Ian Parker - Le Deuxième Concerto de Brahms : comme un festin Par Lucie Renaud
/ 1 décembre 2002
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Ian Parker, malgré ses 22 ans, a remporté un
nombre impressionnant de concours nationaux et internationaux, notamment le
Concours national des jeunes interprètes de CBC/Radio-Canada 2001 et la plus
récente édition de la Gina Bachauer International Piano Competition. Ayant
débuté l'étude au piano à l'âge de trois ans sous l'égide de son père, Edward J.
Parker (qui a également enseigné à ses neveux, Jon Kimura et Jamie Parker, tous
deux pianistes de réputation internationale), il a également suivi de nombreux
stages de perfectionnement avec Marek Jablonski au Banff Centre et au Ravinia
Festival à Chicago. Il étudie maintenant avec Yoheved Kaplinsky à l'École
Juilliard et y complète sa maîtrise. Invité de l'Orchestre Métropolitain du
Grand Montréal le 27 janvier prochain, il interprétera le Deuxième Concerto
pour piano de Brahms. Il nous parle avec fougue, passion et conviction de
cette œuvre maîtresse du répertoire.
En vérité, j'ai goûté à toute la musique de Brahms,
pas seulement à ce concerto. J'ai essayé plusieurs de ses séries de variations,
joué ses plus grandes sonates pour piano et sa musique de chambre : les sonates
pour violoncelle ou violon, le quintette avec piano. Avant de m'attaquer à ce
concerto, j'ai certainement fait mes devoirs, des recherches approfondies, et
j'ai interprété plusieurs fois toutes ses autres formes de musique. Cela me
convainc que j'ai gagné le droit de jouer l'un ou l'autre de ses concertos, que
j'aime tous les deux.
J'y rêvais depuis un moment. Le Deuxième
restait un projet un peu plus fou, par son côté grandiose, incroyable,
immense. Pourtant, quand je joue Brahms, je me sens tellement épanoui que
j'utilise chaque centimètre de mon corps pour pouvoir extraire de l'instrument
un son riche, large. On utilise tout le clavier et toutes les possibilités
sonores du piano.
En terme de construction, le Deuxième Concerto
diffère beaucoup des autres écrits pour cet instrument. On reste loin du typique
schéma des trois mouvements. Traditionnellement, le premier mouvement, rapide et
plein de bravoure, démontre la virtuosité de l'interprète. Le second est
généralement lyrique, magnifique, somptueux, délicieux. Le dernier mouvement,
qui mène l'excitation à son paroxysme, peut être un rondo. Pourtant, dans ce
cas-ci, nous découvrons tout le contraire. Le premier mouvement de ce concerto,
énorme, en contient toutes les composantes : des moments de bravoure très
brahmsiens, mais, en même temps, les qualités intrinsèques de ses pièces plus
légères, ses Intermezzi et ses Scherzi, par exemple.
Après ce mouvement, alors que vous en attendez un
deuxième rempli de douceur toute en longueurs, vous en découvrez plutôt un qui
ressemble à un troisième mouvement, plein d'intensité, d'excitation, qui vient
vous chercher, non seulement par l'oreille, mais aussi par les tripes. La beauté
romantique et la passion intense, presque sauvage mais toujours traitée avec
délicatesse, s'y livrent une combat constant. Bien sûr, il ne faut pas oublier,
lové au centre du mouvement, le passage le plus difficile : des volées d'octaves
qui semblent insérées là dans le simple but de vous terrifier ! Qu'arrive-t-il
généralement quand on vous demande des doubles octaves (c'est-à-dire exécutées
des deux mains en même temps) rapides ? Vous les jouez fort et staccato. Brahms
exige exactement le contraire : des doubles octaves pianissimo et le plus liées
possible. Toute une bataille ! J'aime beaucoup ce défi qui consiste à tenter
l'impossible et à le rendre possible.
Dans le troisième mouvement, où l'orchestre se
réserve toute l'ouverture – bien sûr, cela permet au pianiste de souffler ! –,
une évidence nous apparaît tout à coup : il ne s'agit pas d'un concerto pour
piano, mais plutôt d'une symphonie qui donne au piano un rôle de premier plan.
Tout ceci devrait être vu comme une gigantesque pièce de musique de chambre.
Vous jouez dans une équipe, vous n'êtes plus un soliste. Que le piano accompagne
l'orchestre, que l'on assiste à une conversation entre les deux, voilà ce qui
rend la beauté du troisième mouvement si unique. Vous devez traiter le troisième
mouvement comme un moment de réflexion, ou un bis, un peu comme si vous
terminiez un repas somptueux, mais lourd. Après avoir mangé du foie gras et du
steak, vous prendriez un dessert léger, peut-être un soufflé, délicieux,
agréable à l'œil, oui, qui a du caractère, et vous délaisseriez le gâteau dense
au chocolat. C'est exactement ce que propose ce concerto, contrairement au
Premier, constitué d'un premier service de foie gras d'une intensité
insurpassable, d'un deuxième très léger et du dessert au chocolat le plus
extravagant qui soit. J'aime bien traiter mes différents programmes comme des
repas. Vous ne pouvez pas simplement les regarder, vous devez plonger dans
l'expérience. Vous vous souviendrez toujours d'un repas Chez Gauthier. Il y a
quelque chose dans ce restaurant qui transforme tout repas en événement, en un
spectacle donné par le chef qui vous cuisine toutes les fois un nouveau festin
dont vous vous rappellerez toute votre vie. De même, je dois raconter une
histoire différente chaque fois, même si cette histoire tourne toujours autour
du concept mental que j'ai de l'œuvre.
Je me rappelle avec précision de ma première audition
du Deuxième Concerto. J'étais dans la voiture de mon professeur d'orgue,
au retour d'une leçon. Il m'a alors dit : « Écoute ce magnifique solo de
violoncelle. Peux-tu deviner qui l'a écrit ? » J'ai avancé le nom de Schumann.
Il m'a répondu : « Tu y es presque. » et il m'a révélé que c'était le
Concerto de Brahms. Pendant des années, après cela, je n'ai jamais
retrouvé ce solo de violoncelle parce que j'écoutais le Premier concerto
! Par la suite, mes parents m'ont offert un CD de Claudio Arrau contenant
les deux concerti. J'ai écouté et appris par l'oreille, par le cœur, bien
avant de me lancer à le jouer. Vous devez comprendre l'œuvre avant de pouvoir
vraiment l'apprécier. Sa beauté, c'est que vous pouvez la reconquérir encore et
encore.
L'émission RADIO-CONCERTS vous propose Trio
complice : Johannes, Yannick, Ian
Le lundi 27 janvier 2003 à 19h30, en direct du
Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts, la Chaîne culturelle de Radio Canada
présente un concert tout Brahms avec Yannick Nézet-Séguin à la barre de
l'Orchestre Métropolitain, et le pianiste Ian Parker, lauréat en 2001 du
Concours national des jeunes interprètes de CBC/Radio-Canada.
Au programme, le Concerto pour piano no 2 et la
Symphonie no 1 de Johannes Brahms
Animation : Françoise Davoine |
Réalisation-coordination : Odile Magnan
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