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La Scena Musicale - Vol. 6, No. 3

Jean-François Laporte : de nouveauté en nouveauté

Par Noémie Pascal / 1 novembre 2000

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Le jeune compositeur Jean-François Laporte est de plus en plus présent dans l’actualité musicale: on l’a entendu à deux reprises dans le cadre des symphonies portuaires du Musée Pointe-à-Callière (mars 1999 et 2000), dans une série de trois concerts au Théâtre La Chapelle l’automne dernier (Rituel instrumental, Rituel expérimental et Rituel électroacoustique), et comme initiateur de la symphonie ferroviaire au Musée de Saint-Constant (17 juin 2000). Ses œuvres ont été interprétées à plusieurs reprises non seulement à Montréal, mais également en Belgique, en France, au Portugal, et le seront bientôt au Japon. À ce jour, la critique montréalaise l’a couvert d’éloges, disant qu’il ´transforme en poème la trivialité et la banalité par sa seule imagination artistique intègreª. (Le Devoir, F. Tousignant) Jean-François Laporte propose une musique unique, à la fois simple et nouvelle, toujours issue d’explorations timbrales inusitées. Son geste créateur, tourné vers la découverte sonore, traduit bien sûr un goût pour la recherche et la nouveauté, mais également une conception toute personnelle de l’art musical et de son rôle.

Enfant, Jean-François Laporte est déjà attiré par la musique. Toutefois, les quelques leçons de piano qu’il suit ne l’incitent pas à persévérer: ´La musique me semblait beaucoup trop intellectuelle et pas assez intuitive.ª En travaillant avec son père sur des chantiers de construction, il aiguise son goût pour le travail concret et le contact direct avec la matière. Il passe alors beaucoup de temps à travailler le bois, puis entreprend des études en génie civil. Il travaille pendant deux ans dans un laboratoire de recherches sur le recyclage de l’asphalte, participe à un échange interculturel de huit mois avec le Zaïre, et décide finalement de tenter sa chance en musique. En 1993, âgé de 25 ans, il s’inscrit au cégep en guitare classique.

Très rapidement, le nouveau musicien se consacre à la composition et acquiert un style musical très personnel, marqué par des sonorités inconnues jusque-là et l’utilisation particulière des instruments traditionnels. Des œuvres comme Hommage (trompette), Confidence (violon) ou Intimité (flûte) font surgir des sons nouveaux d’instruments pourtant très familiers. Puis Jean-François Laporte élargit son champ d’exploration avec des installations sonores et l’emploi d’objets insolites. En 1998, le créateur se met au défi de composer au moins deux œuvres par année pour instruments non conventionnels, sans pour autant abandonner l’électroacoustique et les instruments traditionnels. ´La question que je me posais, dit-il, était: est-il aussi possible de faire de la musique avec ce qui nous entoure?ª Son ensemble, Totem Contemporain, consacre heureusement des concerts complets – comme ceux de la série Rituels – à la création de ses œuvres expérimentales. C’est ainsi que les mains du compositeur ont réussi à faire chanter des billes (BlaBlaBla), des ´ballounesª (Dégonflement) et des lames de scie (Chemin de croix).

Petit à petit, ces expériences conduisent Laporte à fabriquer lui-même des instruments répondant mieux à ses besoins, à partir de matériaux appartenant à son environnement: canettes d’aluminium, ´ballounesª, tubes de plastique et bols de métal se muent en Cannette sifflante, Tu-Yo, Sirène volante et Bol magique. Inscrit en maîtrise à l’Université de Montréal, Laporte s’emploie actuellement à développer ces instruments inventés, particulièrement le Tu-Yo. En utilisant la respiration circulaire, le musicien tire de ce tube des sonorités d’une richesse incroyable qui évoluent de manière continue. Il en résulte une musique paisible et fluide qui porte facilement à la réflexion, au recueillement et à la méditation.

Jean-François Laporte a également une manière bien à lui d’exploiter le potentiel de ses sources sonores, notamment l’espace physique des lieux de création. Ses musiciens sont rarement tous installés sur la scène, mais plutôt répartis de part et d’autre de la salle ou de l’espace extérieur où ils jouent. Dans ces conditions, le public peut vivre d’une tout autre façon la musique, englobé par le son qui vibre autour de lui. Le compositeur fait ainsi sortir la musique contemporaine du cadre strict des salles de concert traditionnelles. Par exemple, on a pu entendre en mars dernier Tschiluétum, œuvre conçue pour l’espace acoustique du Vieux-Port de Montréal, où les musiciens munis de Tu-Yos et de Sirènes volantes étaient disséminés autour de la place Royale (qui recevait le public), ou encore sur les toits des édifices environnants.

Les nouvelles sonorités employées par Jean-François Laporte ont en grande partie pour origine ses expériences extramusicales. En effet, il travaille avec les sons comme son père lui a appris à travailler avec la matière brute: il manie les objets sonores, les explore en pur étranger, posant sur eux un regard neuf qui rompt avec la tradition. Alors que ses mains manipulent l’instrument sous tous ses angles, ses oreilles demeurent éveillées à la moindre fluctuation sonore. De ces gestes naïfs jaillit un potentiel sonore entièrement neuf.

Cette démarche prend source dans le besoin profond qu’éprouve le compositeur d’entrer en relation directe avec la matière. S’il s’est tourné relativement tard vers la profession musicale, c’est justement parce que les écoles lui ont laissé très peu de place pour l’exploration et la créativité. Encore aujourd’hui, codes et modes d’emploi constituent l’essentiel de l’enseignement, ce qui n’encourage pas le contact avec la matière. On incite en général à apprendre la musique par les notes, les rythmes, les règles d’harmonie, mais sans nécessairement la faire comprendre. Comprendre la musique, pour Jean-François Laporte, c’est comprendre le son, le connaître, savoir l’écouter pour mieux le faire parler, c’est le sentir vivre, être en contact avec lui. En choisissant de se fier plutôt à son instinct, en abordant les instruments comme s’il ne connaissait rien d’eux, le compositeur a trouvé sa propre voie, il s’est ouvert au potentiel musical de toute source sonore. Jean-François Laporte entend de la musique partout, et veut partager sa vision du monde avec qui veut l’écouter. Ses dernières représentations publiques montrent qu’un nombre croissant de mélomanes s’y intéressent.

La musique de Jean-François Laporte attire inévitablement la curiosité: on veut entendre évoluer des sons nouveaux, on veut voir des instruments jamais vus. Or, la nouveauté ne suffit pas à créer une œuvre: il faut aussi qu’elle soit empreinte de ´magieª. Cette magie est présente. Une atmosphère unique se dégage des œuvres de Laporte où l’ ´in-ouïª invite à la découverte, où la subtilité des mouvements sonores communique un état de concentration extrême.

Actuellement, le compositeur travaille à développer le Tu-Yo en tant que jouet musical. Cet instrument, simple à jouer et riche en sonorités, ne fait appel à aucune connaissance musicale mais plutôt à la curiosité créatrice. C’est un moyen pour les enfants d’entrer directement en contact avec le monde des sons. Exactement ce que Laporte, tout jeune, aurait souhaité trouver sur son chemin.n

Noémie Pascal a remporté le 2e prix (articles français) de notre concours d’articles étudiants 2000.


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