Le Violon Rouge: film contre trame sonore Par Pierre M. Bellemare
/ 1 mars 1999
English Version... Le Violon Rouge est
un film musical comme on en voit rarement. L'immense majorité des films musicaux
(s'entend : les films qui prennent la musique dite « classique » comme objet) sont
centrés soit sur la vie d'un grand compositeur, soit sur la personnalité d'un
interprète éminent. En conséquence, leurs bandes sonores s'écoutent comme des
anthologies des morceaux les plus célèbres de la production du compositeur ou du
répertoire de l’interprète.
Le Violon Rouge est aux antipodes de tout
cela. D'abord, ce film raconte la vie d'un instrument au fil d'une pérégrination
planétaire étalée sur une période de plus de trois siècles. De plus, la totalité de
la bande sonore, très élaborée et omniprésente, résulte d'une commande du
réalisateur à John Corigliano, l'un des compositeurs éminents de notre époque. Enfin,
cette musique n'est pas venue s'ajouter au film, mais a été conçue du même souffle que
lui, au prix d'une démarche que François Girard, le réalisateur québécois du film,
qualifie de « longue, compliquée et délicate » et que lui et Corigliano ont poursuivie
pendant plus de deux ans, en constante collaboration avec le jeune violoniste américain
Joshua Bell. Le résultat est miraculeux.
Le Violon Rouge est une très grande
œuvre qui marquera l'histoire du cinéma pour la symbiose incomparable de l'image, du
drame et de la musique qu'il représente. François Girard n'exagère pas quand il
affirme, dans ses notes d'accompagnement, que le miracle n'aurait pu avoir lieu sans la
partition de Corigliano. Pour que ce film, d'une extrême complexité cinématographique,
acquière son indispensable unité, il fallait que le violon rouge lui-même ait sa propre
voix, immédiatement reconnaissable. Le principe de cette unité est un thème frappant
— le thème d'Anna — qui nous saisit dès le départ et qu'on réentend, varié
et le plus souvent en voix hors champ, à tous les moments essentiels de l'action.
Par ailleurs, l'unité de l'histoire du violon rouge
à travers la diversité des époques et des lieux où il se retrouve est assurée par la
musique que jouent les artistes qui, tour à tour, l'ont possédé — ou ont été
possédés par lui. Cette musique est constituée d'une série de pièces ou de fragments
de pièces de formes et de styles appropriés aux divers contextes et qui, en même temps,
présentent un étrange air de parenté, attribuable au fait qu’elles aussi soient
subtilement hantées par le thème d'Anna. Le résultat est une synthèse presque continue
des éléments cinématographiques sonores et visuels, synthèse que les films musicaux
ordinaires ne parviennent à réaliser que par moments.
Cela dit, les spectateurs qui ont été envoûtés
par le film pourront être déçus par le disque (Sony Classical: SK 63010). Pas plus que
les images et le drame ne sauraient être sans la musique, la musique ne parvient-elle à
laisser une impression marquante lorsqu'elle est ainsi arrachée au tout organique auquel
elle appartient. Le thème d'Anna est toujours là, bien sûr, mais l'effet de
répétition est moins heureux et, entendues les unes à la suite des autres, les diverses
pièces souffrent un peu de leur affinité : après tout, pour la plupart des gens ce sont
ses matériaux thématiques qui définissent la personnalité d'une pièce.
Si Le Violon Rouge est promis à une longue et
grande carrière — et j’en suis persuadé, pourvu que les détenteurs des droits
de distribution s'en donnent la peine — il la devra au vidéo/DVD plutôt qu'au
compact. La bande sonore reprend presque toute la musique du film proprement dit, plus une
chaconne pour violon et orchestre d'une durée de près de 18 minutes, dont on entend des
extraits alors que défile le générique. Tout ce qui manque, c'est la musique
d'accompagnement de la scène où monsieur Poussin et le jeune Kaspar Weiss, solfiant un
thème à l'endroit, puis à l'envers, se rendent chez le prince Schwarzenberg pour leur
audition et présentent cette pièce qui culmine par une belle coda maestosa dans le style
de Haydn. English Version... |
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