Le Nozze di Figaro Par Rodrigue Audet
/ 1 novembre 1997
English Version... Le Nozze di Figaro
(Mozart-Da Ponte) Opéra National de Paris Direction
musicale : James Conlon Mise en scène : Giorgio Strehler, réglée
par Humbert Camerlo Avec Laurent Naouri (Figaro), Barbara Bonney
(Susanna), Pamela Armstrong (la Contessa), Anthony Michaels-Moore
(il Conte), Charlotte Hellekant (Cherubino). Opéra Bastille, le 9
octobre 1997 à 19h30.
Créée en 1973 dans la petite salle de l'Opéra
du château de Versailles (500 places), cette célèbre production de
Giorgio Strehler supporte plutôt bien son transfert sur la grande
scène de l'Opéra Bastille, sans toutefois profiter pleinement des
ressources qu'offre le nouveau lieu. Jouant abondamment sur l'ombre
et la lumière, comme pour bien marquer l'écoulement du temps de
cette folle journée, Strehler est un véritable orfèvre du théâtre
(il n'a pas envisagé autrement l'opéra). Ce qui frappe tout d'abord
dans sa mise en scène, c'est bien sûr l'invention constante, les
trouvailles scéniques, mais aussi et surtout l'évidence de ses choix
: tout semble sortir du texte lui-même, rien n'est gratuit, et
pourtant tout semble réinventé. La dernière scène de l'opéra, sur
laquelle tant de metteurs en scène se cassent les dents, est ici un
modèle de simplicité et de clarté : quelques bosquets, de l'ombre,
un banc, il n'en faut pas plus au magicien Strehler pour faire la
démonstration de son art.
Sous la baguette de James Conlon,
l'Orchestre de l'Opéra National de Paris séduit dès le début, avec
une introduction enlevée qui fait bien ressortir les lignes
mélodiques sous-jacentes de ces pages pourtant archiconnues. Côté
interprètes, Laurent Naouri compose un Figaro intriguant, plus
souriant que manipulateur, plus dramatique (il chante souvent en
voix staccato) que lyrique. À l'inverse, Charlotte Hellekant propose
un Chérubin très exalté dans ses élans amoureux et enflammé dans ses
élans lyriques. On sent toute la passion qui anime le personnage. Le
reste de la distribution est aussi excellent.
La représentation a été chaudement, longuement
et sincèrement applaudie. Faut-il s'en étonner? Il s'agit d'une
grande mise en scène classique d'un des opéras les plus populaires
(dans le sens noble du terme) du répertoire. Devant une telle
réussite, il faut bien parler de production de référence.
Les Noces de
Figaro (Mozart-Da Ponte/Schmitt) (en français) Le Théâtre
Français de la Musique Direction musicale : Jérôme
Pillement Mise en scène : Pierre Jourdan Texte français
d'Éric-Emmanuel Schmitt d'après Beaumarchais Avec Nicolas
Cavallier (Figaro), Anne-Sophie Schmidt (Suzanne), Philippe Le
Chevalier (le Comte), Sophie Fournier (la Comtesse), Dominique
Ploteau, ténor (Chérubin) Théâtre Impérial de Compiègne, le 11
octobre 1997 à 19h
"Regarder un opéra dont on ne
comprend ni les dialogues, ni l'action, c'est comme cultiver sa
virginité dans une maison de passe : c'est
décourageant..."
C'est en ces termes provocateurs
qu'Éric-Emmanuel Schmitt justifie la nouvelle traduction française
des Noces de Figaro. Le public québécois connaît déjà M.
Schmitt, qui est entre autres dramaturge, et dont la pièce Le
Visiteur a été présentée au Théâtre du Riveau-Vert et au Centaur
il y a quelques saisons. S'il est vrai qu'au début, il est quelque
peu désarçonnant d'écouter cet opéra célébrissime en français,
surtout les récitatifs, on finit par s'habituer et trouver cela
naturel. (Faut-il rappeler qu'à Londres, Stockholm, Berlin, etc.,
les opéras nationaux présentent les oeuvres dans la langue du pays?)
La traduction, qui tente de retrouver Beaumarchais sous Da Ponte
sans trahir ni l'un ni l'autre, est souple. Il y a bien quelquefois
des tournures moins heureuses ("il se montre un peu désordre"), mais
le travail de M. Schmitt est dans l'ensemble remarquable d'invention
et de clarté. (Photo: G.
Nunsart)
La production a pu bénéficier de mois de
répétition, et cela se sent. Rarement a-t-on vu sur scène des
chanteurs d'opéra aussi à l'aise dans leur rôle. Les interprètes
sont toujours à l'écoute l'un de l'autre, et tous sont excellents.
Le Figaro de Nicolas Cavallier, en particulier, ajoute à sa
virtuosité vocale une assurance frôlant l'effronterie qui sied bien
au personnage. S'exprimant de surcroît dans leur langue maternelle
(et dans celle de l'auditoire, qui reste rivé autant à l'action qu'à
la musique envoûtante de Mozart), les chanteurs peuvent se
concentrer davantage sur le jeu scénique. Il en résulte une harmonie
chant-théâtre tout à fait remarquable.
Dominique Ploteau compose un Chérubin
remarquable d'ingénuité ; sa voix douce et ses boucles blondes y
sont sans doute pour quelque chose. Mais ses airs, transposés pour
un registre de ténor, perdent quelque peu de la légèreté et de la
finesse d'origine.
Deux jours avant de voir ces Noces dans le beau
Théâtre Impérial de Compiègne (moins d'une heure au nord de Paris),
j'ai assisté à l'Opéra Bastille à la mise en scène légendaire
de Giorgio Strehler du même opéra. La production de Compiègne aurait pu
souffrir de la comparaison. Il n'en est rien. Et ce n'est pas un
mince compliment à lui faire que de constater que, sans bien
sûr éclipser sa prestigieuse rivale, elle a su prendre une place
originale à côté d'elle.
Rodrigue
Audet English Version... |
|