Si le jazz m’était conté Par Marc Chénard
/ 1 décembre 2000
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Six ans de travail, un budget
dans les sept chiffres, des milliers d’heures de documents
d’archives, voilà en un mot les principaux effectifs
déployés pour l’un des plus ambitieux
documentaires dans les annales de la télévision
américaine. Intitulée tout simplement
«Jazz», cette série de 9 émissions
étalées sur 19 heures sera diffusée sur le
réseau PBS à compter du 8 janvier prochain.
Son réalisateur, Ken
Burns, s’est taillé une réputation enviable dans
le créneau du documentaire, ayant déjà
signé des séries sur la Guerre civile et le baseball.
En entamant son plus récent projet, M. Burns avoua
connaître peu du sujet, si bien que sa propre collection de
disques était très pauvre en jazz. Six ans plus tard,
il clame tout haut que sa collection d’antan est
désormais perdue parmi ses piles de jazz.
Pour mener son entreprise
à terme, Burns a obtenu l’appui des grandes
sociétés phonographiques dont Universel et Sony. Du
même coup, un éventail de produits dérivés
a aussi vu le jour: outre les émissions, un coffret
anthologique de cinq compacts vient d’être mis en
marché, tout comme un disque simple de faits saillants, pas
moins de 22 titres portant sur des artistes individuels et une brique
de500 pages.
En dépit du grand
battage mercantile qui entoure cette production, des questions se
posent déjà. Bien que respectant le
développement chronologique du jazz, la série met
l’accent sur les premiers jalons et son évolution
jusqu’au bop. En contrepartie, le documentaire comprime les 40
dernières années dans le dernier épisode de deux
heures! Dans l’introduction du livre, Burns soutient que le
musicien ultime de jazz demeure encore Louis Armstrong et on ne
manque pas de revenir à l’éternel Satchmo tout au
long de l’ouvrage. Bien qu’il se défende de
n’avoir pas créé sa série pour les
connaisseurs mais plutôt pour les néophytes, il appert
tout de même que son parti pris historique donne
l’impression à plus d’un que le jazz est une musique
du passé, un art de répertoire et non un art en
mutation constante.
Raconter cent ans
d’histoire en dix-neuf heures c’est peu; beaucoup de noms
sont omis en cours de route. Il faut noter cependant que Burns a
engagé une équipe d’historiens et de journalistes
aguerris pour construire la trame narrative, mais même ces
derniers ont regretté quelques-unes des absences.
Tout comme dans ses
documentaires précédents, Burns cherche à
démontrer que le jazz est, lui aussi, un des piliers de la
culture américaine. Mais le jazz a eu un effet plus
retentissant par-delà ses frontières que le baseball ou
la Guerre civile n’en ont eu. Toute cette dimension
internationale de son histoire est a peu près passée
sous silence (et le livre ne fait qu’effleurer Django Reinhardt et le jazz dans les camps
nazis).
Quant à la conjoncture
actuelle du jazz, Burns s’en remet à nul autre que Wynton
Marsalis, le grand apôtre (et démagogue par excellence)
de l’historicisme. On notera d’ailleurs que les quelques
photos des musiciens de la relève du jazz (américain,
bien entendu) n’apparaissent que dans l’index du livre,
minimisant ainsi les enjeux du temps présent.
Il faudra donc attendre la
diffusion de la série au complet pour en tirer des
conclusions, mais on devra tout de même se montrer circonspect
dans l’appréciation de cette grande fresque
télévisuelle.
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