Le 40ième anniversaire de harmonia mundi Par Philip Anson
/ 1 octobre 1998
English Version... «Je suis une minimaliste», déclare Robina Young,
vice-présidente et directrice artistique de harmonia mundi USA. «Notre philosophie est
simple: l’excellence dans la simplicité, expliquait-elle à Montréal, le printemps
dernier, après l’enregistrement de A Lammass Ladymass, le dernier album de Anonymous
Four. Nous utilisons le moins de microphones possible et tâchons de réduire au minimum
le bruit parasite dans le signal, entre le microphone et le support final, CD ou DAT. Pour
cela, il faut trouver le bon environnement acoustique et bien régler l’équilibre à
l’enregistrement. Car nous ne pourrons pas le corriger plus tard en manipulant des
boutons. Dans notre salle de montage, vous voyez affiché sur le mur: ICI, ON NE PITONNE
PAS!»Avec un chiffre d’affaires de plusieurs millions,
harmonia mundi a gagné les rangs des «grandes petites étiquettes». Le cinquième,
d’après Young. Sur le plan de l’intégrité artistique, cependant, harmonia
mundi n’a pas de concurrents: simplicité des techniques d’enregistrement, goût
de l’authentique, artistes de premier plan, répertoire intéressant, esthétique de
la présentation. C’est une remarquable tradition d’excellence que fête cette
maison après quarante ans.
En 1958, un journaliste français, Bernard Coutaz,
investissait ses économies dans un projet d’enregistrement risqué: une lecture de
morceaux littéraires entrecoupés de musique d’orgue. Contre toute attente, le
disque s’est bien vendu. Avec ses modestes redevances, Coutaz lança une collection
consacrée aux orgues anciens qui devait finalement atteindre100 titres. En 1965, il signa
un contrat avec le haute-contre Alfred Deller et le Deller Consort, qui gravèrent plus de
20 disques harmonia mundi, amorçant ainsi le début de la grande vogue des hautes-contre.
harmonia mundi fut également la première à s’intéresser à la psalmodie. Beaucoup
de pionniers de la renaissance baroque, dont William Christie et les Arts Florissants,
Konrad Junghänel, Wilhelm Kuijken et Jaap ter Linden ont lancé leur carrière sur
harmonia mundi. Nicholas McGegan et le Philharmonia Baroque Orchestra de San Francisco ont
enregistré 30 albums très remarqués de Haendel. Le haute-contre René Jacobs, après
plus de 30 disques compacts réalisés en association avec le Concert Vocale, le Concerto
Köln et l’Akademie für Alte Musik, poursuit sa lancée. Par ailleurs, les albums du
haute-contre allemand Andreas Scholl comptent parmi les joyaux du catalogue.
Au Canada, les disques harmonia mundi sont distribués depuis 1986
par Scandinavian Record Imports. Comptant pour environ 20 % du chiffre d’affaires de
la maison, harmonia mundi y est deuxième parmi les étiquettes indépendantes. Dans
d’autres grands marchés, comme ceux de France, d’Allemagne, d’Espagne, des
Pays-Bas, de la Belgique et du Royaume-Uni, harmonia mundi se charge elle-même de la
distribution. C'est en 1982 qu'elle a ouvert une filiale aux États-Unis: le directeur aux
affaires internationales, René Goiffon et la réalisatrice Robina Young sont allés
s’établir à Los Angeles. En éliminant les intermédiaires au profit des contacts
directs avec les détaillants, harmonia mundi USA s’est donnée les moyens
d’investir aux États-Unis dans une nouvelle unité de production, la première hors
de France. Aujourd’hui, les contrats de harmonia mundi USA avec des musiciens
américains comme le luthiste Paul O’Dette, Anonymous Four et le Theatre of Voices de
Paul Hillier comptent pour environ 40% du nouveau répertoire enregistré par cette
maison.
Harmonia mundi soutient que la chute des ventes dans le secteur de
la musique classique ne l’a pas beaucoup touchée. «Le sombre prognostic de Norman
Lebrecht sur la Mort de la Musique ne s’applique pas à nous. Nous dépendons du
marché, mais notre créneau est relativement sûr. Notre réputation est solide et nos
clients, fidèles.» Les titres vedettes comme Theatre of Voices, Arvo Pärt et les albums
annuels de Anonymous Four contribuent par ailleurs à stabiliser le budget.
Après plusieurs décennies, le bon répertoire baroque ou ancien
est-il épuisé? «Loin de là, affirme Young. Il en reste une quantité énorme. Nous
avons à peine entamé le Moyen Âge — 400 ans de musique. Les compositeurs de ce
temps étaient très prolifiques et beaucoup, comme Marini, ne sont encore pas appréciés
à leur juste mérite. Notre luthiste Paul O’Dette a calculé que le répertoire du
luth compte environ 50 000 pièces. La difficulté consiste plutôt à décider quoi
laisser de côté...» Il ne manque pas non plus de bons musiciens. Young le sait, lui qui
reçoit tous les mois d’innombrables cassettes démo.
Le seul nuage flottant sur le paysage d’harmonia mundi
est le départ (d’aucuns diraient la défection) de plusieurs artistes importants.
«Je ne vole pas les artistes ou le répertoire des autres», dit Young. Les gens des
grandes étiquettes ne se font pas de pareils scrupules. En 1990, William Christie et Les
Arts Florissants ont rejoint Erato, en France (la distribution de leurs disques au Canada
décline depuis). Le brillant Andreas Scholl s’est récemment laissé attirer par
London/Decca, après que harmonia mundi l’eût aidé à se faire connaître partout.
Nicholas McGegan et le Philharmonia Baroque ont claqué la porte l’année dernière,
arguant que harmonia mundi était en faillite et n’avait plus les moyens
d’enregistrer des opéras. «Quand nous signons un contrat d’exclusivité avec
des artistes, nous investissons beaucoup dans la promotion pour les faire connaître. Il y
a dix ans, le Philharmonia Baroque s’est fait massacrer par la critique française,
qui refusait de croire qu’un ensemble américain soit capable de faire justice à la
musique baroque. Nous nous sommes battus pour eux et ils ont fini par gagner des prix
Gramophone et des Diapasons d’Or. Tout ce qu’on leur demande en retour,
c’est de faire preuve de loyauté.»
Évidemment, harmonia mundi n’a aucun mal à regarnir ses
rangs. Paul Hillier a quitté le Hilliard Ensemble en Angleterre pour mettre sur pied le
Theatre of Voices aux États-Unis et enseigner à l’Université de Bloomington.
harmonia mundi a pris un arrangement spécial avec l’Academy of Ancient Music (sous
contrat exclusif avec L’Oiseau Lyre) pour enregistrer au moins un album par année
avec le violoniste Andrew Manze. Bref, un coup d’œil sur les 700 titres du
catalogue fait envisager avec plaisir les 40 prochaines années chez harmonia mundi.
[Traduction : Michèle Gaudreau] English Version... |
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