Les sentiers du jazz Par Marc Chénard
/ 1 décembre 2002
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Ces mots dits du jazz
Jacques Réda L'autobiographie du jazz
Éditions Climats, 2002, 301 p.
Alexandre Pierrepont Le champ jazzistique
Éditions parenthèses Marseille, 2002 177 p. +
bibliographie et discographie
Écrits à 20 ans d'intervalle, ces deux titres récents
offrent des points de vues opposés sur le phénomène jazzistique. Dans son
ouvrage, Jacques Réda, collaborateur de longue date chez Jazz Magazine en
France, a entrepris la refonte d'une œuvre parue il y a une vingtaine d'années.
Dès le premier chapitre, l'auteur procède à un genre d'exercice littéraire où le
jazz « se raconte » sur un ton plus impressionniste qu'historique (c'est bien
français, après tout). Par la suite, il livre quelques-unes de ses réflexions
sur le blues, le swing, l'improvisation, la performance et le disque. Dans les
quelque 250 pages restantes, réparties en deux « albums » démarquées par le
clivage entre jazz « classique » et « moderne » (ou pré et post Charlie Parker,
si vous préférez), pas moins de 150 portraits des plus importants noms du jazz
(en plus de certains précurseurs et méconnus) sont répertoriés selon l'ordre
chronologique de naissance. Pour mettre cette anthologie à jour, Réda a aussi
inclus les dates de décès (dont celui de Ray Brown, mort en juillet dernier),
mais, ce faisant, a introduit pas moins d'une douzaine d'erreurs : certaines
dates manquent (Cab Calloway, John Lewis), d'autres sont erronées (Stéphane
Grappelli, 1997 et non 2000, ou la pire de toutes, Louis Armstrong... 1978 !);
par ailleurs, même les date de naissance vagabondent (Coleman Hawkins : 1901, et
non pas 1904 ou Cecil Taylor : 1929, et pas 1933). L'auteur privilégie une
vision exclusive du jazz, n'incluant que quatre femmes et autant de non
américains, qui, outre notre Oscar Peterson, sont... français, évidemment. Une
lecture attentive des portraits de certains jazzmen au jeu plus moderne
(Russell, Giuffre, Coleman, et même Coltrane) confirme le parti pris classiciste
de l'auteur, qui renie les innovations de ceux qui ont osé transgresser les
canons de l'art. (Sont-ce ses points de vue d'aujourd'hui, ou ceux d'il y a 20
ans ? On ne saurait le dire.) Certes, les opinions se discutent, mais il faut
déplorer le manque de rigueur factuelle de cet écrivain pourtant respecté
(celui-ci déclarant même qu'« Ascension » a été le dernier disque de Coltrane
!). Décidément, Réda radote!
D'une autre génération, Alexandre Pierrepont, jeune
chroniqueur chez Jazzman et Improjazz propose dans Champ
jazzistique une réflexion beaucoup plus solide sur cette musique, ici
conjuguée au temps présent. Parfois tortueuse et obscure, dans une tradition
française post ou néo structuraliste, son argumentation se résume pourtant à une
prise de position assez simple : au-delà de l'étiquette (que beaucoup de
musiciens récusent, et de nombreuses citations étayent ce fait), ou encore d'un
canon (carcan ?) esthétique qu'une certaine école de pensée révisionniste lui
impose, le jazz est essentiellement un lieu dans lequel un autre mode de vie, de
communiquer et d'être se déploie. S'opposant aussi aux lectures historiques
exclusives, l'auteur propose une vision inclusive, qu'il met à jour en dressant
des listes presque exhaustives des musiciens de notre temps (incluant plusieurs
Canadiens), qui, pour la plupart, sont ignorés, exclus ou tout simplement bannis
des versions officielles. Élargissant son filet vers l'Europe, sans pour autant
négliger la spécificité afro-américaine jusqu'à ses racines premières, l'auteur
nous présente alors le portrait d'une musique tenaillée entre son histoire et
son actualité. En dépit de ses méandres rhétoriques, ce texte exigeant vaut bien
le détour, notamment pour les mélomanes avertis en quête de choses autres que
les redites habituelles.
Le rayon du disque | Off the Record
Nordic Orchestras -- Cool and Hot Geir
Lysne Aurora
Borealis -- Nordic Lights Suite for Jazz Orchestra ACT
9406-2
Over the last couple of years, Scandinavia
(including Finland) has been making more waves than ever on the international
jazz scene. From the trademark atmospherics of the ECM sound to some more
cutting-edge approaches (free jazz, live electronics or both), there are various
stylings embraced by its players and groups, of which this Norwegian-based
"Listening Ensemble" is a prime example. Headed by saxophonist and composer Geir
Lysne (pronounced Guerre Lousna), this 19-piece band was captured a little over
a year ago during the prestigious Berlin Jazz Festival (Berliner Jazztage). The
five parts of this single 45-minute work explore a wide range of moods,
beginning with an ambient accompaniment to the reading of a brief poem in
Norwegian (reproduced in English inside the package), and moving through several
well polished but not particularly outstanding solo contributions, all of which
are tied together by a single theme underpinning the whole work. Mostly, this is
finely crafted music that will surely please those who dig large ensembles, like
those of the late Gil Evans, for instance. Marc Chénard
Tim
Hagans With the Norrbotten Big
Band featuring Scott Kinsey
Future Miles ACT 9235-2
Techno-acid jazz-big band might not be the
first description to come to mind when thinking of Swedish jazz, but that is
what we get here, courtesy of American trumpeter Tim Hagans, keyboardist Scott
Kinsey and the always puzzling "programming." Electronics and a big band? you
ask. The title explains something of the approach, as does Hagans's pun-pointed
statement printed on the jacket of this release: "Miles of the past leads to
miles of the future." This recording is an interesting hybrid of big-band tutti
rhythms and those frenzied, busy, out-of-phase sounds that only machines are
capable of. For the most part the two blend well (as in Fanfare for Miles
and Kinsey Report), but the newer technology also calls the shots on some
occasions, providing some strange and unusual twists in the writing, which may
appear either suspicious or intriguing, depending on one's ears. The Miles
evoked here runs the gamut from "Birth of the Cool" to the Gil Evans
collaborations and onto his post-"Bitches Brew" period. P.
Serralheiro
Derek
Bailey Ballads Tzadik
7607
Après Charlie Christian (le père fondateur) et
Wes Montgomery (l'héritier à la technique inouïe), Derek Bailey pourrait bien
devenir le troisième innovateur de la guitare électrique en jazz. En effet,
l'éminent Jim Hall avait déjà déclaré qu'il serait bien heureux de pouvoir jouer
au tiers de ce que Bailey est capable de faire; Pat Metheney, pour sa part, ne
s'estimait pas de taille de jouer avec cet homme lorsqu'on lui posa la question
à la fin des années 80 (quoiqu'une rencontre avait eu lieu en 1997 pour
l'enregistrement « The Sign of 4 », sur étiquette Knitting Factory). Depuis plus
de 35 ans, ce gentleman britannique maintenant âgé de 72 ans s'est fait l'apôtre
de l'improvisation la plus totale, refusant systématiquement d'interpréter toute
musique écrite, au profit d'une exploration totale des timbres et effets sonores
de son instrument. Pourtant, sous l'instigation de John Zorn, ami de longue date
et producteur de ce disque, Bailey se livre ici à un récital de guitare
acoustique solo de 41 minutes, où il reprend 13 standards bien connus (Body
and Soul, Stella by Starlight, Rockin' Chair – deux fois –,
You Go to My Head...). Tout commence avec la jolie Laura,
respectueusement interprétée à la manière d'un Kenny Burrell, mais rapidement
délestée de ses assises mélodiques et harmoniques. Ainsi en est-il des autres
pièces, dont les thèmes, tous clairement énoncés, sont déconstruits en moins de
deux. Pour les mauvaises langues qui croient le jazz en mal de surprises, voici
une belle preuve du contraire. Marc
Chénard
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