Sublime, déroutant et original Par Frédéric Cardin
/ 1 octobre 2000
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« L’enfant des glaces », opéra électronique de Zack
Settel, sur une mise en scène de Pauline Vaillancourt, est une oeuvre
« techno-symboliste » où la fable moderne, le surréalisme et le
futurisme font bon ménage.
- Frédéric Cardin
La nouvelle aventure que nous propose la compagnie Chants libres de Pauline
Vaillancourt est une deuxième incursion sur le terrain de la fusion entre
musique électronique et chant lyrique. Même si dans la (relativement) courte
histoire de cette forme d’art, certaines oeuvres apparaissent déjà comme des
chef-d’oeuvres (telle le « Licht » de Stockhausen, monumental cycle de
7 opéras, ou encore « The Cave » de Steve Reich, plus multimédia que
vraiment électronique), ce territoire encore assez peu défriché permet une
grande liberté créatrice.
On peut parler, dans le cas de « L’enfant des glaces », d’une
oeuvre extrêmement bien réussie, par moments bouleversante, à d’autres
touchante.
Tous les éléments, visuels et musicaux, sont magnifiques, d’un esthétisme à
la fois savant et profondément humain. Car il s’agit bien ici d’une oeuvre qui
fait appel à une large palette d’émotions humaines, habilement chorégraphiées
dans une fable aussi actuelle qu’intemporelle.
Le scénario est basé sur le fait réel de la découverte du corps momifié d’un
enfant sacrifié sur une montagne du Pérou il y a 500 ans. De là, le reste est
fabulation, prétexte à une réflexion sur le contact entre deux cultures
(générations?) différentes, entre tradition et modernité, entre mémoire et
nouveauté.
Un scientifique découvre l’enfant des glaces (qui reprend miraculeusement
vie, ou alors n’est-ce que son esprit?) et l’amène dans son monde (le nôtre?).
Réticences, puis attrait, exaltation, jusqu’à une apothéose caclysmique où
l’homme est terrassé par la force de sa propre technologie, pour finalement
aller prendre la place de l’enfant dans la glace-mère, paisible et éternelle,
laissant l’enfant reprendre le flambau de la poursuite en avant.
Le comédien Jean Maheux incarne le scientifique. En ce sens, il est un
symbole de la société moderne, technologique, à la fois attirante et
corruptrice, exaltante et potentiellement destructrice. Pauline Vaillancourt
entre bien dans la peau de l’enfant qui malgré son apparente fragilité, saura
être la plus forte à la fin. Mme Vaillancourt bénéficie d’une partition
relativement plus lyrique, plus « accessible » qu’à l’habitude, mais
s’en acquitte avec beaucoup d’intensité, reflétant en cela l’excellente
interprétation de Jean Maheux, qui possède une fort belle voix. La complicité
des deux interprètes est évidente, et il se dégage de cette performance un
intensité qui est palpable dans la petite salle Beverly Webster Rolph du Musée
d’art contemporain.
Esthétisme pour l’oeil
L’esthétisme visuel de ce spectacle confère presque une impression de féérie
sur certaines scènes. Prenons par exemple le « véhicule » du
scientifique, métaphore évidente pour la technologie du monde moderne dans son
ensemble. Avec son look victorien post-apocalyptique, on dirait un croisement
entre « Mad Max » et la Machine à voyager dans le temps de H.G.
Wells.
Et que dire de la scène du début, où l’on voit l’enfant pris dans une glace
simulée par un voile éclairé de teintes turquoises, blanc laiteux et
violet-lilas. Les couleurs, grâce au jeu d’éclairage subtil, se meuvent en
cascades lumineuses d’une grande poésie, mouvements qui illustrent la fonte de
la glace et le réveil de l’enfant.
Du bonheur au malheur
Un moment fort de la pièce est le contact entre les deux
êtres/générations/cultures. Situés de part et d’autre d’une plateforme de métal
horizontale, séparés par une frontière habilement suggérée par un
« mur » de lumière, les deux personnages se voient, puis se
rapprochent. Après les premières hésitations, l’enfant succombe à l’attrait de
l’autre, étrange manifestation d’un avenir inconnu irrésistible mais inquiétant.
Ici, le langage corporel des deux interprètes intègre fort bien certaines
techniques de danse moderne.
L’union entre l’enfant et l’adulte, contact ultime, se réalise par une
symbolique sexuelle assez explicite mais subtilement chorégraphiée. Les deux
personnages succombent alors à l’exaltation et la jouissance. Ils s’abandonnent
totalement à la Technologie, s’y confondent dans une frénésie totale, véritable
orgasme bio-mécanique où l’identité de l’être, de l’individu est complètement
subjuguée et, finalement, anéantie par son rapport de soumission à cette
Technologie. Cet élément déclencheur devrait amener les plus lucides à une
réévaluation des liens étroits que nous entretenons de plus en plus face à la
gadgetterie moderne.
Qu’en déduire?
La finale est pour est pour le moins énigmatique. Le scientifique reprend ses
esprits, puis, après avoir été le pourvoyeur de la Technologie, l’instrument de
sa propre perte, il retourne vers la glace originelle et prend la place tenue au
début par l’enfant, laissant celle-ci seule avec elle-même et ses remords.
Est-ce que l’enfant deviendra le nouveau pourvoyeur de modernité? L’ancienne
génération fera-t-elle place à une nouvelle en tombant dans l’oubli frigorifié
de l’Histoire? Difficile à dire.
Cette partie semble ouverte au jugement du spectateur averti. Peut-on y voir
une autre métaphore? Celle, par exemple, de nouvelles idées ou encore de
mouvements artistiques? N’est-il pas vrai que dans l’histoire de l’art la
plupart des créateurs de nouveauté sont d’abord apparus excitants, puis ont
toujours fini par être dépassé, figé par l’inexorable marche humaine vers
l’avant? C’est une réflexion qui en vaut bien une autre.
Et la musique?
Si on s’en tient à des références visuelles, on pourrait la qualifier de
lumineuse comme un Marcelle Ferron, toute en arabesques lyriques comme un
Pollock ou même expressionniste comme un De Kooning.. La musique de Zack Settel
est à la fois un stimulant et un contrepoint à la poésie visuelle de
l’éclairage, des costumes, du langage corporel et de la mise en scène
intelligente de Pauline Vaillancourt. Bref, il s’agit d’un mariage très réussi
de différents domaine de la création actuelle montréalaise.
« L’enfant de glaces » a tout le potentiel pour passer l’épreuve du
temps, son message intrinsèque de fascination par la nouveauté et, finalement de
perte par une sur-identification à celle-ci, en est un qui devrait être aussi
pertinent dans 200 ans qu’aujourd’hui.
Il s’agit certainement de l’un des événements dont on se souviendra le plus à
la fin de la présente saison culturelle!
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