Andante : un entretien avec Jean-Jacques Nattiez Par Dominique Olivier
/ 1 avril 2002
English Version...
Andante ne pose pas
de limites aux ambitions de ses collaborateurs. Avec un budget de cinq millions
de dollars, la musique classique a enfin une vitrine digne de ce
nom.
Pionnier de la
sémiologie musicale, chercheur dans des sphères aussi différentes que la musique
circumpolaire, l'esthétique wagnérienne, Proust et la musique et les écrits de
Pierre Boulez (notamment !), récipiendaire de nombreux prix importants,
Jean-Jacques Nattiez jouit d'une réputation plus qu'enviable dans le circuit
musicologique international. Professeur à l'Université de Montréal, fondateur de
la revue Circuit, éditeur des collections «
Sémiologie et analyse musicale » aux Presses de l'Université de Montréal et «
Musique/Passé/ Présent » chez Christian Bourgeois (au côté de Pierre Boulez),
auteur d'ouvrages traduits en plusieurs langues (Wagner
androgyne ; Tétralogies : Wagner, Boulez, Chéreau
; Musicologie générale et sémiologie ; Le Combat de
Chronos et d'Orphée ; La Musique, la recherche et la vie), directeur de la
nouvelle encyclopédie thématique sur la musique publiée chez Einaudi en Italie –
l'équivalent de Gallimard –, le musicologue était tout désigné pour occuper une
position stratégique au sein du site de musique classique le plus prestigieux
jamais créé : Andante. Enthousiaste et passionné, il
a accepté de nous parler du nouveau site ainsi que de ses projets qui concordent
étrangement avec ceux d'Andante...
L'initiateur et le
« moteur » humain d'Andante, c'est l'infatigable
Alain Coblence, Français vivant à New York, avocat, très grand mélomane et même
violoniste à ses heures. « En raison de son amour pour la musique, qui est
considérable, rapporte Jean-Jacques Nattiez, Coblence a été impliqué dans une
grande entreprise qui a très bien fonctionné pendant six ans : une académie
européenne de musique dans laquelle l'objectif était de mettre en contact les
jeunes interprètes de l'Europe de l'Ouest et de l'Europe de l'Est au lendemain
de la chute du Rideau de fer. Il a toujours voulu que l'approche de la musique
ne soit pas séparée d'une réflexion sur celle-ci et avait entendu parler de moi
à la faveur de cette académie, où on présentait de nombreuses conférences.
Lorsqu'il est venu à Montréal pour me rencontrer, il connaissait mes livres, mon
travail d'éditeur des textes de Boulez et m'a tout de suite demandé de faire
partie du comité consultatif d'Andante. »
Coblence avait
déjà décidé de consacrer un « site dans le site » au compositeur, chef
d'orchestre et penseur de la musique, Pierre Boulez. « Ce projet, dont je suis
responsable, précise Nattiez – assisté par le musicologue Jonathan Goldman – est
déjà très avancé. Son contenu comprend la discographie la plus complète qui
existe non seulement des oeuvres de Boulez, mais aussi de tout ce qu'il a
dirigé, la bibliographie sur Boulez préparée par Jonathan Goldman, un certain
nombre d'oeuvres dans la version audio accompagnées d'une sélection, opérée par
moi, des meilleurs articles de fond et études musicologiques pour chacune de ces
oeuvres-là. Je suis également en mesure d'annoncer que la vidéo de Répons sera prochainement disponible sur le site. »
Mais Jean-Jacques Nattiez ne compte pas s'arrêter là. Son but est clair : il
souhaite qu'on puisse un jour y trouver l'intégralité de l'oeuvre de
Boulez.
Andante ne pose pas de limites aux ambitions de ses
collaborateurs. Avec un budget de cinq millions de dollars, la musique classique
a enfin une vitrine digne de ce nom. « Alain Coblence agit en partenariat avec
un banquier parisien et avec le très connu Pierre Bergé, qui a été le directeur
de l'Opéra Bastille et le propriétaire d'Yves Saint-Laurent », précise Nattiez.
Enthousiaste, le collaborateur de première ligne décrit Andante comme un portail dans lequel on retrouve tout
aussi bien des concerts que des bases de données, des informations factuelles
sur les concerts et les soirées d'opéra un peu partout dans le monde, de
l'actualité – une chronique du genre magazine –, une radio qui diffuse 24 heures
par jour des oeuvres classiques dans des versions triées sur le volet – et sans
publicité ! –, des sites consacrés à des personnalités essentielles du monde
musical (Boulez et Fischer-Dieskau, entre autres), une « boutique » qui met en
vente une collection de disques unique, non disponibles en magasin, conçue à
partir d'enregistrements d'archives de très grands interprètes et d'ensembles
prestigieux, étayées de textes de fond sur les oeuvres. Dans une présentation
très élégante sous forme de coffrets rouge et noir, la collection « Andante »
est plus qu'alléchante et grossit à vue d'oeil. Jean-Jacques Nattiez ne cache
pas son engouement : « Même si cela n'est pas encore évident sur le site, je
suis en mesure de préciser qu'Alain Coblence a passé un accord de partenariat
avec l'Orchestre philharmonique de Vienne afin de publier toutes leurs archives.
Il y aura également toute la Scala, le Festival de Salzbourg, le London Symphony
Orchestra, l'Orchestre de Philadelphie, un ensemble de musique de chambre du nom
de Wigmore Hall et, ce qui est sur le point de se faire mais n'est pas encore
officiel, le Concertgebouw d'Amsterdam. Je peux aussi ajouter qu'une importante
négociation avec Pollini est en cours. »
Mais nous ne
sommes pas encore au bout de nos surprises. « Une des grandes idées de Coblence
– qui en a beaucoup, confie Nattiez –, et, selon moi, sa grande idée, tout à fait nouvelle du point de vue
médiatique, est la diffusion de vidéos de concerts prestigieux auxquels le
commun des mortels n'a pas accès parce que les billets sont hors de prix ou
envolés au bout de quelques heures. Déjà, le jour du lancement d'Andante à New York, l'enregistrement de Boulez
dirigeant la huitième de Bruckner à Linz trois jours avant était disponible sur
le site. » L'envergure de l'entreprise semble vouloir donner raison au
musicologue : « À une époque où le pourcentage de disques classiques publiés
diminue chaque année et où on assiste à la fermeture de plusieurs radios
classiques partout dans le monde, il se pourrait que ce site devienne l'option
fondamentale pour les mélomanes et les amateurs de musique classique.
»
La vocation plus
universitaire d'Andante rejoint d'autres aspects
importants de la carrière de Jean-Jacques Nattiez. L'Andante Academy, encore en projet, sera constituée par
une trentaine de musicologues disséminés sur la planète, choisis par Nattiez
lui-même et chargés de recommander les meilleures thèses qui leur seront passées
entre les mains. Celles-ci seront publiées dans leur langue originale, le reste
du site étant entièrement en anglais.
Par ailleurs, si
on a déjà accès sur le site à une version abrégée du New
Grove Dictionary of Music and Musicians – LA référence en fait de
dictionnaire musical actuellement –, Andante sera
éventuellement l'hôte d'une entreprise colossale : la version anglaise de l'Enciclopedia della Musica en cours de publication
chez l'éditeur italien Einaudi. Si Jean-Jacques Nattiez parle de « cadeau
empoisonné » lorsqu'il aborde son énorme travail encyclopédique avec l'Italie,
on sent toutefois chez lui une grande fierté et un désir de rendre cet outil
original accessible au plus grand nombre de gens possible. Le premier volume,
paru en italien en mars 2001, est consacré au xxe
siècle. Surprenant ? C'est ce que son initiateur souhaitait. « J'ai voulu
que l'encyclopédie soit polémique dans sa structure, par rapport à la manière
habituelle d'aborder la musique. » Pas d'ordre alphabétique, ni de recherche
d'exhaustivité : l'ouvrage est thématique et aborde des sujets tels que musique
et nature, la modernité, la voix, etc. Le second volume sera consacré au savoir
musical, le troisième, aux musiques extra-européennes et le quatrième, à
l'inévitable histoire de la musique, vue, bien sûr, sous un angle
inusité.
Publier en ligne
cet ouvrage considérable n'est pas une mince affaire. « La chose est en
négociation, insiste Nattiez. Quatre fois 1 300 pages, avec 230 articles et 185
auteurs, cela pose quelques petits problèmes... En revanche, il y a une volonté
absolue de la part d'Alain Coblence d'avoir une encyclopédie clé en main
totalement inédite en anglais sur son site. » De quoi défier toute concurrence !
En version papier et en italien d'abord, le second volume sera lancé le 23 avril
prochain au Salon du livre de Turin. Mais la bonne nouvelle, pour nous,
francophones, est la publication de cette encyclopédie – version papier toujours
– chez Actes Sud, avec une possibilité de coédition avec une grande maison
québécoise. Si Jean-Jacques Nattiez est né en France, il a choisi le Québec
comme terre d'élection et compte bien soutenir le développement de la jeune
musicologie de chez nous. Il est d'ailleurs remarquable que le premier volume
contienne à peu près autant d'articles d'auteurs québécois que français. Le
lancement du premier volume en français se fera en mars ou en avril 2003 dans le
cadre de Musicora 2003, ce salon de la musique où le Québec sera l'invité
d'honneur. Quant à sa parution en ligne sur Andante,
nous serons patients. En attendant, le site a de quoi nous occuper pour
longtemps !
English Version... |
|