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La Scena Musicale - Vol. 8, No. 4

D'où viennent nos chants de Noël ?

Par Lynne Gagné / 1 décembre 2002

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Initiation à la musique

Grâce aux harmonisations d'Ernest Gagnon (1887), nous pouvons encore chanter, comme l'ont fait nos grands-parents et nos parents, Çà bergers, Les Anges dans nos campagnes, Il est né le divin enfant, etc. Mais la racine même de ces chants est très souvent surprenante. Voyons de plus près la provenance de nos noëls populaires.

Presque tous les chants de Noël utilisent des airs de chansons anciennes, de sorte que les noëls du XVIIIe siècle sont très près de ceux des XVe et XVIe siècles. Seulement un petit nombre d'entre eux représentent une catégorie distincte par leur mélodie originale. Les « faiseurs de noëls » (comme on les appelait) ne semblaient pas accorder une grande importance à la provenance des airs. La musique était écrite pour être chantée avec un poème. Des recueils de mots imprimés circulaient, alors que la musique se transmettait oralement. La transformation de chansons d'amour, de chansons à boire, de chansons galantes ou d'autre nature en chansons de Noël était le procédé à la mode aux XVIIe et XVIIIe siècles. La rime servait de moyen mnémonique pour permettre au peuple de se souvenir des paroles.

Le noël, voué au peuple, est avant tout un chant d'origine populaire. Il décrit la naissance de Jésus sous des aspects pittoresques et candides. Le cantique exprime plutôt un sentiment religieux. Transmis oralement pendant des générations, il a l'âme missionnaire : d'abord chant au rôle évangélisateur, il se transforme en un héritage religieux et culturel.

Textes nouveaux pour airs connus

Les noëls populaires émanent de plusieurs sources. Si certains textes restent assez fidèles à l'esprit du chant original, d'autres subissent une reformulation. La chanson Dans le silence de la nuit, qui ressemble à une berceuse, tient sa musique d'une chanson bachique. Comparons le premier couplet et le refrain :

Dans le silence de la nuit???Dans ce monde, on aime le bruit,

Un Sauveur pour nous vient de naître?L'éclat fascinant de la gloire.

Quoique, dans un sombre réduit,??On peine, on tâche jour et nuit

Vous ne pouvez le méconnaître.??Pour graver son nom dans l'histoire.

L'enfant des enfants le plus beau??Mais moi qui n'aime que le vin,

Nous appelle avec allégresse??Un seul bruit frappe mon oreille :

À son berceau, à son berceau??C'est le trin-trin, c'est le trin-trin

Portez les dons de la tendresse.??De mon verre et de ma bouteille.


Certains textes restent plus fidèles à l'esprit du chant original. Le chant Çà bergers est né au XVIe siècle sous le nom de Où s'en vont ces gais bergers ? Voici les deux premières strophes du texte de cette pièce, telles que chantées en 1701.

Où s'en vont ces gais bergers,??Laissons là tout le troupeau,

Ensemble côte à côte????Qu'il erre à l'aventure,

Nous allons voir Jésus-Christ,??Que, sans nous sur ce coteau,

Né dedans une grotte.???Il cherche sa pâture.

Où est-il, le petit nouveau-né???Allons voir dans ce petit berceau

Le verrons-nous encore????L'Auteur de la Nature.

Un témoin de notre histoire

Le cantique (chant de langue française, court et facile) voyage de la France à la Nouvelle-France, où il s'implante entre 1534 et 1760, soit de la Découverte à la Conquête. Contrairement au noël populaire, le cantique subit fortement les remous de notre histoire. Il est d'abord utilisé hors de la liturgie (1615-1670) pour instruire le peuple sur les différents aspects de la religion. Ainsi, on plaçait des paroles pieuses sur des airs connus. Le cantique est aussi utilisé pour évangéliser les autochtones, parce que ceux-ci préfèrent de loin la musique religieuse à la musique profane et folklorique. Le père Lejeune traduit des chants religieux en langue huronne. Le plus connu de ces adaptateurs demeure Jean de Brébeuf, grâce au Noël huron. Écrit vers 1640, ce cantique est un des plus composés au Canada. Il s'agit en réalité d'un vieux noël du XVIe siècle qui doit sa musique à une vieille chanson d'amour, Une Jeune Pucelle. L'abbé Pellegrin (1663-1716) écrira plus tard Entends ma voix fidèle sur ce Noël huron.

Vers 1760, le régime anglais remplace le régime français en Nouvelle-France. Par contre, la tradition française demeure par le cantique. Menacé par la Conquête, le cantique français devient plus fort que jamais et se trouve une nouvelle mission : il devient un élément de la langue et de la religion qu'on veut garder.

Par conséquent, le cantique devient un témoin de notre histoire. Ainsi, la musique d'un vieux noël français, Or dites-nous Marie, sera reprise par un père récollet, aumônier des troupes françaises. Dans son texte, il veut souligner un exploit militaire qui aurait dû être joyeux : la victoire française de 1754, qui provoqua une riposte glorieuse pour l'Angleterre. Ce chant prend alors la forme d'une supplication à la Vierge Marie. Les paroles du XVIIIe siècle deviendront plus tard (toujours sur la même musique) le cantique connu Bel astre que j'adore, dont voici les paroles :

Soutenez, grande Mère, notre pauvre pays

Il est notre domaine,

Faites fleurir nos Lis,

Fortifier nos remparts.

La naissance des recueils de cantiques

Des réfugiés de la Révolution française feront aussi beaucoup pour le cantique. En 1819, l'abbé Daulé publie le premier véritable recueil de cantiques au Canada, élément déclencheur d'une tradition qui se poursuivra jusqu'au XIXe siècle.

Le recueil de cantiques le plus populaire de l'histoire demeure celui d'Ernest Gagnon. Sa première édition des Cantiques populaires du Canada français (1897) contient sept cantiques et noëls populaires. Les éditions un peu modifiées de 1909 et de 1938 sont certes les plus connues et les plus chantées encore de nos jours. Elles comprennent neuf cantiques et noëls :

  1. Venez divin Messie (origine : Laissez paître vos bêtes)
  2. Il est né le divin enfant (origine : air de chasse)
  3. Çà bergers (origine : Où s'en vont ces gais bergers ?)
  4. Les Anges dans nos campagnes (origine : peut-être de la Lorraine)
  5. Nouvelle agréable
  6. Dans cette étable (texte original de 1728 ; changements graduels dans les différentes éditions)
  7. Dans le silence de la nuit (origine : chanson à boire)
  8. Cher enfant qui vient de naître
  9. Notre divin Maître

« Le Canada français, devenu anglais malgré lui, chante haut et ferme devant ses maîtres qui n'osent pas lui imposer le silence. Il chante pour ses enfants et les enfants de leurs enfants, afin qu'ils n'oublient pas ces cantiques religieux au rythme desquels la première mère patrie endormait leurs berceaux, éveillait leurs jeunes âmes [...], et que de la sorte ce répertoire de mélodies nationales se transmettent comme un inestimable héritage. » C'est en ces mots que l'historien Ernest Myrand (1854-1921) évoquait le pouvoir des cantiques traditionnels. Plusieurs années plus tard, nous pouvons confirmer la puissance, mais surtout la pertinence, d'une telle tradition qui continue, Noël après Noël, à égayer nos festivités.


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(c) La Scena Musicale 2002