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La Scena Musicale - Vol. 20, No. 3

Quatuor Alcan : La grande séduction

Par Réjean Beaucage / 1 novembre 2014

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Quatuor Alcan

Pour célébrer ses 25 ans, le Quatuor Alcan s’attaque à l’un des bijoux du répertoire et nous offre en trois volumes l’intégrale des quatuors à cordes de Beethoven.

C’est une synergie étonnante qui a donné naissance au Quatuor Alcan et qui se maintient encore aujourd’hui, 25 ans plus tard, malgré les soubresauts de l’histoire.

« Ce sont l’Orchestre symphonique du Saguenay–Lac-Saint-Jean (OSSLSJ) et la compagnie Alcan [devenue en 2007 Rio Tinto Alcan] qui ont décidé de former un quatuor à cordes », raconte au bout du fil le violoncelliste David Ellis.

« Partant de là, il fallait faire des auditions pour combler les postes dans ce quatuor. Ces quatre personnes allaient aussi occuper les premières chaises au sein de l’orchestre. Quand nous sommes arrivés ici, on a trouvé que c’était un endroit idéal pour faire vivre un quatuor à cordes. »

Le violoncelliste, originaire du Vermont aux États-Unis, avait alors invité sa conjointe, la violoniste montréalaise Nathalie Camus, à participer aux auditions afin de joindre le quatuor et, par le fait même, l’OSSLSJ.

En 1989, le paysage radiophonique était bien différent de celui que l’on connaît aujourd’hui, particulièrement sur les ondes de la radio publique, et du côté de Chicoutimi, au Saguenay, on peut dire que les conditions gagnantes étaient réunies pour accueillir la nouvelle formation.

Nathalie Camus se souvient : « Lors de l’audition, il y avait quelqu’un de Radio-Canada qui nous promettait deux diffusions par année. C’était important et ça a été très utile pour nous faire un nom, parce que sinon, en région, ce n’aurait pas été évident. »

David Ellis poursuit : « Après notre première diffusion à Radio-Canada, la station a reçu de nombreuses demandes d’autres antennes à travers le pays qui voulaient savoir quel était ce nouveau quatuor ! Pour dire à quel point les choses ont changé du côté de Radio-Canada, à l’époque il nous arrivait de penser que nous faisions trop d’émissions de radio ! Il fallait renouveler notre répertoire constamment. C’est drôle de repenser à cela aujourd’hui... » 

Le quatuor a rapidement pu constater que son établissement en région comportait de nombreux avantages. « Les gens nous considèrent comme un véritable trésor régional, commente David Ellis; ce genre de situation ne peut se retrouver dans un grand centre comme Montréal. »

Écologie culturelle

Trois des membres du quatuor Alcan enseignent aussi au Conservatoire de musique de Saguenay. On comprend que la crise récemment provoquée par la rumeur de fermeture de certaines composantes régionales du Conservatoire de musique du Québec a soulevé des inquiétudes chez ces derniers.

David Ellis commente : « Il est certain que la fermeture du Conservatoire aurait pu remettre en cause l’existence du quatuor. Nous désirons rester ici et y avoir une vie musicale bien remplie, mais il faut que nous puissions travailler. La qualité de la vie culturelle a aussi son importance pour une bonne partie des professionnels qui viennent s’établir dans la région, médecins, professeurs d’université, etc. Il est clair que le Conservatoire est actuellement en mutation, et nous espérons bien sûr que toute cette histoire aura finalement des résultats positifs. »

La fermeture aurait pu en effet entraîner une kyrielle de dommages collatéraux, poussant éventuellement les musiciens professionnels à l’exil vers les grands centres. Nathalie Camus précise : « Si un membre du quatuor devait partir pour, par exemple, aller occuper un poste ailleurs, le quatuor continuerait tout de même à vivre, parce qu’il est un satellite de l’Orchestre symphonique du Saguenay–Lac-Saint-Jean, qui devrait de toute façon trouver un remplaçant. Mais si le Conservatoire devait fermer, ce serait certainement plus difficile d’attirer quelqu’un dans la région, surtout avec une radio publique beaucoup moins présente. »

Outre Camus et Ellis, les autres membres du quatuor sont l’altiste Luc Beauchemin, arrivé en 1994, et Laura Andriani, qui occupe le poste de premier violon depuis 2003.

Le Quatuor Alcan compte à son catalogue une quinzaine d’enregistrements dont l’ensemble couvre un répertoire très vaste, depuis Mozart jusqu’aux musiques d’aujourd’hui.

« Je pense que c’est ce qui nous distingue, dit Nathalie Camus. Quand nous sommes venus nous installer ici, c’est vraiment le projet de quatuor qui nous attirait le plus, parce que le travail au sein d’un orchestre, on peut toujours en faire en tant que pigiste un peu n’importe où. Avec le quatuor, nous nous imposons un rythme soutenu, et beaucoup de répertoire. Dans la saison de l’OSSLSJ, il y a la série des Mardis-concerts, dont nous assurons la direction artistique. C’est une série de six concerts par année et il y en a quatre dans lesquels nous jouons, ce qui signifie déjà quatre répertoires différents. »

Il y a aussi des créations, comme celle d’Andrew MacDonald, que le quatuor offrira en février prochain dans cette série.

« Nous n’avons pas vu la pièce encore, dit David Ellis, mais il nous prépare quelque chose pour célébrer notre 25e anniversaire. Il a déjà écrit pour nous il y a quelques années et nous avons eu envie de reprendre contact avec lui pour ce nouveau projet. Il y a aussi le pianiste John Roney qui va écrire une pièce pour nous. »

Le Quatuor Alcan accompagnait d’ailleurs le pianiste, ainsi que le bassiste Alain Caron, lors d’un concert donné dans le cadre du Festival international de jazz de Québec en octobre dernier; il jouait pour l’occasion des œuvres d’Alain Caron arrangées par Roney.

« Ce genre de projet contribue à démontrer notre polyvalence, poursuit le violoncelliste. Nous sommes vraiment prêts à nous frotter à toutes sortes de projets et à sortir de l’image que se font les gens d’un quatuor à cordes. Nous avons d’abord voulu nous établir dès le début comme un quatuor classique et la plupart de nos enregistrements sont, en ce sens, des programmes standards dans lesquels nous jouons le grand répertoire du genre, mais nous avons aussi fait quelques percées en musique contemporaine avec un disque consacré à trois quatuors d’André Prévost, par exemple. Nous répétons tous les matins et nous voyons un peu notre situation au Saguenay comme si nous étions un « Banff Centre » de l’Est. C’est un grand avantage de pouvoir nous concentrer sur notre travail sans être continuellement distraits par autre chose. Nous avons le temps et l’espace pour travailler à notre guise, alors nous en profitons. »

Beethoven

Dans le répertoire pour quatuor à cordes, l’intégrale des quatuors de Beethoven est le grand corpus auquel tous les ensembles veulent un jour se frotter. Ces dix-sept œuvres composées sur une période de 30 ans constituent un véritable monument au genre. S’il ne nous offre son intégrale que maintenant, le Quatuor Alcan n’a pas attendu 25 ans avant d’offrir sa vision de la musique de Beethoven.

« Nous avons déjà donné l’intégrale au moins trois fois en concert, rappelle David Ellis. Comme tout bon quatuor, nous avons commencé à les travailler au tout début de notre carrière. Alors, dans le fond, il y a 25 ans de travail dans ces enregistrements. Le Quatuor Orford a enregistré l’intégrale il y a une trentaine d’années, mais aucun autre quatuor au Canada n’a réussi à trouver les conditions favorables à la réalisation d’une telle entreprise. Il faut vraiment que les musiciens acceptent de se consacrer à fond à un tel projet. Nous avons commencé à penser à cette intégrale sur disque il y a cinq ans, en voyant venir notre 25e anniversaire. Nous sommes très heureux que la maison de disques ATMA ait accepté d’embarquer avec nous dans l’aventure. Parce que, bien sûr, on peut se demander si on a vraiment besoin d’une autre intégrale des quatuors de Beethoven, mais je crois que ça demeure un événement important pour la vie musicale canadienne. »

Quelles sont les caractéristiques des quatuors de Beethoven tels qu’interprétés par le Quatuor Alcan ?

« Je crois que c’est surtout notre son, répond Nathalie Camus. Nous avons une personnalité qui s’est définie au fil du temps et je pense que ça s’entend. »

David Ellis ajoute : « Nous sommes quatre personnes avec des histoires bien différentes. Moi je viens des États-Unis, Laura, notre premier violon, vient d’Italie, tandis que Nathalie et Luc sont du Québec. Je pense que cela nous donne peut-être à chacun des façons différentes de voir la musique, une énergie particulière, qui n’est pas celle, par exemple, d’un ensemble dans lequel les musiciens viennent tous de la même école. »

Le premier volume de l’intégrale est lancé ce mois-ci, tandis que le deuxième paraîtra en janvier et le troisième en avril. « Nous avons étalé les enregistrements sur cinq ans, note la violoniste. Au final, c’est presque comme si nous avions produit deux disques par année, c’est quand même pas mal ! Nous avons choisi de sortir l’ensemble une fois qu’ils seraient tous enregistrés, mais c’est une stratégie difficile, car pendant ce temps-là, si tu ne sors pas de disque, tu es moins visible. Nous avons donc quand même pu enregistrer d’autres projets, alors ces dernières années ont été assez intenses ! »

Deux disques sont en effet parus en 2011, l’un chez ATMA (Carte postale, avec des œuvres de José Vieira Brandão, Alessandro Annunziata, José Evangelista, Miguel del Aguila, Dimitri Nicolau, Paquito D’Rivera et Aïrat Ichmouratov) et l’autre chez Analekta (avec le pianiste Alain Lefèvre dans des œuvres d’André Mathieu et Ernest Chausson).

Les pochettes des trois albums reflètent en quelque sorte les trois époques de création des quatuors. D’abord, celle du jeune Beethoven (les 6 premiers quatuors, 1798-1800), qui est plus près du modèle de Haydn, mais qui réussit tout de même à affirmer sa personnalité. La deuxième période (quatuors nos 7 à 11, 1806-1810) est plus mature et le compositeur y prend maintenant toute sa place. Puis, enfin, les derniers quatuors (la Grande Fugue et les quatuors nos 12 à 16, 1825-1827) qui, dit Nathalie Camus, « sont complètement sautés ! »

« L’une des choses qui nous tient à cœur aussi, ajoute David Ellis, c’est de promouvoir la région où nous sommes et pour cette raison, les photos qui ornent ces pochettes ont été prises sur le Saguenay... à moins 40 ! » Et Nathalie Camus d’expliquer : « Nous voulions un décor grandiose pour illustrer la musique de Beethoven, pas une photo prise dans une salle, mais bien un grand espace, comme on en trouve chez nous. »

Concerts à venir

Depuis sa fondation, le Quatuor Alcan a donné des centaines de concerts ici comme ailleurs et, bien qu’il ne se restreindra pas au répertoire beethovénien, la sortie de l’intégrale permettra à l’ensemble de rajouter de nombreux concerts sur la route dans les mois qui viennent. C’est le 4 novembre, dans la série des Mardis-concerts de l’Orchestre symphonique du Saguenay–Lac-Sain-Jean, qu’aura lieu dans son coin de pays le lancement du premier volume de l’intégrale du Quatuor Alcan. On retrouvera l’ensemble à la salle Bourgie, à Montréal, le 12, puis le 16 à la salle Rolland-Brunelle à Joliette. La série de concerts se poursuivra en 2015, comme la parution des autres volumes de cette grande aventure musicale.

www.quatuoralcan.com


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