Hommage à Elliot Carter: La Musique des Juxtapositions Par Philip Ehrensaft et Francis Beaulieu
/ 1 décembre 1998
English Version... Le compositeur américain Elliot Carter fêtera
ses 90 ans le 11 décembre prochain et c'est à travers toute l'Amérique du Nord,
l'Europe et l'Asie que l'on célèbrera l'anniversaire. Le
projet musical proposé par M. Carter a permis d'ériger de nouvelles structures de temps
aussi complexes que les structures de timbre et d'harmonie établies par la musique
classique d'avant la Première Guerre mondiale. M. Carter a créé une musique unique
faite de juxtapositions et de combinaisons entre le temps réel et le temps subjectif,
entre la littérature moderne et la musique, opposant plusieurs instruments, voire
plusieurs orchestres à la fois, qui poursuivent des pistes indépendantes.
Carter a reçu son baptême musical du grand pionnier de la musique
avant- gardiste américaine, Charles Ives. Il était déjà au fait des démarches d'Henry
Cowell, lequel a inventé une nouvelle musique d'une densité explosive. C'est à l'âge
de 17 ans, en voyage à Vienne, que M. Carter a découvert les premières compositions
atonales de Schoenberg.
Sa formation académique, par contre, l'a amené vers le
néoclassicisme. À la suite de ses études à Harvard avec Walter Piston (1926-1932) et
Nadia Boulanger (1932-1935) à Paris, M. Carter, désormais francophile, est rentré à
New York en tant que compositeur néoclassique affirmé.
Sa sonate pour piano de 1946 annonçait une volte-face, au moment
où M. Carter était encore peu connu. L'organisation rythmique de la sonate, composée
d'éléments inhabituels et complexes, s’est transformée en un flux rapide de
mutations, rappelant celui d'un jazz improvisé, sans la pulsation constante ou syncopée
des rythmes afro-américains. M. Carter adorait l'esprit de libération qu'il voyait dans
le jazz, mais il a tenté de capturer cet esprit par une nouvelle organisation de la
musique formelle et extrêmement stricte, où l'improvisation et les aléats n'avaient pas
leur place. «Focused freedom» est le terme que M. Carter allait désormais utiliser pour
décrire sa démarche.
En 1951, M. Carter quittait New York pour l'isolement du désert de
l'Arizona afin de composer son premier quatuor, sa première œuvre de maturité. Avec
ce quatuor, il s’est rapproché de la «modulation métrique» par laquelle il a
combiné de nouvelles formes de temps menant à des permutations rythmiques permettant la
transition d'un mouvement à un autre. Cette nouvelle façon de faire se retrouvera d'une
œuvre à l'autre pour finalement presque devenir le leitmotiv du compositeur.
Avec son premier quatuor, M. Carter a commencé à aiguiller les
instruments d'une même œuvre vers des pistes indépendantes qui se rejoignent au
moment opportun lors d'interactions complexes. Pour l'auditeur, le résultat se traduit
par une musique passionnée et constamment en mouvement.
À 43 ans, Elliot Carter est sorti d'une relative obscurité en
remportant deux prix Pulitzer aux États-Unis, le prix Ernst von Siemens en Allemagne et
en étant admis à l'Ordre des Arts et des Lettres en France. À partir de 1951, il a
travaillé soigneusement à la création d'une œuvre majeure livrée environ tous les
trois ans.
Il a poussé son système de modulation métrique de plus en plus
loin. Cherchant de nouvelles sources d'inspiration, il analysé les talas indiens, les
systèmes de rythmes arabes et balinais, la musique radicale du jeune Henry Cowell, la
musique occidentale du XVe siècle, celle de Scriabine et d'Ives. Comme Schoenberg, qui
avait créé une musique sans centre de tonalité, M. Carter a monté un système de temps
musical sans centre métrique. Comparés aux premières écoutes de la musique sérielle,
les flux rythmiques de cette nouvelle musique très radicale font appel plus directement
aux instincts et aux passions de l'auditeur.
Vers 1973, alors que M. Carter s’approchait de l'âge normal de
la retraite, son rythme de production s'est accéléré! Durant les années 1980, il a mis
un nouvel accent sur une musique vocale basée sur ses poètes préférés.
L'âge n’a ralenti ni la productivité ni la créativité de M.
Carter. Au contraire, lors de la création de son Quintette pour piano et quatuor à
cordes (1997) à Washington le 18 novembre de l’an dernier, il affichait une
vigueur peu commune. Ses compositions récentes reflètent cette vitalité et cette
volonté d'élargir et d'approfondir son univers musical aussi longtemps qu'il marchera
sur notre planète.
À Montréal, c'est le Nouvel Ensemble Moderne qui rendra hommage à
Elliot Carter. Un grand concert sera présenté le 15 décembre1998, à 20h, à l'église
Notre-Dame-du-Très-Saint-Sacrement (500, av. Mont-Royal Est). Le NEM (tél.: 343-5962)
nous propose un programme qui s'axe sur les plus récentes œuvres du compositeur. English Version... |