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La Scena Musicale - Vol. 7, No. 8

Points de rencontre

Par Lucie Renaud / 1 mai 2002

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Dans le cadre de ses initiatives en musique nouvelle, le Théâtre La Chapelle propose aux curieux et aux connaisseurs trois soirées qui exploreront les thèmes apparemment contradictoires de la création écrite et de l'improvisation. Trois compositeurs, Marie Pelletier, Malcolm Goldstein et Jérôme Blais, et deux ensembles réputés pour leur audace, les quatuors Bozzini et Quasar, joindront leurs forces pour faire tomber la barrière psychologique entre compositeurs et interprètes.

Rencontre entre deux ensembles

L'idée de réunir deux quatuors, l'un à cordes, l'autre de saxophones, en apparence opposés autant par leur nature que par leur répertoire, est pourtant venue tout naturellement au compositeur Jérôme Blais, le maître d'oeuvre de l'événement. Il fréquente depuis plusieurs années les membres du Quatuor Quasar, Jean-Marc Bouchard étant « son partenaire de toujours», et a également eu l'occasion de collaborer avec le Quatuor Bozzini, un des ensembles les plus importants sur la scène canadienne contemporaine, selon lui. Il a donc proposé une nouvelle version de sa pièce Con Stella, adaptée spécialement pour les deux formations, et a laissé carte blanche à ces dernières quant au choix de l'autre compositeur avec lequel il travaillerait. Habitués aux sensations extrêmes et aux défis relevés, les ensembles n'ont pas hésité un instant. Quasar a choisi d'interpréter Dehors/Dedans, une forme de théâtre instrumental dans lequel le mouvement et l'humour s'entrechoquent et surprendront, à n'en point douter, les spectateurs, puisque les saxophonistes occuperont tout l'espace du théâtre. Le Quatuor Bozzini a plutôt décidé de s'abandonner aux humeurs créatrices de Malcolm Goldstein.

La difficulté de l'équilibre sonore entre les deux ensembles a évidemment causé quelques tracas lors des séances de travail préliminaires, orchestrées par Jérôme Blais. Le compositeur a privilégié les couplages entre instrumentistes des deux groupes et a insisté sur la qualité de l'écoute. « Si tout le monde s'écoute, on entendra forcément tout le monde», résume-t-il avec justesse. Le travail d'imitation a été privilégié, mais aussi l'importance de l'utilisation des silences.

Polarisation entre écriture et improvisation

La partition de Jérôme Blais « Chantier pour l'éternité » reste pour les deux quatuors l'équivalent d'un leadsheet de jazz. Elle contient tout le matériel de base, les gestes qui permettront ensuite aux interprètes de s'en détacher pour improviser à l'intérieur d'un « périmètre de sécurité ». Le compositeur explique : « Le grand défi reste de concilier le structuré et l'imprévisible, que les deux puissent se nourrir mutuellement. Tous les musiciens n'étaient pas des improvisateurs-nés. J'ai choisi, pour cette version, d'avoir une structure formelle préétablie et très précise, assez souple toutefois pour laisser place à l'improvisation. De plus en plus d'interprètes dits « classiques » ont le goût de s'impliquer plus directement dans le processus de création et d'avoir un contact plus intime avec le compositeur, l'acte de création et la musique qu'ils interpréteront sur scène. Je ne vois pas mon rôle de compositeur comme étant moindre à cause de ces libertés que je donne aux interprètes, au contraire. Selon moi, le fait de laisser l'interprète s'approprier l'oeuvre est essentiel ».

Le langage de composition de Blais porte en son essence ce tiraillement entre les deux pôles du structuré et de l'improvisé. Dès son adolescence, Blais se sent écartelé entre les architectures de Bach, de Beethoven ou de Stravinski et l'énergie qui se dégage de Miles Davis, de Mingus ou de Jethro Tull. « L'équilibre entre le spontané et le structuré reste selon moi essentielle, affirme-t-il. J'ai également un goût pour la pulsation et la recherche du timbre. J'aime beaucoup jouer entre la fragilité d'un certain lyrisme de la mélodie et, en même temps, quelque chose de plus violent, de plus "percussif". Des sommets d'énergie côtoient des moments de grande douceur. C'est un peu une métaphore de notre sensibilité humaine. Concilier deux pôles contraires est finalement quelque chose de très humain. »

Dialogue entre interprètes et public

Le compositeur ne souhaite, pour le soir du concert, que des surprises agréables au public avec lequel il imagine déjà une rencontre unique. «Nous n'avons pas la prétention de réinventer la roue, mais nous avons quand même un concert qui n'est pas ordinaire », s'enthousiasme-t-il. Les dernières consignes qu'il soufflera à l'oreille des deux quatuors sont claires: « Surprenez-vous, surprenez-moi. Vous connaissez les limites. Si vous dérapez, vous savez que les autres interprètes sont sur la même longueur d'onde. » Quand le danger et l'imprévu font partie de l'équation, on peut faire des rencontres étonnantes.

Théâtre La Chapelle, les 2, 3 et 4 mai 2002. Info : (514) 843-7738. Au programme : Dehors/Dedans, théâtre instrumental de Marie Pelletier; A New Song of many Faces for in these Times, composition-improvisation structurée par Malcolm Goldstein et le Quatuor Bozzini; Con Stella, version pour piano et deux quatuors de Jérôme Blais.


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(c) La Scena Musicale 2002