Faire face à l'incontournable stress Par Lucie Dumoulin
/ 3 septembre 2003
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Quel que soit le type d'instrument, le style de
musique ou les différentes circonstances dans lesquelles ils jouent, tous les
musiciens, même chevronnés, éprouvent du stress lié à leur profession. Du stress
physiologique causé par les problèmes de posture, le manque de tonicité
musculaire et les contraintes physiques de l'instrument, ainsi que du stress
psychologique causé par tout le reste : les exigences de la performance, le
trac, les horaires, le doute, l'inquiétude quant à l'avenir...
On sait que le stress est une réaction de
l'organisme, tant physiologique que psychologique, devant une situation
exigeante. Ces réactions sont normales et utiles, sauf lorsqu'elles prennent des
proportions exagérées : un haut niveau de stress peut priver n'importe qui du
plaisir et de l'expérience profonde apportés par la musique et, dans certains
cas, rendre quelqu'un malade.
Le stress se décortique
Pour procéder à l'analyse d'une situation
particulière -- le stress se manifeste de différentes façons selon les
personnalités --, il faut savoir où et quoi regarder. Dans son travail de
formation et de consultation sur la performance auprès des musiciens, la
psychologue et pianiste Francine Beaudry s'inspire de la grille que Claude
Sarrazin a élaborée pour la psychologie du sport. Ex-champion de karaté, docteur
en psychologie et professeur agrégé au département de kinésiologie de
l'Université de Montréal, Sarrazin est un expert des situations de performance ;
il a notamment défini les composantes principales qui interagissent
constamment dans toute performance, fût-elle sportive ou autre. Ces
composantes touchent trois dimensions de la personne : physique, comportementale
et cognitive.
Prenons d'abord la dimension physique : la
très grande majorité des apprentissages techniques ayant déjà été faits, on
pourrait penser qu'il n'y a plus rien à développer de ce côté. Mais l'équilibre
physiologique d'une personne se modifie constamment et certains automatismes
peuvent s'être détériorés au fil du temps, alors que les exigences
professionnelles augmentent et que l'impact physiologique du stress s'agrandit
sans cesse. Il faut donc toujours se demander : mon contrôle corporel est-il
optimal ?
Un corps heureux joue mieux
Or, selon Mme Thérèse Cadrin Petit, spécialiste de
l'entraînement postural et auteure du livre Le Corps Heureux, il existe
des principes posturaux de même que des techniques de respiration, de détente,
d'échauffements et de soulagement après l'effort que tous auraient avantage à
pratiquer, « Comme les artistes sont constamment à la recherche d'un équilibre
délicat entre la posture, la respiration et le mouvement, dit-elle, une approche
d'entraînement corporel doit absolument tenir compte de ces trois aspects.
»
« Il y a aussi, précise-t-elle, des notions
fondamentales que la plupart des musiciens n'ont malheureusement jamais
apprises, comme l'alignement des segments de chaque membre et des membres avec
le torse, ou comme le fait que les étirements et le renforcement des muscles de
la posture aident à se libérer du stress. Il faut aussi savoir que
l'entraînement aérobique, en habituant le coeur à des fréquences plus élevées,
aide beaucoup à réduire l'impact du stress. »
Évidemment, la longueur et la difficulté des
pièces musicales, de même que la longueur d'un concert, exigent une énergie plus
ou moins intense. Pour être capable de «maintenir le rythme », au sens propre et
figuré, le musicien doit être capable d'agir sur ce que, dans le milieu du
sport, on appelle le niveau d'activation.
L'attitude : facteur déterminant
Pour poursuivre avec la grille d'analyse de Claude
Sarrazin, il faut ensuite tenir compte de la dimension comportementale,
qui concerne tant l'attitude que les habitudes (les routines de pratique, de
scène, etc.). Comme l'intensité des manifestations de stress dépend en majeure
partie du message envoyé par le cerveau à l'organisme, la perception qu'une
personne a de la situation est déterminante. « Aussi inconsciente et subjective
que soit cette attitude, elle peut être regardée, évaluée et modifiée, affirme
Francine Beaudry. Aurions-nous, par hasard, un penchant vers la dramatisation ?
Notre propension au travail bien fait s'est-elle transformée en perfectionnisme
étouffant ? Si notre attitude est nocive, il faut en prendre conscience et voir
comment elle oriente nos comportements. »
En ce qui a trait aux routines, dont l'importance
n'est pas que symbolique, il semble qu'il faille constamment les réviser et
s'assurer qu'elles soient toujours appropriées. Il faudrait peut-être changer le
moment de pratique ou l'organisation de la journée, par exemple, ou modifier son
rituel de scène. « Dans le courant de la psychologie cognitivo-comportementale,
on connaît toutes sortes d'exercices qui peuvent devenir utiles à cet égard»,
rappelle Mme Beaudry, qui enseigne le cours Geste et conscience en
interprétation à la Faculté de musique de l'Université de
Montréal.
Corps et esprit en parfaite
harmonie
Quant à la dimension cognitive de la
performance, elle concerne l'attention et la concentration, le contrôle des
pensées et des émotions, la confiance et la détermination ainsi que le processus
d'imagerie mentale. « Lorsqu'il est en pleine possession de ses moyens, dit
Francine Beaudry, un musicien est totalement concentré, il contrôle bien son
trac, il a confiance en lui, il sait d'avance ce qu'il a à faire dans chaque
passage musical et il peut se laisser porter par la musique. Tout ça relève
d'habiletés (et non de cadeaux accordés par une fée bienfaisante) qui
peuvent être développées et perfectionnées. Elles sont d'ailleurs toutes
interreliées. »?
La concentration est un élément crucial dans ce
travail, mais elle dépend de plusieurs facteurs : la fatigue, le manque de
confiance, la nervosité, les préoccupations en dehors de la musique, etc.
Parfois, un dialogue intérieur négatif vient court-circuiter tout effort de
concentration. Inutile, dans de tels cas, de s'impatienter et de s'autocritiquer
car la concentration exige de la détente. C'est, comme le dit Dominique Hoppenot
dans Le violon intérieur, « revenir au centre du corps et s'y
établir, au lieu d'être le jeu de forces divergentes ».
Évidemment, il existe des moyens pour favoriser la
concentration. D'une part, ce sont des exercices mentaux -- dont la
visualisation n'est pas le moindre -- qui permettent d'y accéder plus rapidement
et de la maintenir plus longtemps ; on s'en doute, toute technique doit être
pratiquée au préalable pour être efficace en concert. D'autre part, il ne faut
pas diminuer l'importance de la condition physique. « La concentration vient
d'abord du corps, rappelle Thérèse Cadrin Petit, qui doit être présent et
alerte. Une bonne énergie de fond, développée à travers un entraînement
physique de qualité, aide à développer cette habileté. »
Ainsi donc, en analysant les composantes de la
performance, il est possible de dédramatiser les problèmes (c'est déjà beaucoup)
et d'envisager des solutions réalistes. « Le musicien doit travailler sur ses
points les plus faibles, insiste Francine Beaudry, et le reste va suivre
naturellement. Je dirais même que modifier le 20 % de notre travail qui va mal
peut améliorer notre performance de 80 % ! »
Depuis longtemps, les athlètes savent mettre à
profit les approches de développement psychocorporel. Pourquoi les musiciens ne
le feraient-ils pas ? p
Références
- Le Corps heureux – Manuel d'entretien,
Thérèse Cadrin Petit et Lucie Dumoulin, Éditions de l'Homme, Montréal,
2000.
- Le Violon intérieur, Dominique Hoppenot,
Éditons Van de Velde, Paris, 1981. (Selon Francine Beaudry, un excellent livre
pour les musiciens, quel que soit leur instrument).
Atelier de formation
Le programme Diapason du Conseil québécois de la
musique, avec l'appui d'Emploi-Québec, offre cet automne, à Montréal, un atelier
de deux jours avec mesdames Francine Beaudry et Thérèse Cadrin Petit. Intitulé
Préparation physique et mentale à la pratique professionnelle des
musiciens, l'atelier a pour objectif de transmettre « un ensemble de
techniques et de stratégies psychocorporelles afin de réduire le stress,
prévenir les blessures et faciliter la qualité de l'interprétation ».
Renseignements : (514) 524-1310.
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