Le Siècle des pianistes Par/by Lucie Renaud
/ February 1, 2000
Version française...
Plusieurs pianistes se retrouvent dans notre
tableau comparatif. Certains noms reviennent dans tous ces choix d’auteurs ou
de producteurs. La Scena vous dresse le portrait de quelques-uns de ces monuments.
ARTUR SCHNABEL (1882-1951) : au service de la musique
Excellent mozartien, schubertien hors pair, Beethoven occupait toutefois une
place unique dans le coeur de Schnabel. L’antithèse du pianiste flamboyant,
légataire d’une lignée de musiciens extraordinaires (Leschetizky, Czerny et
Beethoven), pianiste exceptionnel, chambriste recherché, écrivain, compositeur
sérieux, il fut également un pédagogue en demande.
Pour Schnabel, l’obligation du pianiste résidait dans le retour à l’essence
du texte, l’urtext, afin d’y découvrir les intentions du
compositeur. Schnabel a également repositionné le triangle de la relation
interprète-compositeur-auditeur. Dans son autobiographie, il fait le parallèle
entre l’interprète et un guide de montagne : le but ultime du guide est de
nous amener au sommet pour que nous puissions admirer le paysage.
Schnabel terminait souvent ses concerts par une oeuvre majeure du répertoire
(une sonate de Schubert, par exemple). À un journaliste qui lui demandait
pourquoi il ne donnait jamais de rappel, il répliqua : « J’ai toujours
considéré les applaudissements comme un reçu, pas comme une facture. »
ARTHUR RUBINSTEIN (1886-1982) : for the love of Chopin
Arthur Rubinstein loved people, life and the piano. He started on the
instrument when he was 3, made his debut at 7, started touring in his teens then
discovered girls, wines, cigars and the good life.
Born with a hand that every pianist dreams of (broad palms, flat fingers, a
little finger almost as long as the middle one, stretching over an octave and a
half), Rubinstein could memorise a piece almost instantly. In the 1930s, he
added intense work and discipline and started his great series of recordings:
virtually all Chopin, but also large segments of Beethoven, Schumann, Liszt and
the impressionists, chamber music, and basically the entire active Romantic
concerto literature. A real showman, he loved making a grand entrance, lifting
his hands high over the keyboard, developing a love affair with the public. His
Chopin was full of poetry but with none of the artificial stresses that were
part of his contemporaries’ playing. He continued to charm audiences until the
late 1970s and celebrated 83 years of performance.
WALTER WILHEM GIESEKING (1895-1956) : pianiste raffiné
La carrière de Gieseking demeure parmi les plus spectaculaires du
siècle : tournées mondiales, apparitions radiophoniques, une manne d’enregistrements
(incluant les oeuvres complètes de Mozart, de Debussy et de Ravel), sans
oublier la rédaction de plusieurs ouvrages.
Totalement autodidacte, il n’ira jamais l’école, préférant suivre son
père, collectionneur de papillons, dans ses périples. Il se met au piano et
est bientôt capable de jouer l’oeuvre complète de Bach. À l’âge de 15
ans, il donne en 6 récitals l’intégrale des 32 sonates de Beethoven. Il note
dans un récit autobiographique : « À l’âge de 16 ans, je jouais Bach,
presque tout Beethoven, tout Chopin et Schumann. » Cet exploit, pourtant, le
laissait humble : « Le plus difficile fut de tout mémoriser. » Gieseking
possédait une lecture à vue exceptionnelle et un esprit extrêmement vif qui
lui permettait de mémoriser une pièce du jour au lendemain. Il resta l’ardent
défenseur des compositeurs avant-gardistes de l’époque, surtout Debussy.
Gieseking était un maître de la pédale et de la légèreté du toucher. Des
critiques de l’époque qualifiaient son jeu de « céleste », « éthéré et
magique », « une initiation aux mystères du piano français moderne ».
VLADIMIR HOROWITZ (1903-1989) : Mr. Pyrotechnic
One of the greatest pianists of all time, Vladimir Horowitz began to
study piano with his mother when he was 6, and by 17, he was performing
extensively. The year he turned 21, he gave 70 concerts to capacity audiences,
not repeating a single piece once! A legend in his own time, the feeling of
electricity in the air whenever he performed, Horowitz’s impact on American
pianists was huge. His audiences were always packed with pianists trying to
figure out how he was able to achieve such a phenomenal virtuosity. He explained
it himself, "I must tell you I take terrible risks. Because my playing is
very clear, when I make a mistake you hear it. If you want me to play only the
notes without any specific dynamics, I will never make a mistake. Never be
afraid to dare."
Horowitz, though, was more than a stuntman; bravura and fireworks were kept
for the last piece on the program, rocking the house. In lyrical pieces, his
singing tone stayed wonderfully unaffected and touching. He thoroughly mastered
Rachmaninoff, Liszt, Scriabin, Barber and Kabalevsky.
CLAUDIO ARRAU (1903-1991) : le dernier pianiste romantique
« Quand Arrau se penche vers le piano, c’est comme si la musique
coulait de son corps entier. » Tels furent les mots prononcés en 1980 lors de
la remise, à Berlin, de la médaille Hans von Bulow au pianiste.
Enfant prodige, plongé dans l’univers musical des leçons de piano de sa
mère dès l’âge de un an, Claudio Arrau lisait des partitions bien avant de
fréquenter l’école. En 1927, Cortot, de Motta et Arthur Rubinstein lui
décernent le réputé prix de Genève.
À l’âge de 32 ans, son répertoire comportait déjà l’intégrale des
sonates de Beethoven, de Mozart et de Schubert! Ses récitals « marathon » l’avaient
propulsé au rang de légende berlinoise. Pianiste complet, il a joué Chopin,
Brahms, Debussy, Ravel et Liszt. Soixante-dix concertos faisaient partie de son
répertoire courant, de Bach à Stravinsky. Sa technique foudroyante restait
toujours au service d’une fusion totale de la virtuosité et de la
compréhension musicale. Il dira lui-même : « Un interprète doit donner son
sang à l’oeuvre qu’il interprète. »
ARTURO BENEDETTI MICHELANGELI (1920-1995) : master of tone
Arturo Benedetti Michelangeli’s career was launched when he received
his diploma at age 14. After his winning the first Geneva Competition in 1939,
Alfred Cortot, the celebrated French pianist exclaimed, "The new Liszt is
born". These famous words spread his fame instantly.
His playing, flawless, precise, somewhat restrained, was extremely refined.
He often played Chopin and Grieg but was especially renowned as a master
interpreter of Ravel and Debussy.
An intensely private man, Michelangeli, politely bowing, never smiled to his
applauding audiences. He explained once, "Applause goes to Bach, to Chopin,
to Debussy, not to me. I hate when the applause is addressed to the
pianist." He took great pride in his detailed craftmanship, "To play
means labour". He practised 8 to 10 hours a day, in search of "an
equilibrium between the longing for the sound effects that the instrument cannot
yield and the sensitivity that allows one to steal the maximum from it
nonetheless," as he usually told his students.
His passion for teaching was tremendous. A lump sum from his earnings was
devoted to furthering the studies of his best pupils, among them Argerich,
Pollini and Moravec. His lessons were free. He believed music was a right for
those who deserved it.
MARTHA ARGERICH (1941-... ) : l’incandescence personnifiée
Enfant prodige, elle fait ses débuts avec l’orchestre de Buenos Aires
à l’âge de huit ans. Après une victoire éclatante à Genève en 1957 et au
concours Chopin de 1965, son nom s’est soudainement retrouvé catapulté au
firmament des vedettes. Sans peur ni reproche au clavier, elle entretient
toutefois une relation ambiguë avec la scène. En entrevue, elle raconte : « J’avais
huit ans et je devais jouer un concerto de Mozart. Avant le concert, je suis
allée aux toilettes, je me suis agenouillée et je me suis dit que si je ratais
une seule note, j’exploserais. Je ne sais pas pourquoi j’y ai cru mais je n’ai
pas raté une seule note. C’est terrible pour une enfant et je crois que cela
explique une facette de ma personnalité adulte. » Elle demeure imprévisible,
célèbre pour ses annulations de dernière minute.
Sa technique éblouissante, son jeu audacieux et impulsif, son intensité
dramatique font d’elle une pianiste mémorable. Depuis les années 80, elle
semble bouder le répertoire soliste de l’instrument mais se découvre des
affinités certaines pour le répertoire de musique de chambre (avec, entre
autres, le violoniste Gideon Kremer, le violoncelliste Maisky et le pianiste
Nelson Freire).
Dans notre prochain numéro, surveillez la suite de notre dossier piano qui
sera particulièrement consacrée aux pianistes canadiens.
This series will be continued in our next issue, focusing on Canadian
pianists. Version française... |
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