Les festivals de musique contemporaine : fête ou utopie ? Par Claudine Caron
/ 1 décembre 2001
English Version...
Depuis la création du festival de Donaueschingen en Allemagne, les festivals de musique contemporaine jouent un rôle fondamental dans la diffusion de cette musique sur les scènes nationales et internationales. À la première édition du festival allemand, en 1921, la Sonate op. 1 de Berg ainsi que le Quatuor op. 16 de Hindemith figuraient au programme. Un
an plus tard, un second festival est créé à Salzbourg par l’International
Society for Contemporary Music. Cette entreprise internationale, encore à
l’oeuvre aujourd’hui, produit annuellement un festival itinérant. Au nombre de
ses villes d’accueil, on compte : Venise (1926), Francfort (1928), Oxford
(1931), Amsterdam (1933), Prague (1935), Barcelone (1936) et Londres (1937).
L’édition de 2002 aura lieu à Hong Kong. En France, les prémices des festivals
de musique contemporaine sont établies à Paris, dans l’entre-deux-guerres, par
la Société Musicale Indépendante. Un concert « festival » est consacré à
l’oeuvre d’un compositeur en particulier, tel que Gabriel Fauré, Maurice Ravel,
Albert Roussel, Florent Schmitt, Arnold Schoenberg ou Ernest Bloch. Dès lors,
les festivals s’étendent d’un bout à l’autre du pays, en réaction, entre autres,
à la centralisation des événements culturels tenus à Paris. Ils naissent dans
des villes comme Bourges, Caen, Lille, Royan, Saint-Étienne et
Saint-Paul-de-Vence. À partir des années soixante, les festivals de musique
contemporaine se multiplient, et ce, sur plusieurs continents. Éphémères ou
durables, ils apparaissent en nombre variable, notamment en Amérique, en Asie et
en Europe. Comment la musique contemporaine peut-elle être l’objet d’un festival
alors qu’elle est rigide, essentiellement intellectuelle et quotidiennement
soutenue par des cénacles
?
Selon l’Association des festivals de musique européens, un festival est d’abord une fête. Les concerts présentés doivent se démarquer de ceux des séries régulières. Le choix des oeuvres aux programmes, leur interprétation, les lieux et la concentration des événements sont autant d’aspects à considérer pour susciter des moments exceptionnels. Certains critiques qualifient ces événements de « concerts excessifs » alors que d’autres en vantent « l’éclat intense ». L’abondance ne fait-elle pas partie de la fête ?
Marie-Claire Mussat, auteure d’un article sur les festivals de musique contemporaine en France, insiste également sur le caractère festif de ce genre d’événements et souligne leurs traits spécifiques. Elle affirme que le festival doit constituer un moment d’exception, être une fête et être vécu comme telle. Il est un espace de liberté pour le créateur, de tolérance pour l’auditeur, un extraordinaire moment de convivialité où, de la surprise, peut naître l’émotion. Les expériences exceptionnelles font rêver. Par exemple, au Festival SIGMA de Bordeaux en 1967, le compositeur Pierre Henry fait enlever les fauteuils de la salle, laissant le public s’installer comme il le désire. En 1971, au Festival de Royan, la plage devient une salle de concert lors de la soirée destinée aux oeuvres de Xénakis.
« Jean, étonne-moi », disait Diaghilev à Cocteau, et c’est sans doute ce que l’on attend de tout festival, peut-être plus encore d’un festival de musique contemporaine. À la lumière des comptes rendus, le public présent aux événements d’un festival de musique contemporaine est curieux, en quête de nouveauté et souvent nombreux. Le regroupement des concerts sur une brève durée, la convergence des efforts de plusieurs organismes, l’originalité et l’internationalité de la programmation constituent autant d’attraits. D’après Constantin Reganey, le festival Automnes de Varsovie attire annuellement des foules considérables et transforme la vie de la capitale polonaise. Il soulève que les problèmes de la musique contemporaine deviennent alors l’affaire de tout le monde. Le festival itinérant New Music Across America privilégie les petites villes en défendant l’idée, avec raison, que ce sont des endroits où la musique nouvelle ne se rend pratiquement jamais. Parmi les 14 villes américaines du festival de 1992 figurait même Helena (dans l’État du Montana), une ville de 25 000 habitants où environ 25 personnes sont passionnées de musique nouvelle ! Selon les critiques, le nombre d’auditeurs oscillait entre 200 et 800 pour chaque événement.
Est-ce un paradoxe que cette attirance d’un grand nombre pour une matière difficile d’approche ? La fête et l’art émeuvent les êtres humains et répondent à des besoins à la fois individuels et collectifs. Les festivals de musique contemporaine rassemblent des moments uniques et « live », transforment parfois la salle de concert ou occupent des lieux inusités, modifient les habitudes d’écoute, offrent la scène publique à des artistes généralement isolés et divulguent, pour l’auditeur commun, une forme d’art en marge de sa vie quotidienne, idéalement dans des cérémonies exceptionnelles. Malgré les réussites, le défi de communication reste de taille et la pluralité des réactions engendrées est réelle. Pierre Mercure, instigateur de la Semaine internationale de musique actuelle tenue à Montréal en 1961, annonça, après la présentation d’une pièce qui avait choqué (jeu directement dans les cordes du piano, outillage inhabituel) : « un entracte de dix minutes pour les fossiles, les hystériques et les autres. » Bonheur des uns, malheur des autres : la subtilité des perceptions induit à une lecture stratifiée. À la suite du festival Présences 99, tenu à Paris et lors duquel une part de la programmation était consacrée à la musique québécoise, Jean Boivin rapporte que ce fut une véritable fête pour les compositeurs qui ont pu assister à l’événement. « Tant de concerts de qualité mettant en vedette des interprètes de très haut calibre, présentés devant un public attentif et généralement nombreux, voilà qui a de quoi redonner de l’énergie à un créateur. » D’un point de vue plus global, Gerhard Brunner affirme que le festival de Graz, en Autriche, constitue une fête et qu’il ne doit pas être compris comme un étalage pompeux, mais comme un inventaire spirituel, une analyse lucide et impitoyable du temps présent.
Les enjeux politiques et économiques estompent parfois les considérations purement artistiques. Comme le rappelle Marie-Claire Mussat, la dimension internationale des festivals flatte les édiles municipaux ou régionaux, justifie les subventions et stimule les organisateurs. Par conséquent, organiser des concerts en se basant essentiellement sur des motivations extramusicales conduit le plus souvent à des expériences inintéressantes.
Malgré la vitalité, la qualité et l’originalité des musiques présentées, les considérations sociologiques et politiques liées à la musique contemporaine occupent un rang important. Le festival est toujours un des ultimes cadres prescrits pour la diffusion de ces musiques en marge de la culture de masse, célébrant quatre-vingts années de création, dans des pays fort éloignés, et rappelant le parcours de, notamment, Xénakis, Boulez, Messiaen, Bério, Nono et Vivier
Claudine Caron a remporté le premier prix (articles en français) de notre concours d’articles étudiants.
English Version... |
|