CIMJM : Ont-ils l'étoffe des grands ? Par Guy Marceau
/ 5 mai 2003
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Les jeux sont faits... ou presque. La deuxième
édition du Concours International de Montréal des Jeunesses Musicales consacrée
cette année au violon est lancée. Des 154 participants provenant de 34 pays à
passer la ronde des auditions préliminaires, une trentaine seulement, de 16 à 28
ans, passeront en demi-finale à la fin mai. Mais qui parmi eux a l'étoffe des
grands ? Et cette étoffe, de quoi est-elle faite ? LSM a rencontré deux des sept
juges qui sont déjà passés par là, et à qui revient la tâche de proclamer ou
non, un grand gagnant. Regard sur l'univers des concours, de
l'intérieur.
D'entrée de jeu, la réputation
des grands concours internationaux n'est-elle pas un peu surfaite ? « Il faut
plusieurs années pour qu'un concours gagne en importance et auréole de prestige
celui qui remporte le premier prix, explique Andrew Dawes, violoniste et
chambriste canadien et membre fondateur du défunt Quatuor Orford. Et il faut
aussi tenir compte du panel des juges, de leur prestige et, on le souhaite, de
leur honnêteté ». Et le niveau des candidats ? « Il faut reconnaître qu'il est
plus élevé qu'il y a 40 ans par exemple. Des jeunes de 14 ou 16 ans qui jouent
comme des professionnels, c'est aussi invraisemblable qu'étonnant ! »
Silvia Marcovici, violoniste
roumaine, n'est pas de cet avis. « Honnêtement, ce n'est pas mieux qu'avant.
J'ai fait deux concours internationaux parmi les plus prestigieux (2e prix au
Marguerite Long-Jacques Thibaud -1969, et 1er prix au Enesco-1970) et des
violonistes tels Henryk Szeryng, Christian Ferras et Leonid Kogan étaient
membres du jury. Le niveau était vraiment très élevé. Aujourd'hui, il y a
surtout plus de musiciens qu'il y en avait, en partie à cause de l'ouverture sur
le monde des pays de l'Est, et de l'Asie aussi. Cette année à Montréal, pour
connaître certains professeurs qui ont préparé les concurrents, la compétition
sera très élevée. »
La préparation
Il faut rappeler qu'à l'étape
des demi-finales, les candidats doivent jouer une sonate complète de Bach, en
choisir une autre parmi celles de Beethoven, Brahms, Fauré, Franck, Bartok,
Debussy, Prokofiev, Ravel et Strauss, en plus de se voir imposer une oeuvre
contemporaine inédite et choisir enfin une oeuvre de virtuosité parmi les plus
difficiles. Pour l'épreuve finale, avec orchestre cette fois, les candidats
doivent jouer un des 17 concertos bien connus du répertoire pour violon. « Le
programme est dans les normes, poursuit Andrew Dawes, mais c'est énormément de
travail. Les candidats ont eu ce programme il y a au moins un an. Mais apprendre
les oeuvres, est une chose ; il faut les jouer, les roder, les peaufiner et le
plus souvent possible, idéalement en récital ou en concert si on veut démontrer
une certaine maîtrise. Dans les faits, ça ne se passe pas toujours comme ça pour
les jeunes interprètes, par exemple, qui n'ont pas encore de circuits de
concerts. Il faut donc travailler, travailler et travailler ! Il est réaliste de
considérer qu'une minute de musique nécessite au moins 10 minutes de répétition.
»
Va pour la préparation
technique, mais mentalement, quelle attitude adopter pour ces tenants de
l'archet ? « Le musicien ne doit pas participer à ces concours en pensant qu'il
va gagner puisque la déception peut être très grande. Personnellement, quand
j'ai fait le concours international de Montréal en 1966, j'étais juste curieux
de voir si j'étais du même niveau que le reste du monde. La 2e fois, j'espérais
gagner, et j'étais tellement déçu de ma huitième place » ! Silvia Marcovici
pense plutôt le contraire. « Forcément, quand un candidat se présente à un
concours international, il aspire au grand prix, et il doit se vouloir gagnant
dès le début. Pour moi, on ne doit pas participer seulement pour tenter sa
chance. Ce n'est pas assez optimiste et volontaire. »
En avoir ou pas
Tous
s'entendent toutefois pour dire qu'à ce niveau, la technique des candidats doit
être irréprochable : justesse et intonation,
agilité, clarté du jeu, et évidemment, respect du texte
musical. Et l'interprétation ? « Les candidats doivent nous convaincre sans trop
vouloir le faire, explique Andrew Dawes. Il faut que l'interprétation soit
fidèle au style du compositeur et à sa pensée, et que le musicien affirme sa
couleur. Prenons l'exemple de Maxim Vengerov, un artiste tellement personnel et
convaincant. Ce que j'aime bien voir et entendre chez un violoniste, c'est cet
engagement total ; chez lui, on sent tout de suite une grande personnalité, mais
elle est toujours au service de la musique, sans maniérisme ou esbroufe. Et puis
il y a cette chose un peu ineffable, difficile à commander : le charisme.
»
« Je crois que si un candidat
démontre beaucoup de musicalité, de charisme, de maestria, de sensibilité, il se
démarquera et tous les juges iront dans ce sens. Mais on a déjà vu des avis qui
diffèrent et des mésententes au sein d'un jury puisque les goûts sont en effet
discutables ». Qu'est-ce qui fait donc d'un musicien un excellent violoniste ? «
Je dirais l'inverse, rétorque Silvia Marcovici : Qu'est-ce qui fait qu'un
violoniste est un excellent musicien ? Puisqu'il y a des violonistes et il y a
des musiciens. Parfois, il y a les deux chez la même personne. Parfois.
»
Au-delà du défi technique et
interprétatif, Andrew Dawes et Silvia Marcovici parlent de la grande pression
sur les petites épaules des candidats. « Je me souviens très bien de mon premier
concours et du vertige..., relate Andrew Dawes. Je me sentais devant un
précipice, complètement effrayé ! Évidemment, il y a toujours l'impression de ne
pas avoir assez travaillé, la peur de rater ou de tout oublier au dernier
moment. Alors maintenant, avant un concert, je fais du Taï Chi, pour bien me
concentrer et apaiser le stress. » Silvia Marcovici raconte aussi son anecdote :
« La force de la jeunesse et l'enthousiasme nous font faire des choses
incroyables. Au Marguerite Long-Jacques Thibaud, j'avais 17 ans et tellement la
trouille, qu'on m'a poussée sur scène pour jouer ! Et c'est resté dans les
annales du concours d'ailleurs ! »
Les concours : et après ?
Il faut donc avoir les nerfs
solides pour soutenir les différentes épreuves et espérer accéder à la finale.
Mais au bout du compte, gagnant ou non, que reste-t-il ? « Bien souvent, ce ne
sont pas seulement les premiers prix qui se démarquent du lot. Même avec une
huitième place en 1969, raconte Andrew Dawes, le grand violoniste hongrois
Joseph Szigeti qui faisait partie du jury, est venu me voir pour me féliciter et
m'offrir une de ses transcriptions d'une oeuvre de Scriabine ! Cela dit, si
plusieurs de mes collègues ne prisent pas beaucoup les concours, moi j'aime
bien, car c'est l'occasion de gagner en expérience, de rencontrer d'autres
musiciens et d'être jugés par des professionnels. Et puis on peut gagner des
sommes d'argent assez intéressantes. Ça m'a aidé beaucoup à payer mes études !
»
« Gagner des concours n'assure
en rien la carrière, conclut Silvia Marcovici. J'ai gagné des premiers prix mais
j'aurais très bien pu ne pas en faire une carrière. C'est comme dans la vie de
tous les jours. La difficulté n'est pas tant de conquérir un homme ou une femme,
c'est de durer dans le temps. La grande clé d'une carrière réside dans
l'intelligence et dans la façon de la gérer. Savoir choisir le répertoire adapté
à son talent, choisir où, quand et avec qui l'on joue, connaître ses forces et
faiblesses. Et il y a ce facteur incontrôlable : la chance. Celle-là, personne
ne peut nous la garantir. »
Dernière minute : nous apprenons que M. Andrew Dawes doit
malheureusement annuler sa participation au jury du Concours pour des raisons de
santé.
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