En périphérie... de la musique mixte Par Réjean Beaucage
/ 21 février 2006
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Le monde de la musique contemporaine, malgré tout ce
que l'on peut en dire, reste par certains aspects bien conservateur. Ainsi, je
m'étonne sans cesse du nombre de compositeurs nés, par exemple, après 1930, et
qui n'ont pas encore intégré l'un des instruments de musique les plus
versatiles qui soit : l'électricité. Elle est présente partout (ou presque) et
peut être utilisée en musique de mille façons (ne songeons qu'à
l'amplification), mais pour nombre de compositeurs, elle n'existe pas. Un peu
comme si Mozart avait décidé, tout à fait arbitrairement, de ne pas écrire de
musique pour le violon... Heureusement, il y a quand même de plus en plus de
compositeurs qui s'emploient à découvrir et développer les potentialités
infinies de l'électricité, sans se priver des plaisirs propres à l'utilisation
d'instrumentstraditionnels ; ils défrichent ce faisant le meilleur des deux
mondes.
Les 8 et 9 février (20h), le Nouvel Ensemble Moderne
présentera, en collaboration avec le CCMIX (Centre de création musicale Iannis
Xenakis) de Paris, MusMix III, la troisième édition de la tribune canadienne
consacrée à la musique mixte. Lorraine Vaillancourt y dirigera des œuvres de
Pierre Jodlowski, Laurie Radford, Andrew Staniland, Henry J. Ng. À la Maison de
la culture Maisonneuve. 514.343.5636 (Table ronde le 8 à 18h30 avec Henry J. NG
et Andrew Staniland)
Aussi à surveiller, les 27, 28 et 29 avril prochains,
la société Codes d'accès présentera trois soirées sous le thème « Les machines
à communiquer » (au Théâtre La Chapelle, à Montréal). La première soirée sera
consacrée à des œuvres de « musique automatisée » des compositeurs Olivier
Bélanger, Georges Forget et Alexandre Burton ; la deuxième soirée nous
présentera des musiques mixtes de Bernard Parmegiani, Stéphane Roy, Paul
Dolden, Jean-François Laporte et Luciano Berio ; enfin, le dernier concert fera
entendre des pièces acousmatiques, de l'art radiophonique et de la
vidéo-musique de Christian Bouchard, Martin Bédard, Mathieu Marcoux, Nicolas
Bernier, Delphine Measroch, James Duhamel et Frank Zappa.
Au commencement
Parmi les précurseurs, on note bien sûr Edgard Varèse,
qui met l'orchestre sur le même pied que la bande magnétique dans Déserts
(1954), sans que les deux, pourtant, ne se croisent jamais. Attention : Varèse
avait prévu que certains chefs seraient trop frileux pour supporter la bande
magnétique, il est donc permis d'interpréter Déserts sans la bande
réalisée au Groupe de recherches musicales, ce que ne se prive pas de faire
Pierre Boulez sur l'enregistrement qu'il en a fait pour Deutsche Grammophone en
1996 (471 137-2) ; on lui préférera certes l'enregistrement du Polish National
Radio Symphony Orchestra avec Christopher Lyndon-Gee, paru chez Naxos
(8.554820).
Boulez qualifiait de « bricolages » les travaux de
musique concrète réalisés au GRM, mais ça ne l'a pas empêché d'avoir recours
lui aussi à la bande magnétique (dès 1958, dans Poésie pour pouvoir). Il
se tournera cependant plus tard vers les dispositifs électroniques de
traitement en direct (développés à l'IRCAM – Institut de recherche et
coordination acoustique/musique – qu'il dirige de 1977 à 1991). C'est le cas
pour Répons (1981-1984), Dialogue de l'ombre double (1985) ou ...explosante/fixe...
(version de 1991-1993), entre autres.
Karlheinz Stockhausen a été le premier à proposer une
bande accompagnant simultanément (plutôt que par des interpolations,
comme chez Varèse) des instrumentistes avec Kontakte (1959-1960) et, à
travers une production qui est parmi les plus variées que l'on puisse imaginer,
la musique mixte conserve une place de choix dans son vaste catalogue. Parmi
ses enregistrements récents, « Percussion – Elektronik » (Stockhausen Verlag,
2005, CD 79) mérite que l'on s'y attarde. On y trouve cinq pièces. Vibra-Elufa
(2003) est apparemment la première pièce écrite par le compositeur pour
vibraphone solo (il s'agit d'une nouvelle version de Elufa, pour cor de
basset et flûte, de 1991). Dans Comet (1994/1999), qui est une version
pour percussionniste, musiques électronique et concrète et projectionniste
sonore de Children's War, pour chœur d'enfants, les deux parties du
chœur sont chantées par Kathinka Pasveer sur un enregistrement multipistes qui
comporte aussi une trame électroacoustique (le tout devant être projeté sur 4 x
2 hauts-parleurs depuis un enregistrement sur quatre pistes). Le
percussionniste s'entoure d'un attirail « choisi librement » et de déclencheurs
reliés à un échantillonneur où il a pris soin d'emmagasiner différents sons de
jouets. Selon la description de la partition fournie dans le livret, le
percussionniste jouit d'une grande liberté dans l'interprétation d'une
partition qui comporte néanmoins beaucoup de détails. Le résultat qu'offre
l'ensemble est un univers sonore comme seul Stockhausen sait les imaginer. La Wings–of-the-nose-Dance
(1983-1988), pour percussionniste et joueur de synthétiseur, est moins
exubérante, mais n'en renouvelle pas moins de belle façon le vieux couple
percussion/clavier. Le disque se conclut par Piano Piece XVIII (2004),
pour piano électronique et, enfin, Wednesday Formula (2004), version de
la pièce précédente pour trois percussionnistes (métaux, bois, peaux). Un autre
bel exemple de la continuité conceptuelle à l'œuvre chez Stockhausen.
GRM et IRCAM obligent, les compositeurs français ont
largement contribué au développement de la musique mixte. Luc Ferrari est sans
doute l'un des plus inventifs créateurs dans ce domaine parmi les compositeurs
issus du GRM. Autre géniteur d'une production touffue, on lui doit par exemple Cellule
75, pour piano, percussions et bande magnétique (1975, Tzadik - TZ
7033), À la recherche du rythme perdu, pour piano et bande magnétique
(1978, La Muse en Circuit - Musidisc 242242) et encore d'autres Enfilades pour
piano et magnétophone (1985, La Muse en Circuit - Musidisc 242232). Un
disque paru chez Mode Records regroupe Et si tout entière maintenant, un
conte symphonique pour actrice, prises de son sur un brise-glace et orchestre
(1986-1987) et ses Chansons pour le corps, pour chanteuse, deux
clarinettes, piano, synthétiseur, percussion et bande magnétique stéréo
(1988-1994, MODE 81). Il offrira à l'auditeur curieux de bons exemples de
l'imaginaire débridé de ce compositeur malheureusement disparu l'année
dernière.
Il y en a encore bien d'autres, heureusement et, sans
doute, de plus en plus. Parmi eux, les Français Tristan Murail, Philippe
Leroux, Martin Matalon ou, plus près de chez nous, Steve Reich, Serge Provost,
Tim Brady... Des univers électrisants qui méritent amplement que l'on se
tienne... au courant !
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