime, les collaborateurs et
la résistance, insaisissable mais irréductible. Elle continue d'espérer, de
désirer et de penser et, au fil du récit, ses rêves se transforment en défi, en
résistance et en salut lorsqu'elle s'évade.
Il faut souligner que, dans ce roman, le temps qui
sépare la république de Gilead de notre époque est fort court. À peine quelques
années plus tôt, l'héroïne menait la vie normale de la classe moyenne. Le passé
est constamment présent dans ses pensées, alors qu'elle navigue entre la dure
réalité de Gilead et le refuge de sa vie antérieure avec une facilité qui ne se
comprend que par leur proximité dans le temps. Il est difficile pour le lecteur
de ne pas être envahi par la crainte qu'une telle catastrophe politique ne se
produise de façon si soudaine et si radicale. Un détail est particulièrement
terrifiant : l'imposition de la nouvelle répression des femmes se produit du
jour au lendemain, alors que leurs cartes de crédit sont invalidées. La
centralisation des données grâce à la technologie informatique fait en sorte que
ce type d'intervention de l'État est entièrement plausible et, en fait, les
craintes de la perte de toute vie privée en raison du contrôle des cartes de
crédit sont devenues courantes au cours des dernières années. Ici encore,
Margaret Atwood a fait preuve de grande clairvoyance en imaginant de tels
événements dès 1985.
L'une des grandes qualités du roman tient à la
richesse de ses personnages. Les autorités du régime, comme le commandant et sa
femme, ne sont pas simplement des méchants de caricature, mais des personnes
vivantes, sujettes au désir ou à l'envie, voire nostalgiques d'un passé plus
harmonieux. Les désirs sexuels et la répression frappent autant les dirigeants
de Gilead que ses victimes, ce qui rend les personnages d'autant plus crédibles.
La résistance n'est pas elle non plus composée de héros et d'héroïnes
intrépides, mais de personnes imparfaites et effrayées qui apprennent à se
comprendre et à se donner courage.
Malgré son style véhément et son atmosphère
glauque, le roman n'est pas sans humour, parfois grinçant, notamment dans les
chapitres où les experts en sciences sociales décrivent le régime gileadien
après sa chute en des termes typiquement pseudo-scientifiques, totalement dénués
de l'indignation morale que le régime mériterait, ou encore, plus méchamment,
dans les nombreux passages où les agents du gouvernement utilisent le jargon
féministe moderne pour justifier la répression des femmes dont ils ont la
charge. On pourrait voir là un avertissement au sujet du détournement du
langage, un sujet qui jusqu'ici n'a pas été suffisamment étudié.
En dépit de ces moments d'humour, l'impression
générale que dégage la société de Gilead en est une de peur, de répression, de
cruauté et d'injustice cauchemardesques. Par exemple, le régime a constamment
recours à la peine capitale. Les rares moments où la vie, les rues et les gens
semblent normaux ne viennent que souligner l'horreur du régime.
L'on pourrait établir des parallèles entre La
Servante écarlate et un mouvement artistique et littéraire sombre et
passionné du début du xxe siècle en Europe, l'expressionnisme. Des œuvres
expressionnistes comme Lulu ont souvent été adaptées avec succès à
l'opéra et il n'est donc pas étonnant que The Handmaid's Tale, étant
donné son redoutable message politique, ses émotions fortes et une sexualité
omniprésente, ait également inspiré un livret d'opéra. L'adaptation du
librettiste Paul Bentley demeure très fidèle au roman; en fait, le roman
comprenant beaucoup de dialogues, de nombreux passages de l'opéra sont tirés
directement du texte de Margaret Atwood -- ce qui constitue une autre
illustration du caractère sombrement poétique du roman.
La Servante écarlate d'Atwood
est indubitablement l'un des moments forts des lettres canadiennes. Bien que
l'action se déroule aux États-Unis, le Canada est constamment présent, à la fois
comme un phare lointain où l'on peut tenter de s'enfuir et plus subtilement
comme point d'observation. La république de Gilead et la dictature religieuse
représentent une crainte bien réelle des Canadiens face à certaines tendances
observées au sud de la frontière. Cela étant dit, tant l'analyse politique que
la ferveur de ce roman ont une portée universelle, ce qui explique le succès
qu'il a obtenu partout dans le monde.
[Traduction : Alain
Cavenne]
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