Grands pianistes du XXe siècle Par Philip Anson
/ 1 octobre 1998
English Version... En juin dernier, à l’usine de Steinway and Sons de Hambourg, la
société Philips Classics lançait officiellement la collection Great Pianists of the
20th Century, le plus ambitieux projet d’exploitation d’inventaire
d’archives sonores jamais entrepris.C’est la
première fois que tous les géants du disque – Polygram, Sony, EMI, BMG –
s’associent dans le cadre d'un projet de cette envergure. Cet esprit de collaboration
entre des sociétés concurrentes traditionnellement jalouses de leurs secrets et de leurs
trésors présage peut-être d’une nouvelle ère dans l’histoire de la musique
enregistrée.
Les discophiles seront les grands gagnants de l’aventure. Ils
n’auront plus à se contenter de la «crème» de tel ou tel catalogue :
d’entrée de jeu, on leur offre «la crème de la crème».
Cent coffrets de deux disques compacts chacun, regroupés par dix,
paraîtront au cours de la prochaine année. Chaque coffret réunira les meilleurs
enregistrements d’un grand pianiste. En tout, 74 pianistes seront mis en vedette. De
ce nombre, 17 se verront accorder deux coffrets, tandis que les dieux du clavier, les
Brendel, Horowitz, Arrau, Gilels et Kempff, auront droit à trois chacun. Environ un quart
des enregistrements du programme de la collection paraîtront en compact pour la première
fois, dont plus de 90 minutes de matériel totalement inédit. La durée minimale de tous
les disque sera de 70 minutes.
L’instigateur de l’édition du piano est Canadien. Tom
Deacon est un ancien réalisateur de la CBC qui, après avoir conçu plusieurs émissions
de radio, dont Disc Drive, a occupé le poste de Directeur du répertoire et de
l’exploitation de l’inventaire chez Philips Classics à Amsterdam. En juin
dernier, lors d’un passage à Montréal, il accordait une entrevue pour La Scena
Musicale.
On y a appris qu’il y a trois ans que Tom Deacon travaille à
la collection Great Pianists : il a inspecté des archives au peigne fin, conclu des
contrats concernant les droits de reproduction et commandé à des experts des notes
d’accompagnement portant principalement sur les musiciens et leur interprétation.
Bien que muni d’une carte blanche lui conférant une grande
liberté pour réaliser ce mandat sans précédent dans l’histoire de
l’exploitation d’inventaire, Tom Deacon avait un très grand défi à relever.
Toutes les companies participant au projet lui ont par ailleurs donné accès à leurs
archives, acétates et bandes maîtresses. Et il s’est servi de son immense
collection de disques personnelle comme d’un outil de recherche précieux.
Deacon définit ses critères de sélection : «Je n’ai retenu
que les pianistes dont les enregistrements ont changé notre perception des œuvres
musicales elles-mêmes.» Les grands pianistes ayant peu enregistré ont donc
nécessairement été éliminés. «Guiomar Novaës était une grande pianiste, mais ses
enregistrements sur Vox ne lui rendent pas justice. J’ai donc décidé de
l’exclure de l’édition, plutôt que de la présenter sous un mauvais jour.»
Il ne viendrait à l’idée de personne de remettre en cause le
choix de maîtres du piano reconnus tels Argerich, Backhaus, Gilels, Haskil et Horowitz,
mais d’autres choix, comme ceux de Michael Pletnev, André Watts, Mitsuko Uchida,
Maria Jaoa Pires et Christoph Eschenbach, prêtent davantage à la controverse. Certaines
de ces options résultent manifestement de concessions faites aux services de mise en
marché des grandes compagnies de disque participantes.
La décision d’écarter certains pianistes réputés en
surprendra plusieurs, mais Deacon est un homme qui sait ce qu’il veut. «Emanuel Ax
est un bon pianiste, peut-être même un grand pianiste, mais ses enregistrements
n’en témoignent pas. Alfred Brendel était contrarié de mon refus de
l’accueillir dans la collection, mais il ne pouvait pas, en toute honnêteté, me
dire lesquels de ses enregistrements j’aurais dû retenir. Jean-Yves Thibaudet est
encore jeune … nous verrons. Certains pensent qu’ayant retenu le nom de Byron
Janis, je devais également faire une place à Gary Graffman, mais je ne vois pas
pourquoi. Qui pourrait m’ indiquer un enregistrement de Graffman qui ait changé
notre conception de la musique?»
L’édition n’a pas été conçue pour les experts, qui, de
toute façon, possèdent déjà la plupart de ces enregistrements et qui ont une opinion
bien arrêtée sur le répertoire. «Il s’agit davantage d’une abondante
présentation des meilleurs enregistrements de grands pianistes de notre siècle pouvant
servir d’introduction au grand public mélomane.»
Ceci dit, même les collectionneurs y trouveront des surprises. «En
général, les archives des compagnies de disque ne regorgent pas de trésors oubliés.
J’ai eu beau chercher, je n’ai pu trouver d’enregistrements inédits de
Claudio Arrau dans les voûtes de Philips. Par contre, j’ai fait une belle
découverte chez Decca : des enregistrements de deux concertos pour piano de Mozart par
Sir Clifford Curzon gisaient sur les tablettes, en parfait état, prêts à paraître.»
Dans l’ensemble, la politique suivie par Deacon a été
d’en inclure plus que moins et, avec quelque 250 heures de musique, tout le monde
devrait y trouver son compte. Si l'édition Great Pianists of the 20th Century se vend
bien, Deacon nous promet d’autres entreprises en collaboration – par exemple,
une collection consacrée aux grands chanteurs d’opéra du vingtième siècle.
[Traduction : Pierre M. Bellemare] English Version... |
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