Pentaèdre : bonheur à cinq faces Par Lucie Renaud
/ 1 juin 2002
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Difficile de réunir en un même lieu les cinq membres du
quintette à vent Pentaèdre ! Entre les heures consacrées à l'enseignement, les
répétitions d'orchestre, les collaborations avec d'autres ensembles de chambre,
les répétitions en solo et la vie de famille (13 enfants à eux 5), rassembler
les cinq faces du polyèdre tenait quasi de l'utopie. Quand, in extremis,
les horaires se synchronisent, on a l'impression de basculer instantanément dans
un « party de cuisine » où se mêlent à parts égales énergie brute, complicité,
curiosité, grande capacité d'écoute et fous rires contagieux. Le plaisir de se
retrouver entre amis est palpable et on ne peut retenir la pensée fugace qu'avec
de tels lurons pour le défendre, l'avenir de la musique classique est
assuré.
Chimie
Comment préciser l'essence d'un ensemble qui, de prime
abord, peut sembler plutôt hétéroclite ? Les réponses fusent de cinq directions
et se complètent. Martin Carpentier, le clarinettiste, parle spontanément du «
quatuor à cordes des vents ». Normand Forget, le hautboïste et directeur
artistique, souligne le travail intensif auquel se livre l'ensemble qui, tout
comme les meilleurs quatuors, passe de nombreuses heures à explorer l'ultime
voie musicale. Il précise du même souffle, faisant référence à quelques
ensembles à vents mis sur pied récemment, que personne n'aurait l'idée de former
un quatuor à cordes ad hoc avec des instrumentistes qui ne se connaissent
pas intimement. Mathieu Lussier, le bassoniste, avance une analogie : « Ça peut
sembler une quête du Graal parce qu'il faut arriver à faire fonctionner cinq
instruments qui ont finalement assez peu de choses en commun, à part le fait que
ce sont des instruments à vent. » Jean-Marc Dugré, le corniste, avoue avoir tâté
du quintette de cuivres avant de se joindre au groupe, mais se sent maintenant
plus gratifié sur les plans du répertoire et du type de jeu. Danièle Bourget, la
flûtiste, conclut simplement, dans un grand rire : « Tu sors les cinq solistes
de l'orchestre et tu enlèves le chef ! »
Magie
Le mariage des sonorités se travaille au fil des nombreuses
répétitions auxquelles s'astreint le quintette. « Il faut trouver des moyens
pour jouer comme l'autre », souligne le corniste. On mentionne la chimie
essentielle entre les personnes impliquées mais surtout l'approfondissement du
répertoire en répétition. Un canevas des concerts est en effet déjà tissé pour
les trois ou quatre prochaines saisons – ce qui n'empêche pas les coups de coeur
en cours de route ! – et permet aux instrumentistes d'assimiler totalement les
réflexes de phrasé et de respiration. Les difficultés techniques deviennent
transcendées, permettant d'atteindre en concert un seuil de confiance totale.
Pas de longue séance de discussion stérile ici au sujet de l'attaque d'une
phrase ou de l'endroit où respirer : le tout se développe à force de jouer.
L'heure passe, personne ne regarde sa montre, les répétitions se prolongent,
comme les discussions complices qui en ponctuent le processus. Les repas
s'éternisent souvent et on imagine sans peine les gloussements réprimés et les
rires francs et sonores. Le clarinettiste ne peut se retenir : « Tout le monde
met son grain de sel... et son grain de poivre aussi ! Mais on essaie d'éviter
les grains de sable ! » On serait presque tenté d'appuyer le commentaire des
filles de Jean-Marc Dugré : « Franchement, vous ne répétez pas : vous passez
votre temps à rire ! »
Géométrie variable
Le choix des pièces se fait aussi à cinq. En plus des grands
classiques du répertoire – fort peu nombreux au demeurant – « revisités »
régulièrement, les membres du quintette s'offrent souvent le plaisir de la
découverte. Les magasins de musique sont écumés régulièrement, ici ou en
tournée, les catalogues sont recensés et Normand Forget et Mathieu Lussier
mettent souvent la main à la pâte pour adapter des oeuvres destinées à l'origine
à un autre type d'ensemble. Martin Carpentier mentionne le moment de grande
émotion ressentie quand l'ensemble a joué une transcription de
l'Intermezzo opus 118 no 2 de Brahms : « Nous avons réussi à
l'amener à un autre niveau en nous détachant de la version originale. » On
glisse aussi en douce la version des Kindertotenlieder de Mahler qui
avaient bouleversé le coeur des parents des membres de l'ensemble.
Les amis de mes amis
L'ensemble clôturera en grande pompe sa saison
15e anniversaire le 7 juin en se payant le luxe de jouer avec des
amis deux oeuvres immenses de « grande » musique de chambre : la Grand
Partita de Mozart et le Kammerkonzert de Berg. Le choix d'augmenter
les effectifs de l'ensemble relève pour Normand Forget de l'évidence : « Quand
tu fais une fête, qu'est-ce que tu fais ? Bien sûr, tu invites des amis, point à
la ligne ! » Amis inclura des instrumentistes à vent des Violons du Roy,
de l'Orchestre symphonique de Laval, du NEM, de l'OSM, de l'Orchestre
métropolitain et de Tafelmusik. Deux solistes se joindront à l'ensemble élargi :
la violoniste Pascale Giguère et le pianiste Jacques Drouin. Deux chefs
prestigieux se partageront le podium : Bernard Labadie pour le Mozart et
Lorraine Vaillancourt, témoin des premiers balbutiements de l'ensemble, pour le
Berg. Tant qu'à inviter des amis, on en profitera pour lancer le deuxième
enregistrement du quintette, dévoiler la programmation de la prochaine saison,
présenter une mini-exposition de l'artiste qui a réalisé la toile qui se
retrouve sur la pochette du disque (la bassoniste Nadina McKay) et, pourquoi pas
!, festoyer jusqu'aux petites heures du matin.
Le public se compose d'un noyau dur d'irréductibles qui
savent que, les soirs de concert, tout peut arriver. « Les fidèles sont les plus
chanceux, parce que c'est quand il n'y a rien de spécial que nous sommes les
meilleurs », explique Mathieu Lussier en souriant. Normand Forget s'inquiète du
détachement qui anime les musiciens d'orchestre face au mur psychologique que
représentent les grandes salles : avant le concert, les musiciens vérifient
leurs instruments, échangent des blagues avec leur voisin ou préparent leurs
outils. « Faire de beaux sons avec nos instruments n'est pas suffisant, souligne
Mathieu Lussier. Le moment de grâce doit se créer. Il faut trouver le moyen pour
transmettre ce que l'on ressent. L'émotion passe toujours moins qu'on pense. »
Danièle Bourget parle des regards échangés sur scène et du nombre de fois qu'on
lui a chuchoté à l'oreille, après un concert : « On dirait que vous aimez ça !
»
Les projets et les invitations abondent, des collaborations
s'esquissent avec des artistes de théâtre, de mime et d'opéra. « Tout est
possible, conclut le bassoniste. Tout le monde aime faire de la musique de
chambre, mais on a la chance incroyable de faire du quintette avec des gens
qu'on aime. » Avec des assises aussi solides, on peut bien réinventer la roue
!
Le concert aura lieu le 7 juin 2002 à
la Salle Redpath. Info : (514) 398-5145
Souvenirs de festival
L'ensemble a participé l'année dernière au
Festival de la Baie des Chaleurs et en garde un souvenir ému : cinq jours à
partager une grande maison et à travailler dans une communion totale avec le
Quatuor Arthur-Leblanc. Cet été, le quintette sera à CAMMAC et partagera sa
fièvre avec des amateurs, histoire de vivre « le bonheur brut de faire de la
musique ».
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