Le déluge (f)estival Par Marc Chénard
/ 4 juin 2003
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Depuis trois ans, Montréal est
empreinte d'une grande vitalité sur le plan culturel. En jazz et en musiques
improvisées, par exemple, les amateurs n'ont plus à se morfondre devant le
manque d'activités en salle, jadis chronique durant les premiers mois de
l'année. En dépit des froidures de l'hiver dernier et des grisailles d'un
printemps plutôt morose, la scène a conservé toute son effervescence, sans
compter le débordement massif qui aura lieu durant les prochaines semaines. S'il
est impossible de commander du beau temps, les festivals sont au moins là pour
assurer de chaudes nuits.
Le FIJM
partout présent
Pour une troisième année
consécutive, la ville sera le théâtre de trois événements jazzistiques, dont
deux en simultané. En tête du peloton, il y a, bien entendu, le Festival
International de Jazz de Montréal (FIJM), cette énorme machine qui ne domine pas
seulement le paysage culturel local de son imposante présence, mais qui rayonne
aussi à l'étranger. La programmation de sa 24e édition annuelle comprend plus de
550 spectacles (en salle et en plein air), le tout tenu dans le périmètre
immédiat de la Place des Arts.
Pour atteindre une telle ampleur, le FIJM doit arrondir sa programmation avec
des remplissages de tous genres, d'où l'inclusion de styles bigarrés et
hétérogènes au jazz, comme c'est le cas de la majorité des spectacles donnés en
plein air; doit-on s'en surprendre quand on sait que les organisateurs attitrés
aux scènes extérieures ne sont ni qualifiés, ni particulièrement passionnés par
cette musique, pourtant le modus vivendi de l'événement ?
En contrepartie, la composante jazz est bel et bien présente dans la
programmation en salle, en dépit de corps étrangers comme Elvis Costello (et son
groupe The Imposters), Daniel Lanois ou Térèz Montcalm. Relevant de choix plus
conséquents toutefois, la série Invitation comprend deux solides citoyens du
jazz, en l'occurrence le batteur Jack de Johnette (26 au 29 juin) et
l'infatigable septuagénaire Lee Konitz (2 au 5 juillet), ce
dernier présenté dans une série de quatre concerts somme toute plus intéressants
que ceux du batteur.
Comme d'habitude, les écuries des majors dominent largement la grille
(qui dit gros festival dit gros commerce, quoi !) et les Wayne Shorter,
Dave Holland, Herbie Hancock (mais pas de Joe Lovano, pour une
rare fois) sont tout à fait dignes de mention. D'autres noms un peu moins
médiatisés attireront aussi les amateurs. Signalons entres autres deux grands
virtuoses du clavier dans la série Piano solo, Martial Solal (26) et
Joachim Kühn (29) – dont nous reparlerons le mois prochain dans le cadre
de la recension d'une biographie récente –, le trépidant saxo David
Murray (26), le trompettiste Kenny Wheeler (28) – à qui le Festival
décernera son prix Oscar Peterson –, et l'altiste Steve Coleman (5 et 6
juillet). Quant aux vraies découvertes, pour ne pas dire les audaces,
elles n'abondent pas, mais la série Jazz contemporain contient quelques points
d'intérêt, entre autres le pianiste indo-américain Vijay Iyer (26),
l'excellent clarinettiste allemand Theo Jörgensmann (27) (voir la
chronique de disque ci-contre), les saxos Iain Bellamy (29) et Avram
Feffer (30 et la pianiste Myra Melford dans la série Piano solo (27). Exclus
pendant longtemps des salles, les musiciens d'ici ont une série à part entière
(Salle du Gesù, 18 h), celle-ci comprenant les Donato, Papasoff, Beaudet,
Bourassa, Rieu et compagnie.
Le Off
se branche de nouveau
Tenu aux mêmes dates que le géant qui le surplombe, le valeureux Off Festival
de Jazz, après la troisième et ambitieuse édition de 2002, réduit sa portée en
proposant un jazz local plus mainstream et en limitant la participation
des musiciens étrangers. De 61 spectacles l'an dernier, la programmation passe à
46, le tout réparti entre quatre scènes, soit celles du Lion d'Or, du
Va-et-Vient, du Quai des Brumes et du Bar Focaccia. En guise d'ouverture (26),
les organisateurs reprennent l'idée de leur « Soirée des Patriarches »,
présentée un an plus tôt avec grand succès en clôture de festival, mais la
formule jam session de 2002 est remplacée par deux ensembles fixes. La
tête d'affiche de cette année sera sans nul doute Louis Sclavis.
Incontestablement l'un des grands noms du jazz français contemporain, cet
énergique clarinettiste et saxophoniste soprano se produira d'abord le lundi 30
au Lion d'Or avec son quartette franco-québécois comprenant son (d)étonnant
bassiste Bruno Chevillon et leurs vis-à-vis, le saxophoniste-flûtiste
Jean Derome et le batteur Pierre Tanguay. Le lendemain soir, les
deux Français seront présents au Va-et-Vient et on peut se douter que la salle
sera pleine à craquer. En clôture, au Lion d'Or le dimanche 6 juillet, un trio
intimiste accompagnera la chanteuse Karen Young en première partie, alors
que le bassiste Normand Guilbeault
terminera le tout avec l'hommage de rigueur à son mentor, Charles
Mingus.
Côté
Casa : de l'impro avant toute chose
Deux ans après l'éclatante et éclectique première édition du Suoni per il
Popolo (Sons pour le peuple), la Casa del Popolo se fait, elle aussi, moins
timorée avec son programme de concerts de musiques improvisées, étalés une fois
de plus sur les trois premières semaines du mois. En tête de liste,
l'incomparable saxophoniste soprano Steve Lacy, de nouveau domicilié aux
États-Unis après un exil de 34 ans en France, jouera les 19 et 20 juin, d'abord
en duo avec sa femme, la chanteuse Irène Aebi, puis, le lendemain, avec
son ami de longue date, le batteur John Heward. Musicien emblématique du
post free-jazz new-yorkais, le bassiste William Parker est sans aucun doute
l'une des forces essentielles de cette musique. À voir le 8 juin. Deux
saxophonistes radicalement différents joueront le 18 juin : Sabir Mateen,
d'une part, un multi-instrumentiste (saxos, clarinettes) dont le jeu libre ne
manque jamais de soul (12 juin), et, d'autre part, le Britannique John
Butcher, un minimaliste qui préfère
la recherche de sonorités inédites aux grandes envolées exaltées.
Info sur les festivals
FIJM : www. montrealjazzfest.com
tél. :(514) 871-1881 / 1 800 515-0155
Off festival de jazz : www.lofffestivaldejazz.com
tél. :(514)
525-8786
Suoni per Il Popolo : www. casadelpopolo.com
tél. :(514) 284-3504
Au rayon
du disque
Theo
Jörgensmann Quartet To Ornette / Hybrid
Identity
HatOLOGY 570
Depuis plus de 20 ans, les disques en hommage aux maîtres sont légion en
jazz, particulièrement ceux consacrés aux chefs de file du jazz classique et
bop. Toutefois, l'histoire commence à rattraper certains courants plus récents,
dont le free-jazz. Parmi ses hérauts, Ornette Coleman, dont nombre des
compositions font désormais partie du canon de l'art, son plus célèbre thème
Lonely Woman à l'avant-plan. À l'encontre de la pratique habituelle qui consiste à
reprendre les pièces du musicien dédicataire du disque, le quartette du
clarinettiste allemand Theo Jörgensmann n'en joue aucune du saxophoniste alto
texan. Situant sa démarche dans l'esprit de ce jazz libertaire (et non dans la
lettre de la musique de Coleman), le groupe s'attaque à six compositions
originales (deux du leader et quatre de son vibraphoniste, l'excellent
Christopher Dell) puis à deux improvisations collectives. Bénéficiant par
ailleurs du solide appui des rythmiciens Christian Ramond (contrebasse) et Klaus
Kugel (batterie), les premiers jouent avec autant d'abandon que de discipline,
leur virtuosité mise au service d'une musicalité tonifiante et dénuée de tout
cliché. Présentée au FIJM en 1999, cette formation revient en ville pour sa
seconde tournée pancanadienne. Si l'on se fie à cette récente offrande musicale,
sa troisième en date, le groupe pourrait fort bien livrer quelques-uns des
moments les plus inspirants aux amateurs de musiques créatives et autres esprits
ouverts aux découvertes.
Festival International de Jazz
de Montréal, vendredi 27 juin, 21 h, Musée d'art contemporain
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