Lorraine Vaillancourt, une femme d’action, une dame de coeur Par Jean-Claude Thériault
/ 1 avril 1998
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On ne peut qu’être rempli
d’admiration devant la passion communicative de Lorraine
Vaillancourt. Combative, elle affronte depuis plusieurs années déjà
les monstres de la rentabilité et de l’accessibilité. Si ses propos
sur ces questions ont de quoi surprendre, son parcours est encore
plus étonnant. Originaire de la région du Saguenay où elle voit le
jour en 1947, elle entreprend dès 1964 une formation musicale auprès
de la pianiste Hélène Landry. Après avoir étudié la direction
d’orchestre avec Pierre Derveaux à Paris, elle revient au Québec où
elle travaille, de 1971 à 1973, aux côtés de Serge Garant et de
Bruce Mather dans le cadre des activités de l’Atelier de musique
contemporaine de l’Université de Montréal. En 1974, elle prend la
direction de l’Atelier tout en poursuivant une brillante carrière de
pianiste.
De 1978 à 1989, elle dirige l’ensemble de la société de musique
nouvelle, Les Événements du neuf, qu’elle a fondée avec l’aide de
José Evangélista, John Rea et Claude Vivier. Cet ensemble
d’avant-garde qui offrait des soirées thématiques chaque neuvième
jour du mois, a mis fin à ses activités après douze années fertiles.
En 1989, elle fonde le Nouvel Ensemble moderne (NEM) « en résidence
» à l’Université de Montréal, dont elle devient à la fois la
directrice artistique et la chef d’orchestre. En plus de ses
activités de concerts, elle participe en 1990 à la création de la
revue québécoise Circuit ainsi qu’à la fondation, en 1991, du
Groupe de recherches interdisciplinaires sur la musique du vingtième
siècle (GRIMVS). Malgré un horaire très chargé, elle s’occupe
toujours de l’Atelier de musique contemporaine de l’Université de
Montréal.
Sans conteste une femme d’action, Lorraine Vaillancourt est aussi
une femme de coeur et de parole. Outre ses nombreuses réalisations
sur la scène musicale québécoise, on ne peut passer sous silence ses
démarches pour faire progresser les mentalités face à une forme
d’art méconnue et ignorée des producteurs soucieux de conserver leur
public. Ses commentaires sur la diffusion et la promotion de la
musique contemporaine en Amérique du Nord témoignent des difficultés
qui jalonnent son parcours. « Il faut injecter des fonds de façon à
nous produire nous-mêmes parce qu’il y a très peu d’argent qui vient
des producteurs. Comme on ne fait pas d’événements grand public,
qu’on ne fait pas d’événements payants, c’est difficile à vendre. »
Ce problème de rentabilité, Lorraine Vaillancourt croit qu’il est
imputable aux producteurs eux-mêmes. « On sous-estime le public de
façon générale. Les gens aiment la musique et sont beaucoup plus
ouverts que les décideurs ne le pensent. » Quant à la programmation
des oeuvres du XXe siècle, elle croit que « si nos grands
orchestres étaient plus vivants à ce niveau, il est sûr que le grand
public suivrait » .
Si elle n’a que de bons mots pour son public, sa critique de la
société actuelle est intransigeante. Les institutions d’enseignement
qu’elle qualifie de « redoutablement conservatrices » et les
journaux, notamment La Presse et Le Devoir , qui sont
plus près de la création au théâtre et en arts visuels qu’en
musique, ont subi ses foudres plus d’une fois. Malgré tout, elle
considère que la situation de la création musicale au Québec est
positive. « Les esthétiques sont très variées et c’est ce qui est
extraordinaire. » Toutefois, elle nous met en garde contre les «
musiques pseudo-contemporaines » qui font en sorte que « les gens
ont l’impression d’avoir accès à la musique d’aujourd’hui ». La
difficulté d’instaurer un répertoire d’oeuvres de notre siècle est
au centre de ses préoccupations. « Reprendre les oeuvres est
difficile; les reprogrammer, c’est la croix et la bannière. C’est
presque indéfendable et cela empêche de créer un répertoire ».
Cependant, il serait faux de conclure que sa mission avec le NEM
ne consiste qu’à monter un répertoire. Certes, il s’agit là de son
objectif principal, mais le rôle éducatif que peut jouer l’Ensemble
étant donné sont affiliation à l’Université de Montréal est tout
aussi important à ses yeux. Pédagogue jusque dans l’âme, elle offre
aux étudiants en musique la possibilité de faire des stages au sein
du NEM. Les nombreuses activités de l’Ensemble comme les biennales,
les forums et les ateliers de lecture sont autant d’occasions qui
permettent aux jeunes de se familiariser avec la musique du
XXe siècle. Chaque jour, Lorraine Vaillancourt pose des
gestes concrets pour l’avancement de la musique contemporaine.
Les activités du NEM demeurent sa priorité et, à ce chapitre, la
saison 1997-1998 a été bien remplie. Après une sixième tournée en
France en automne dernier et la biennale de novembre, dont le thème
portait sur la Scandinavie, elle a dirigé en février les Percussions
de Strasbourg lors du prestigieux festival de musique contemporaine
organisé par Radio-France, « Présence 98 ». Quelques jours plus
tard, elle s’envolait pour l’Australie où, pendant trois semaines,
elle a répété et dirigé le Premier triptyque de Mary
Finsterer.
Des projets, Lorraine Vaillancourt et le NEM en ont beaucoup.
L’année 1999 marquera le dixième anniversaire de l’Ensemble et sa
fondatrice entend bien souligner l’événement. En attendant
l’anniversaire du NEM, Lorraine Vaillancourt invite le public au
Grand concert annuel, le rendez-vous de fin de saison. L’événement
aura lieu le mercredi 29 avril 1998, à 20 h, à la salle
Claude-Champagne de l’Université de Montréal et aura de quoi
satisfaire les plus exigeants. Au programme, Riti Neurali
(1991) de Luca Francesconi, dont la partie soliste sera exécutée par
le violoniste britannique Irvin Arditti; L’esprit des dunes
(1994) du compositeur français Tristan Murail;
Essaims-Cribles (1988) de Michael Jarrell ainsi qu’une
nouvelle création du compositeur José Evangélista. Il faut noter que
José Evangelista et Tristan Murail présenteront leurs concerts dès
18 h 30 au cours d’une conférence animée par Serge Provost. C’est un
événement à ne pas manquer, ne serait-ce que pour se familiariser
avec la musique du XXe siècle ou, mieux encore, faire
plus ample connaissance avec Lorraine Vaillancourt, une femme dont
la passion est contagieuse. Grand concert annuel du NEM. Mercredi
29 avril 1998 à 20 heures. Salle Claude-Champagne. 220, avenue
Vincent-d’Indy. métro Edouard-Montpetit ($20/12).
Réservations:514-343-5962. Conférence au foyer de la Salle
Claude-Champagne 18H30.
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