Les instruments du quatuor Par Michel Gagnon
/ 1 mai 1999
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Les instruments du quatuor
«Oeuvres sonnantes»
par Michel Gagnon
Pendant mon aventure professionnelle dans
le monde de la lutherie, j'ai vécu plusieurs fois la fascination et
l’émerveillement face à la sonorité du violon. Mes émotions ressenties
demeureront à jamais les raisons profondes de mon amour pour ces instruments
incomparables que sont ces « œuvres sonnantes ».
Unique, chaque instrument a sa propre
personnalité, son propre potentiel et ses propres limites. Quant à nous, luthiers, il
est de notre ressort d'élever au maximum, en collaboration avec le musicien, le rendement
acoustique de ces objets d'art. Tous les luthiers en conviendront : certains instruments
emplissent une salle avec une telle qualité et une telle puissance sonores que des
frissons vous envahissent, c'est presque l'extase. Chaque musicien rêve d'avoir pour
partenaire un tel instrument : confortable, attrayant, facile à jouer, puissant et
résonnant aussi bien en piano qu’en forte.
La valeur marchande n'est pas toujours un indicateur
de qualité, car il y a énormément de luthiers à l'échelle internationale qui
fabriquent et restaurent à peu près n'importe quel instrument et dont le résultat est
exemplaire. Bien comprendre le fonctionnement des instruments du quatuor permet de saisir
la raison de l'écart entre les valeurs sonore et marchande. La source de l'impulsion
provient du frottement de l'archet sur les cordes. Ces dernières vibrent et, par le
chevalet, les ondulations sont transmises à la caisse, ou corps de l'instrument, d'où
l'amplification. Le rendement maximal provient de l'équilibre entre la barre d'harmonie
(basse), l'âme (aigu) et l'angle du manche sur la caisse. Évidemment, le type de bois,
son épaisseur, les arches, et la qualité du montage limitent les possibilités réelles
de l'instrument.
Mon métier de luthier m'a permis de
travailler avec des musiciens sachant aisément extraire le maximum d'un violon. Une
séance de mise au point de ces instruments peut prendre dix minutes. On comprend
facilement qu’avec le climat québécois, chaud et humide en été, froid et sec en
hiver, les instruments, ayant pris de l'expansion ou l'inverse, réagissent différemment
à la pression exercée par les cordes. Par un simple déplacement de l'âme, nous
rétablissons l'équilibre nécessaire pour que l'instrument ait l'amplitude requise afin
d'exprimer pleinement sa personnalité et de redevenir un vrai séducteur.
La qualité sonore, critère de base de
l'analyse des interventions à effectuer sur l'instrument, se définit comme une valeur
subjective, difficile à décrire. Pour compenser, nous utilisons énormément d'analogies
reliées à nos sens objectifs, tels la vue (clair, sombre, profond, creux), le toucher
(chaud, froid, doux), le goût (graniteux, velouté), l'ouïe (fort, criant, étouffé,
nasal, guttural). Nous utilisons aussi tous les qualificatifs émotifs imaginables, d' «
indésirable » à « vénérable ».
Le violon est donc une « œuvre
sonnante » et le luthier, un ingénieur acoustique. Il crée une machine à produire des
sons. À l'étape de l'application des concepts de l'ingénieur, il se fait technicien. Il
a aussi un talent d’artiste, car l'instrument doit être visuellement attrayant, de
part son vernis, sa couleur et sa texture, et de par sa sculpture, ses détails. La tête,
dite volute, de même que les ouïes sont considérées comme la signature du luthier.
Volute et ouïes ont tout de même un apport sonore : la première, par son poids, les
deuxièmes, par leurs emplacements et dimensions.
En conclusion, les instruments du quatuor,
simples, mais complexes par leur structure de fontionnement lorsque entre les mains de
musiciens cherchant chacun le son correspondant à sa propre intériorité, avec des
archets différents et des choix de cordes variées, offrent au luthier un laboratoire de
composantes d'une incroyable complexité où l'invisible devient presque palpable. De
cette expérience, je garderai toujours une fascination et un respect pour ces «
œuvres sonnantes ».
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