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La Scena Musicale - Vol. 5, No. 9

La dernière note / The Final Note

June 1, 2000

Version française...


Juin nous ramenant encore une fois la fête des Pères, La Scena a pensé vous tracer le portrait du « Père musical », Jean Sébastien Bach, en cette année anniversaire.

La tradition musicale s'étant transmise de père en fils, cinq générations de Bach musiciens avaient déjà légué 94 partitions aux générations futures quand Jean Sébastien voit le jour. Son père, Johann Ambrosius, brasseur de bière de son métier, joue également de la viole, du violon et s'implique à l'occasion dans les fanfares. Son oncle, Johann Christoph, organiste de renom, publie des recueils d'uvres didactiques reconnues à l'époque, qui auraient même influencé Pachelbel. Les deux frères, de tempérament siamois, partagent une passion inextinguible pour la musique. Ils meurent à quelques semaines d'intervalle, laissant le jeune Jean Sébastien orphelin à l'âge de 9 ans. Il tombe sous la tutelle de son frère aîné, prénommé comme son oncle, organiste à Ohrdruf.

Le jeune Bach baigne dans une atmosphère musicale intoxicante qui le pousse à la découverte de nouveau répertoire. Une fois par an, toute la parenté, composée de chantres, d'organistes et de musiciens de ville, se rassemble pour une grande fête musicale, alternant au fil des heures musique sacrée, improvisations et chansons gaillardes. De quoi aider un adolescent à embrasser la profession musicale!

En 1708, jeune marié et bientôt père de famille, Jean Sébastien Bach décide de se fixer. Constamment tiraillé entre le cadre formel très structuré de ses uvres contrapuntiques et un certain désir de s'évader des contraintes de la vie quotidienne, Bach présente une personnalité parfois un peu maniaque. Selon Carl Friedrich Cramer, « il était empli d'étranges marottes. L'une était de ne pouvoir rien supporter qui fût à moitié fait, louche, impur, incomplet, inachevé. » Il demandait que, chaque soir, l'un de ses fils l'endorme en improvisant au clavecin - le parallèle avec Goldberg est étonnant. Carl Philipp Emmanuel racontait souvent comment un soir il avait cru pouvoir s'échapper de sa « corvée » au premier ronflement du père, sans avoir pris le temps de résoudre le dernier accord. Cette dissonance avait immédiatement réveillé le père, l'angoissant, le tourmentant. Il se lève finalement, en chemise de nuit, titubant dans le noir, reprend l'accord fautif et le résout. La réprimande du lendemain matin a dû être proportionnelle à ce grave manquement à l'ordre! Johann Christian, pourtant le favori du père pour le conduire dans les bras de Morphée, relate d'ailleurs une expérience similaire qui s'était terminée par une gifle bien sentie. Un parallèle entre l'ordre tonal et l'autorité paternelle peut-être?

Parmi les fils Bach, les deux aînés, Wilhelm Friedemann (1710-1784) et Carl Philipp Emmanuel (1714-1788), semblent entretenir des rapports diamétralement opposés face à l'uvre du Cantor. À la mort de celui-ci, ses manuscrits se retrouvent partagés également entre eux. Les seuls manuscrits qui nous sont parvenus font partie du legs de CPE, celui-ci préservant de l'oubli les uvres du père avec un soin maniaque-tel père, tel fils?-tandis que Wilhelm vend les partitions de ce dernier, les disperse et en fera même passer certaines comme écrites de sa main.

Pourtant, tout jeune, Wilhelm entretenait une relation privilégiée, presque passionnelle, avec son père. Les Inventions, les Suites, Le Clavier bien tempéré ont tous été rédigés pour parfaire l'éducation de ce fils « qui le remplissait de joie ». Le père pousse l'aîné au maximum; non content de ses prouesses au clavecin, il le met au violon. Il devient un des meilleurs en mathématiques, en philosophie et en droit lors de ses années universitaires à Leipzig. Dans ses temps libres (!), il tient la partie d'orgue des cantates écrites par Jean Sébastien pour le Collegium Musicum. À l'âge de 23 ans, sur les recommandations paternelles, il devient vice-Capellmeister à la cour de Dresde, gagnant 16 fois le salaire du père.

À la mort de Jean Sébastien, Wilhelm reste prostré pendant quatre mois, incapable de trouver une direction à sa vie. Il retourne finalement à son poste, avec un manque d'enthousiasme flagrant. Il finit par abandonner la cour de Halle en 1764 et sombre dans une vie misérable : absence de fonds réguliers, dépression, beuveries

Enfant, Carl Philipp Emmanuel n'entretiendra pas avec le père des relations aussi tendres. Il déplorait d'ailleurs que son père n'ait jamais trouvé le temps de faire autre chose que d'écrire de la musique. Il s'est pourtant acquitté admirablement de son éducation musicale : à l'âge de 11 ans le jeune CPE pouvait déjà jouer pratiquement toutes les uvres du maître en lecture à vue. En 1731, année où il entre à la faculté de droit, il débute officiellement ses études de composition avec son père, qui restera son unique professeur. Il devient un des assistants de Bach, compose de nombreuses uvres et signera un traité sur l'art de jouer le clavecin. Il deviendra plus tard un éminent patron de la musique à Hambourg.

Johann Christian Bach (1735-1782), le plus jeune des fils, fut également pris en main musicalement par le père. Âgé de seulement 14 ans quand Bach rend son dernier soupir, il ne subira donc pas longtemps son emprise plus ou moins étouffante. Il étudia plutôt avec CPE et devint par la suite organiste à Milan et composa plusieurs opéras, le genre musical le plus rentable de l'époque. En 1762, il émigre à Londres et y obtient un succès instantané, son style se démarquant de celui de son père et de ses frères, jetant les bases du style classique. Un autre père compositeur lui avait d'ailleurs présenté son fils prodige, un certain Wolfgang Amadeus... Mais ceci reste une autre histoire.

En un siècle, la dynastie Bach contrôle la vie musicale en Saxe et même au-delà. Dans ce réseau, il faut inclure les fils du Cantor, ses élèves et les élèves de ses élèves une toile d'araignée gigantesque qui a permis au nom de Bach de franchir les siècles et de couler, tel le ruisseau qu'il représente étymologiquement, jusqu'à nous.


Version française...

(c) La Scena Musicale