Richter, Roi du silence Par Philippe Tétreau
/ 1 février 2000
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« Il faut jouer avec plaisir. Voilà ! » S. R.
Plusieurs d’entre vous ont sans doute remarqué
cet attrayant livre sur Sviatoslav Richter, l’exceptionnel pianiste. Paru il y
a un peu plus d’un an, l’ouvrage, intitulé Richter – Écrits,
conversations est l’oeuvre de Bruno
Monsaingeon, que beaucoup de mélomanes connaissent par les nombreux livres et
vidéos qu’il a consacrés à d’éminentes figures du monde musical, telles Glenn
Gould, Dietrich Fischer-Dieskau ou David Oïstrakh.
Grand
parmi les grands du piano, Richter était également célèbre pour sa
phobie de l’interview. Les confidences de Richter à Monsaingeon ont d’ailleurs
été obtenues de haute lutte, peu avant la mort du musicien, qui souhaitait
faire cesser les ragots journalistiques et autres racontars circulant à son
sujet. À partir de 1970, Richter a d’autre part consigné dans des carnets de
nombreuses réflexions sur la musique et sur quantité d’artistes qu’il a
côtoyés. Nous avons accès, avec ces notes, à l’opinion éclairée de celui
dont Gould disait qu’il était l’un des plus grands artistes du XXe siècle.
Richter évoque sa jeunesse, la vie de sa famille et les années de guerre et
d’après-guerre au moyen d’anecdotes saisissantes sur ses collègues (comme
Gilels et Vedernikov) ainsi que sur son maître, Heinrich Neuhaus. Il nous
entretient généreusement de ses rapports avec les illustres musiciens qu’il
a fréquentés : Prokofiev, Chostakovitch, Oïstrakh, Rostropovitch, Karajan,
Fischer-Dieskau et Kleiber, pour ne nommer que ceux-là. Ses comptes rendus sont
empreints d’un humour voilé.
Dans ses opinons ou jugements, il donne assez souvent le bénéfice du doute
à l’interprète; mais, pour lui-même, Richter est sans pitié. « Mozart…
C’est un problème éternel, je n’arrive pas à me trouver de véritable
contact avec lui, et crains de ne pas être convaincant quand je le joue. »
Richter fait aussi partie de ces interprètes d’exception qui ne se
plièrent jamais aux gammes ou aux exercices pianistiques. « J’ai toujours
détesté la technique et elle me le rend bien. Nous sommes contre-indiqués l’un
à l’autre et c’est la musique qui en sort victime. » Même si les fausses
notes ne sont pour lui rien d’autre que de prosaïques petits accrocs, il
déplore leur trop grand nombre dans ses concerts ou ses enregistrements. Quant
au lecteur, il ne peut que déplorer à son tour la présence d’assez
nombreuses coquilles dans ce livre. Mais la richesse des propos comme celle des
documents iconographiques aident à faire oublier les défaillances
typographiques.
Richter affirme détester tant l’analyse que le pouvoir, d’où son peu d’attrait
pour la direction d’orchestre. La brièveté des notes qui composent ses
carnets illustre effectivement son faible penchant pour l’analyse; en
revanche, s’il ne cherche pas à décortiquer ce qu’il rapporte, Richter
manifeste un flair puissant qui va rapidement à l’essentiel.
On apprend quantité de choses dans cette monographie, par exemple que
Richter vouait une grande admiration à Zola et qu’il affectionnait À la
recherche du temps perdu de Proust. On note la place toute
spéciale qu’occupe l’opéra dans son éducation musicale. On découvre
également ses lieux de prédilection, dont la région de Tours et son Grand
Théâtre, et la fameuse grange de Meslay, décor de tant de ses récitals. On
le voit s’intéresser sincèrement aux musiques nouvelles. Par contre, Richter
évite de mentionner des personnalités aussi marquantes que Arrau, Magaloff,
Savall, Ohana, Dutilleux ou même Gieseking. On ne peut s’empêcher de s’interroger
sur la portée de ces silences ou de ces oublis. Encore que pour la musique
ancienne il note : « J’apprécierais certainement davantage ces belles
musiques archaïques si je les connaissais de plus près. »
Richter – Écrits, conversations
par Bruno Monsaingeon
Van de Velde / Arte éditions / Actes Sud (1998)
469 pages + CD English Version... |
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