Marc-André Hamelin: le retour du (Super) virtuouse Par Philip Anson
/ 1 décembre 1998
English Version... Certains disent de Marc-André Hamelin que
c’est le plus grand pianiste canadien de l’heure. Le New York Times
l’a qualifié de «supervirtuose» et la dizaine de disques sous étiquette Hyperion
qu’il a consacrés à la musique de compositeurs méconnus ou oubliés lui ont valu
des critiques enthousiastes. Profitant de la sortie de son dernier enregistrement et à la
veille de plusieurs apparitions au Canada, La Scena Musicale l’a
interviewé à son domicile de Philadelphie, où il se reposait après ses débuts à la
Berlin Philharmonie et au Concertgebouw d’Amsterdam.La
stupéfiante intégrale d’Hamelin, en quatre disques, des sonates de Medtner vient
tout juste de paraître au Canada (Hyperion CDA 67221/4) et on ne s’étonnera pas de
l’enthousiasme du pianiste pour le compositeur russe rejeté dans l’ombre par la
gloire de son contemporain et compatriote Rachmaninov. «La musique de Medtner est dense,
contrapuntique et riche. Il est presque impossible d’en saisir l’essence ou
d’en reconnaître la valeur à une première audition. Voilà pourquoi le disque
constitue le moyen idéal de sa découverte : c’est une musique exigeante qu’il
faut écouter de façon répétée et qui séduit chaque fois davantage.»
Il a fallu deux ans à Hamelin pour enregistrer ces œuvres
d’une virtuosité et d’une complexité extrêmes. «Je veux aider
l’auditeur à découvrir des
chefs-d’œuvre inconnus. Je m’efforce de trouver des moyens d’en faire
ressortir toutes les beautés pour qu’un contact s’établisse dès le premier
abord.» Ses interprétations s’inspirent-elles des propres enregistrements du
compositeur? «Oui et non. Quand Medtner a gravé ses 78 tours pour HMV, il était si
vieux et malade qu’il devait faire une pause entre chaque séance
d’enregistrement de quatre minutes. Mais, en 1930, il avait enregistré pour Columbia
un ensemble de disques d’essai qui donnent une idée bien supérieure de son jeu
pianistique. Or, récemment, j’ai reçu ces documents uniques des mains de la veuve
du musicien québécois Alfred Laliberté, ami de Medtner, à qui ce dernier les avait
légués.» Ces enregistrements, Hamelin a décidé de les partager avec nous : ils sont
maintenant disponibles en compact (Appian).
Comment parvient-il à pénétrer l’univers esthétique des
compositeurs excentriques dont il s’est fait le champion? «Je ne dirai pas de mal de
l’approche psychologique ou biographique et la musicologie a certainement beaucoup à
nous apprendre. Mais rien ne vaut l’étude attentive et comparée des partitions. On
ne doit jamais sous-estimer l’importance des informations que le compositeur a
encodées dans le texte musical lui-même.» Hamelin, qui a contribué à la rédaction de
l’édition Dover des sonates de Medtner, prend très au sérieux les indications
très personnelles parsemées dans le texte — «pregando» (suppliant),
«minaccioso» (menaçant), «soffocando» (suffoquant), etc. «Mes propres travaux de
composition m’ont aidé à mieux comprendre ces annotations. Elles sont lourdes de
sens et non des blagues, comme chez Satie.»
Hamelin a étudié à Vincent-D’Indy sous la férule de la
formidable Yvonne Hubert. Il se souvient de la fascination qu’il ressentait, encore
adolescent, en découvrant des extraits de la Concord Sonata d’Ives reproduits
dans un numéro de la revue Clavier. Il devait cacher son enthousiasme pour Ives et
Boulez à son père, mélomane aux goûts conservateurs, et à madame Hubert, qui
l’avait un jour scandalisé en qualifiant son cher Scriabine de «Chopin de deuxième
ordre». Son amour pour Scriabine et les compositeurs oubliés ou injustement méconnus ne
s’est jamais démenti : il est aujourd’hui partout considéré comme leur
champion.
Présentement, Marc-André Hamelin n’enseigne pas, ne donne pas
d’ateliers de maître et évite autant que possible de faire partie de jurys de
concours, préférant se consacrer à l’interprétation et à la composition. Son
récent compact, The Composer-Pianists (Hyperion CDA 67050), comprend quelques études qui
donnent une idée avantageuse de ses talents de compositeur, toujours innovateur et
iconoclaste. Son œuvre la plus récente est un ensemble de variations pour piano
mécanique sur le thème de Pop Goes the Weasel.
Marc-André Hamelin interprétera le Concerto pour piano no
3 de Rachmaninov avec l’orchestre Symphony Nova Scotia à Halifax le 1er
décembre. (Tél. : (902) 421-1300). Puis il se joindra au soprano Jody Karin Applebaum,
pour un programme de chansons de cabaret françaises et allemandes, à la Chapelle
historique du Bon Pasteur de Montréal, le 13 décembre (Tél. : (514) 872-5338). Dans le
cadre du programme de Pro Musica, il jouera ensuite la Sonate no 27, opus 90
de Beethoven, les Variations et fugue sur un thème de Bach, opus 81, de Max Reger,
et la Fantaisie, opus 17, de Schumann, à la Salle Maisonneuve de la Place des
Arts, à 20 h, le 12 janvier (Tél. : (514) 845-0532; billetterie : (514) 842-2112.) Le 20
janvier, accompagné de l’Orchestre symphonique de Québec, il s’attaquera au Concerto
pour piano no 3 de Prokofiev. (Tél. : (418) 643-5598. Site web : www.osq.qc.ca.) Avec
l'Orchestre de chambre McGill (le 12 avril 1999).
[Traduction : Pierre M. Bellemare].
Ecoute - Emission de Radio-Canada
http://radio-canada.ca/infoculture/son/mus100298.ram English Version... |
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