La compagnie de Pauline Vaillancourt, Chants Libres, présentera en première mondiale la création du Manuscrit trouvé à Saragosse, oeuvre basée sur un
roman du Polonais Jan Potocki et adaptée par Alexis Nouss. Une distribution de
neuf chanteurs et les membres de la Société de musique contemporaine de
Montréal, sous la direction de Walter Boudreau, donneront vie à la partition
musicale.
Le Manuscrit trouvé à
Saragosse de Jan Potocki est un roman presque mythique et un des jalons à peu près oubliés de la littérature fantastique. Écrit entre 1804 et 1814, il connaît une histoire mouvementée tout à fait digne de son contenu: première édition en seulement 100 exemplaires, perte de la version d’origine, modifications non autorisées, plagiat et attribution à un prétendu Journal de Cagliostro, etc. Tout ceci pour en arriver à
la version française complète, retraduite et disponible depuis 1989
seulement.
On y parle de pendus, de revenants, de spectres,
d’étranges démons et de succubes avides. Un militaire doit parcourir une contrée
mystérieuse pour se rendre à un rendez-vous avec le roi d’Espagne. En chemin, il
lui faut affronter des épreuves lancées contre lui par les êtres du mal. Il
remet alors en question ses propres valeurs et celles de sa culture, tout en
essayant de conserver les apparences de la pureté.
L’aristocrate polonais Potocki était à la fois historien,
archéologue, sociologue, grand voyageur, écrivain, libertin, athée,
anticlérical, philosophe et doué d’une remarquable ouverture d’esprit. Il notait
soigneusement coutumes et rites de toute sorte et s’en inspira pour son roman.
Il se suicida sans raison apparente, en 1815, avec une balle de fusil qu’il
avait fait bénir «au cas où Dieu existerait».
Le compositeur José Evangelista, né à Valence en 1943, connaît bien le roman de Potocki. «Tout jeune, je me souviens d’avoir été fasciné par la version de 1958. Puis, en 1989, à la sortie de la version complète, je me suis replongé avec bonheur dans ce monde fantastique. Depuis, je pense et je travaille à cet opéra. J’en ai parlé à Alexis Nouss, que je connaissais depuis notre collaboration dans La Porte
en 1987. Celui-ci a accepté de participer au projet et a réalisé un merveilleux
livret, très respectueux de l’oeuvre d’origine. Il a réussi à conserver
intégralement les mots de l’auteur pour en faire un opéra compréhensible et
exécutable de durée moyenne.»
«Je me suis donc amusé à créer différents niveaux
d’impuretés, puisque le roman est lui-même bourré d’idées impures et d’éléments
culturels disparates, à la fois authentiques et amalgamés à une foule d’autres.
Il y a donc des mélodies folkloriques espagnoles recopiées telles quelles, une
mélodie grecque, des éléments de musique séfarade, ashkénaze, des mélodies de
tendance folklorique de mon cru, transformées par certaines couleurs
modernistes, etc. Potocki n’abordait pas les cultures qu’il étudiait avec un
regard hautain. J’ai donc souhaité approcher ces influences musicales avec
spontanéité et grand respect.»
Même s’il est enthousiaste sur sa création, le
compositeur est plus circonspect quant à l’avenir de la musique contemporaine en
général. Il considère que les compositeurs d’aujourd’hui doivent intégrer les
discours, les techniques, les tics de la musique de variétés ou pop pour créer
une musique savante vivante qui, tôt ou tard, sera reconnue comme plus avancée
que ses origines naïves.
Wajdi Mouawad a prévu une mise en scène très ludique de
cette fresque aux accents imaginaires. «J’ai voulu que les chanteurs s’amusent!
J’ai voulu briser leurs chaînes habituelles, les faire chanter la tête en bas,
des trucs comme ça.»
C’est une oeuvre qui se prête bien à ce type d’exercice,
de par sa facture très fantastique. Il n’y a pas de reconstitution historique ni
aucun élément reconnaissable de la temporalité de l’oeuvre.
Le caractère très actuel de l’oeuvre a fasciné le metteur
en scène. Sur le plan de la structure, l’histoire se déroule à la manière d’une
musique minimaliste de Steve Reich (une même cellule, ou histoire, se répète sur
plusieurs journées avec de subtiles variations conduisant vers un but final).
Les images utilisées anticipent à la fois le romantisme, le symbolisme, le
surréalisme et met en place les bases de la littérature fantastique.
«Le héros est confronté à des discours dominants et dominateurs, militaires, érotiques, religieux, etc. Il s’aperçoit que ses propres valeurs, son mode de vie, sa religion, ne sont pas si différents de ceux d’autres cultures. Il y a alors remise en question, naturellement. Le héros doit donc apprendre à absorber ces discours tout en refusant de s’y perdre. La question est donc de savoir comment dialoguer dans la discorde.»
Coté musique, Wajdi Mouawad a laissé carte blanche au compositeur, José Evangelista.«C’est son opéra, pas
le mien. Je lui ai donné des conseils sur le rythme dramaturgique, par exemple
de raccourcir le temps alloué à une scène en particulier, mais rien de plus.
C’est sa vision de l’oeuvre qui compte.»
Lui qui admet n’avoir jamais «considéré» l’opéra se dit
pourtant transporté par la fièvre créatrice de Pauline Vaillancourt: «Elle est
devenue importante dans mon développement en ce sens. Elle m’ouvre un univers
fascinant et mystérieux. Mystérieux parce que, dans sa faisabilité, la musique
est le seul art qui demeure un mystère pour moi.»
Wajdi Mouawad n’en a pas terminé avec l’opéra de création, puisqu’il prévoit reprendre sa collaboration avec Chants Libres et Pauline Vaillancourt en 2002 pour une version «opéra pour enfants» de sa pièce jeunesse Pacamambo. À suivre. Manuscrit trouvé à Saragosse sera présenté du 22 au 24 novembre (voir
calendrier pour détails).