Bruce Mather et Yolande Parent nous enchantent à la Chapelle historique du Bon-Pasteur Par Jacques Desjardins
/ 1 avril 1999
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Ce n'est pas tous les jours qu'on peut
entendre Bruce Mather nous démontrer brillamment ses multiples talents. On connaît
déjà le compositeur raffiné et on a souvent entendu en concert ou sur disque le
pianiste-duettiste (avec sa femme Pierrette LePage). En revanche, on oublie trop souvent
que Bruce Mather est aussi un remarquable virtuose du piano (il a été le premier
pianiste attitré de la Société de musique contemporaine du Québec) et un
accompagnateur subtil, qui sait répondre avec une oreille attentive aux moindres
inflexions de sa complice du moment, la soprano colorature Yolande Parent.
Les deux interprètes nous ont gâtés avec
des prestations inoubliables d'œuvres trop rarement entendues. Entièrement canadien,
le programme mettait à l'affiche des pièces pour piano solo en alternance avec
d’autres pour piano et voix. Bruce Mather s'est imposé d'emblée comme le maître
d'œuvre de l’événement, lui qui est resté au piano pendant toute la soirée
et est passé sans difficulté aucune de la musique de Jean Papineau-Couture à celles de
Clermont Pépin et de Lionel Daunais, sans oublier quatre de ses propres compositions.
Le concert a débuté par Mystras, une
œuvre pour piano de Mather écrite en 1962 et inspirée d'une ville de la Grèce
antique que le compositeur a visitée pendant ses études en Europe. Même si c’est
une composition de jeunesse, on reconnaît déjà les germes du langage que le compositeur
développera par la suite.
Les Quatrains de Jean Papineau-Couture ont
suivi, exhaussés par la voix d'or de Yolande Parent qu’on regrette de ne pas
entendre plus souvent. La voix légère et agile remplit bien la salle et rend justice aux
couleurs modales de ces chansons. Monsieur Papineau-Couture a semblé apprécier le
travail des interprètes et le public lui a réservé une ovation en forme d’hommage.
Bruce Mather est revenu seul au piano pour
nous servir le clou de la soirée : In memoriam Alexandre Uninsky. Cette musique, encore
fraîche 25 ans après sa création, a captivé la salle du début à la fin. Mather a
produit des sonorités dignes d'un autre monde, tantôt pinçant les cordes, tantôt les
étouffant avec la main pour créer une résonance dépouillée d'harmoniques
inférieures. Ces techniques de jeu « dans le piano » ne sont pas nouvelles, mais chez
Mather elles servent toujours authentiquement sa musique et ne passent jamais pour des
artifices. L’œuvre mérite incontestablement de figurer au répertoire des plus
grands pianistes.
Les deux artistes ont ensuite interprété
les Trois incantations pour une galaxie lointaine que Clermont Pépin a composées en 1986
pour le concours de chant de Guelph. Le compositeur a écrit sa musique sur un texte en
langue inventée, les phonèmes étant choisis à partir d'un procédé proche du
sérialisme. La partition est exigeante en raison des changements rapides de registre,
mais madame Parent parvient à nous émouvoir en dépit de ces sauts difficiles et de la
neutralité objective du texte. On redécouvre avec plaisir le talent de mélodiste de
Clermont Pépin qui réussit à transformer ce texte dénué de sens en une composition
d'un indéniable lyrisme.
Après l'entracte, on a eu droit à deux
titres récents de Bruce Mather : La voix de l'oiseau (1998) et D'après un cri (1996). La
première, seule création de la soirée, a été écrite spécialement pour Yolande
Parent à partir d'un poème d'Anne Hébert. Monsieur Mather a eu l'idée d'écrire cette
œuvre après que Yolande Parent eût participé à la création de son opéra La
princese blanche. Certaines tournures mélodiques rappellent d'ailleurs cet opéra, comme
ces longs mélismes sur une seule voyelle qui illustrent en musique la puissance
évocatrice du poème.
D'après un cri est le résultat d'une
transcription remaniée d'une œuvre écrite en 1985 à partir d'un poème de
Marie-France Rose, Un cri qui durerait la mer. C'est une musique d'une grande finesse,
avec des traits gracieux et des harmonies chatoyantes, qui révèle à nouveau les grands
moyens techniques de Bruce Mather, virtuose du piano.
La soirée s'est terminée avec les
Fantaisies dans tous les tons de Lionel Daunais, un cycle qui réussit encore à nous
faire rire quarante-six ans après sa création. Dans le titre de chaque chanson, une
couleur est évoquée pour dépeindre ensuite un personnage ou une tranche de vie. Les
textes pleins d’humour, du compositeur lui-même, révèlent un esprit vif et un
savoureux sens de l'observation. Yolande Parent nous montre ici de réels talents de
comédienne et conquiert la salle sans effort par une mise en scène sobre et des gestes
naturels. Bruce Mather joue le jeu jusqu'au bout et s'avère un complice idéal pour
souligner les extravagances théâtrales de la protagoniste de cette suite de petites
scènes musicales. Bref, un bon moment à passer et une fin de concert idéale. Les bravos
étaient mérités. À quand le prochain rendez-vous ?
Jeudi 11 mars 1999, Chapelle historique du
Bon Pasteur; Yolande Parent, soprano; Bruce Mather, piano. Au programme : Bruce Mather :
«Mystras» (1962) pour piano solo, «In memoriam Alexandre Uninsky» (1974) pour piano
solo, «La voix de l'oiseau» sur un texte d'Anne Hébert (1998) pour voix et piano et
«D'après un cri» (1996) pour piano solo; Jean Papineau-Couture : «Quatrains» (1947)
pour voix et piano; Clermont Pépin : «Trois incantations pour une galaxie lointaine»
(1986) pour voix et piano; Lionel Daunais : «Fantaisie dans tous les tons» (1953) pour
voix et piano.
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