Danièle LeBlanc et L'Italiana in Algeri, ou la revanche des mezzo-sopranos Par Anne-Catherine Hatton
/ 1 octobre 1999
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Lauréate du prix Joseph-Rouleau de la Fondation des Jeunesses musicales du
Canada en 1996, premier prix aux auditions du Conseil national du Metropolitan
Opera de New York la même année : depuis sa sortie de l'Atelier lyrique de
l'Opéra de Montréal, la mezzo-soprano Danièle LeBlanc a le vent dans les
voiles. On a pu l'entendre en mai dernier dans Roméo et Juliette de
Berlioz avec l'Orchestre symphonique de Québec et cet été dans le Requiem
de Verdi sous la direction de Yannick Nézet-Séguin. En 1999-2000, elle sera très
présente dans les maisons d'opéra québécoises. La Scena Musicale s'est
entretenue avec elle quelques jours avant qu'elle n'incarne le rôle d'Isabella
dans L'Italiana in Algeri de Rossini à l'Opéra de Québec.
L'appel de la scène, l'attrait des feux de la rampe, Danièle LeBlanc l'a
ressenti à l'adolescence. Durant son secondaire, les sorties au théâtre
l'emballent à tel point qu'elle envisage la possibilité de bifurquer vers
l'art dramatique et d'abandonner ses études de piano, un instrument pour lequel
elle ne se trouve pas de don particulier. Quant au chant, elle n'imagine alors
pas pouvoir en vivre, même si elle sait qu'elle a une belle voix et que la
chorale dans laquelle elle chante depuis l'âge de six ans lui confie toujours
les solos. Curieusement, c'est l'aspect visuel de l'opéra qui la séduit. Elle
a seize ans lorsqu'elle voit à la télévision Le nozze di Figaro, de
Mozart, dans une somptueuse production du Metropolitan Opera. Elle y découvre
le mariage de l'art lyrique et de l'art dramatique, révélation qui l'incite à
se diriger vers le chant : « Je ne pensais pas que l'opéra pouvait être si près
des gens et les toucher autant. Il m'a semblé que j'avais quelque chose à dire
là-dedans. »
Depuis ses premières vocalises, Danièle LeBlanc fait confiance au même
professeur, Betty Doroschuk, qu'elle a choisie « à l'oreille » en demandant
à sa voisine de chorale, dont elle admirait la voix, qui lui donnait des cours.
Le choix d'un professeur est un coup de dés, reconnaît-elle, car la beauté
d'une voix ne tient pas uniquement au mérite de celui qui enseigne. Par contre,
certains maîtres ont tendance à vouloir couler toutes les voix dans le même
moule. « À l'université, on pouvait souvent dire, en écoutant un étudiant
chanter, par quel professeur il avait été formé. Dans certaines classes,
toutes les filles devenaient soprano et on entendait des vocalises à faire
saigner les cordes vocales. » Une attitude qui peut mener au désastre... «
Mme Doroschuk, elle, donne à ses élèves les outils nécessaires pour développer
les caractéristiques naturelles de leur voix, sans jamais imposer une couleur
ou un son pour des questions de modes ou de goûts personnels. Cela dit, ajoute
Danièle LeBlanc, l'élève a aussi sa part de responsabilités : il doit garder
son sens critique et ne pas se comporter comme une simple éponge. »
Grâce à son mezzo lyrique doté d'aigus solides et d'un bon potentiel
dramatique, Danièle LeBlanc est à l'aise dans les rôles exigeants sur le plan
du souffle, de la ligne vocale. Son interprétation d'Adalgisa dans Norma
au Grand Théâtre de Dijon, il y a quelques mois, a été saluée par la
critique française. Cette réussite lui a confirmé qu'elle faisait le bon
choix en se tournant vers des rôles plus dramatiques, bien qu'elle souhaite ne
rejeter aucun genre a priori. « Je suis un peu comme une décathlonienne,
souligne la chanteuse. En ne rejetant rien, j'entretiens et je cultive toutes
les facettes de ma voix, qui se nourrissent mutuellement : j'apprécie Rossini
pour l'agilité, Strauss pour la ligne, le bel canto pour l'endurance, etc... »
Les rôles auxquels elle rêve? Carmen, bien sûr, Octavian dans Der
Rosenkavalier et Charlotte dans Werther, les répertoires français
et allemand lui ayant toujours été faciles d'accès. La mezzo convoite également
certains rôles de Verdi, mais aussi la Dorabella de Così fan tutte, de
Mozart, qu'elle se sent tout à fait prête à incarner : « Je meurs d'envie de
faire ce rôle, à cause surtout de la beauté du travail d'ensemble dans cet opéra
magnifique. »
En 1999-2000, elle chantera La Bohême au Kentucky Opera, Hänsel
und Gretel à l'Opéra du Manitoba, Eugene Onegin au Lyric Opera of
Kansas City et Anna Bolena à l'Opéra de Dijon. La saison sera encadrée
par deux ¦uvres de Rossini, puisqu'elle commencera par L'Italiana in Algeri
à l'Opéra de Québec et se clôturera à l'Opéra de Montréal avec Il
Barbiere di Siviglia. Est-ce impressionnant, pour une mezzo-soprano, d'avoir
un premier rôle, celui-ci étant généralement dévolu à une voix de soprano
ou de ténor? « Que mon rôle dure 5 ou 45 minutes, ma responsabilité est la même
: donner le meilleur sur les plans vocal et dramatique », confie Danièle
LeBlanc, qui n'y voit donc aucune différence en ce qui concerne la préparation
et le trac. Elle avoue cependant avoir ressenti un petit choc en voyant sa photo
aussi grande sur les affiches, lors de ses débuts dans L'Italiana in Algeri
à Hamilton avec Opera Ontario.
Cela dit, la chanteuse confirme que Gioachino Rossini occupe une place
particulière dans le c¦ur de toutes les mezzo-sopranos. « C'est une chance
pour nous qu'il ait été fasciné par la grande contralto Maria Malibran.
Enfin, voilà un compositeur d'opéra qui a donné à cette voix des rôles-titres
ou des rôles importants, et de façon constante! » On apprécie aussi sa
musique parce qu'elle est écrite de façon intelligente pour les chanteurs :
les airs de Rossini sont truffés de difficultés techniques, mais ils ne sont
pas éprouvants physiquement, à condition d'avoir l'agilité et le vaste
registre requis pour les prouesses « pyrotechniques » qu'ils exigent. Danièle
LeBlanc se sent beaucoup d'affinités avec la sympathique Isabella, qu'elle
incarnera bientôt à l'Opéra de Québec. L'histoire de cette femme d'action très
en avance sur son temps, qui traverse les mers pour aller délivrer son amant
capturé par les barbares, a une saveur féministe qui ne lui déplaît pas. «
Je suis ravie de camper un rôle de femme qui ne se laisse pas berner, et qui
utilise au contraire les handicaps du "sexe faible" pour prendre les
hommes à leur propre jeu sans verser dans la mesquinerie. Quoi de mieux qu'un rôle
aussi tonique pour commencer la saison! »
L'Italiana in Algeri, de Gioacchino Rossini à l'Opéra de Québec les 16, 19, 21
et 23 octobre 1999.
Renseignements : (418) 529-4142
Site web : www.operadequebec.qc.ca |
Il Barbiere di Siviglia de Rossini à l'Opéra de Montréal les 27,
29 mai, 1er, 3, 7 et 10 juin 2000.
Renseignements : (514) 985-2258.
Site web: www.operademontreal.qc.ca
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