Histoires de passeurs Par Marc Chénard
/ 12 décembre 2005
English Version... On
connaît bien ces grands du jazz que sont Armstrong, Ellington, Parker, Monk,
Coltrane... Mais il y a aussi une kyrielle d'autres musiciens qui peuplent la
galaxie jazz de leur plus modeste présence. Et ces figures méconnues ou
obscures qui, pour une raison ou une autre, n'ont jamais percé, que dire à leur
sujet ? Manque d'ambition, ou d'aptitudes nécessaires pour s'affirmer ? Jouer
de malchance en n'étant jamais au bon endroit au bon moment ? Mourir dans la
fleur de l'âge ?... Voici cinq musiciens, à qui on a réservé une mesure de
reconnaissance posthume.
Herbie Nichols (1919-1963)
Sans doute le plus célèbre des méconnus de l'histoire
du jazz, Herbie Nichols était un pianiste original à quelque part entre le jazz
classique et le bop. Auteur de quelque 170 pièces, la moitié d'entre elles ont
été perdues dans l'inondation de la cave de son père. Pour gagner sa maigre
croûte, il accompagnait le plus souvent des musiciens de moindre calibre. Homme
cultivé et discret, il n'avait ni l'excentricité d'un Monk, ni les mauvaises
habitudes de ses confrères. Il réussit pourtant à enregistrer sa musique en
trio chez Blue Note en 1955-56, puis un autre disque chez Bethleem l'année
suivante, mais ensuite plus rien. À l'automne de 1962, il répétait sa musique
en quintette (avec Archie Shepp et Roswell Rudd comme souffleurs), mais ne put
continuer en raison de la maladie (la leucémie) qui allait l'emporter au
printemps suivant. Il fallut plus de 20 ans pour qu'on le redécouvre
(ironiquement, en Europe), mais sa musique fait maintenant l'objet de
relectures, entre autres par une formation américaine appelée le « Herbie
Nichols Project ». Harmoniquement imprévisible et structurée de manière
inusitée, sa musique est très personnelle tout en trahissant un grand nombre
d'influences, tant afro-américaines qu'européennes.
À écouter : « The Complete Recordings of Herbie
Nichols on Blue Note » (Coffret 3 DC)
Wilbur Harden (1924-1969)
Le Lautréamont du jazz en quelque sorte, cette figure
énigmatique (dont il n'existe apparemment qu'une seule photo) n'eut qu'une
année de gloire durant sa courte existence : en 1958, il grava quatre
microsillons, trois d'entre eux avec nul autre que Coltrane et le dernier en
compagnie du pianiste Tommy Flanagan. Premier spécialiste du bugle en jazz (le
flügelhorn), il était un mélodiste élégant et offrait un beau contraste au jeu
plus agressif du saxophoniste. Vers 1960, il se retire de la scène pour raison
de « maladie » (selon tous les relevés biographiques, qui n'en disent pas
plus). L'année de sa mort resta un mystère pendant longtemps, mais la nouvelle
édition du dictionnaire de jazz Grove la fixe à juin 1969. Aux dires du saxo
Yussef Lateef, qui l'avait d'abord engagé dans son groupe en 1957, on le
retrouva mort dans la rue, sans plus.
À écouter : Tanganyika Strut (Savoy Jazz), réédité
sous le nom de John Coltrane
Joe Harriott (1928-1973)
À
sa disparition, aucune notice nécrologique ne parut dans les journaux ou
magazines de jazz en Angleterre, patrie d'adoption de ce saxophoniste émigré
des Antilles en 1951. Pourtant, ce musicien noir formulait, en parallèle à
Ornette Coleman aux États-Unis, un concept de free jazz, ou « jazz abstrait »,
comme il l'appelait. De nos jours, on le reconnaît comme un précurseur de la
musique improvisée européenne, même s'il avait délaissé cette voie dans les
années 60 pour revenir vers un jazz plus traditionnel, ou encore en tentant une
fusion avec les musiques indiennes (les « Indo-Jazz Fusion »). Musicien qu'on
disait sérieux et voué pleinement à son art, il se buta à l'indifférence d'un
public plus entiché par le jazz classique. En dépit de l'oubli, sa consécration
vint ces dernières années, alors que le saxophoniste chicagoan Ken Vandermark
créa son « Joe Harriott Project » pour revisiter sa musique. En 2003, une
biographie de Harriott, intitulée « Fire in his Soul », a été publiée en
Angleterre.
À écouter : « Free Form – Joe Harriott Quintet »,
Redial, réédition Universal
Richard Twardzik (1931-1955)
Si ce n'était pas d'une certaine ressemblance
physique, Chet n'aurait pas autant mérité la comparaison avec James Dean que le
pianiste Richard Twardzik. Né la même année que le légendaire acteur américain
et mort exactement 24 ans plus tard, Twardzik avait été, aux dires de Baker,
son frère de sang musical. Enfant unique d'un couple assez austère de Boston,
le talentueux pianiste devint narcomane sur le tôt, se sevrant à un moment pour
chuter de nouveau. Lui, Baker et deux autres jeunes compatriotes partirent à la
conquête du Vieux Continent, mais lors d'un séjour à Paris, Twardzik perdit la
vie dans sa chambre d'hôtel, victime de la dose ultime. Et pour comble, Baker
devint à son tour esclave de l'aiguille après la disparition de son confrère
d'arme, devenant l'infâme junkie jusqu'à sa propre déchéance en 1988. Pendant
longtemps, le legs discographique de Twardzik comptait parmi les objets de
convoitise des collectionneurs, mais des rééditions récentes en compacts
permettent de découvrir ce talent prometteur, mais sans lendemain.
À écouter : « Richard Twardzik Trio », Pacific Jazz,
réédition chez EMI en 1989
Tina Brooks (1932-1974)
D'après le nom, les néophytes seraient portés à croire
à un personnage féminin, or il s'agit bien d'un homme dont le surnom provenait
du mot « tiny », qu'on lui colla durant sa jeunesse en raison de sa petite
taille. Saxophoniste ténor aux habiletés modestes, il était un passeur chez
Blue Note à la fin des années 50, d'abord avec l'altiste Jacke McLean, puis
effectuant trois séances sous son propre nom, dont une seule parut de son
vivant. Parmi les inédits, le disque « Back to the Tracks » avait même été
annoncé dans les ma-gazines de l'époque, sans avoir été mis en marché, devenant
ainsi un album mythique pour les collectionneurs. Un article récent à son sujet
(dans Coda Jazz Magazine) impute sa disparition de la scène à son
homosexualité, un trait de personnalité honni dans le monde très macho du jazz,
mais la conclusion qu'il était un modeste artisan, sans plus, s'impose
toutefois.
À écouter : « Back to the Tracks » Blue Note,
Conoisseur series *
Photo: Francis Wolff
Jazz à pleine vue
Marc Chénard, Félix-Antoine Hamel, Paul Serralheiro
On ne s'étonnera pas qu'il existe plusieurs documents
filmés de la longue carrière de Duke Ellington. Dès les débuts du cinéma
parlant, il apparut à l'écran avec son orchestre, puis, à l'ère de la
télévision, plusieurs documentaires lui furent consacrés. Pour ceux qui n'ont
pas eu le privilège de le voir en chair et en os, ces images permettent
d'entrer dans le monde de l'un des plus grands créateurs du jazz.
Duke Ellington & his Orchestra 1929-1943
Storyville Films 16033
****
Sur ce DVD Storyville se retrouvent certaines de ses
premières présences à l'écran. « Black and Tan », de 1929, malgré une intrigue
naïve, nous offre un témoignage indirect mais précieux sur l'atmosphère du
célèbre Cotton Club. « Symphony in Black », de 1934, est déjà plus ambitieux,
tant sur le plan filmique que sur le plan musical. Cette œuvre méconnue
préfigure en quelque sorte la suite « Black, Brown and Beige » de 1943. On y
remarque une jeune Billie Holiday, chantant Saddest Tale. Complétant le
programme, on y voit un extrait de « Check and Double Check » (1930), de « Hit
Parade of 1937 », ainsi que « Record Making with Duke Ellington and his
Orchestra » (1937) et quatre pièces tournées en 1943, dans lesquelles on
remarque Ben Webster. La brièveté du DVD (autour des 55 minutes) laisse
cependant le spectateur quelque peu sur sa faim et l'on aurait pu souhaiter y
voir figurer d'autres films provenant de cette même époque.
On The Road With Duke Ellington
Robert Drew, 1967/1974
Docurama NVG-9502
*****Édité chez Docurama, « On the Road with Duke
Ellington », du cinéaste Robert Drew, est un document exceptionnel. Les
différents aspects de la vie du Duke y sont traités, non pas de façon
historique (malgré un bref passage de réminiscences), mais plutôt dans le
quotidien. L'ayant filmé dans divers contextes en 1967, le réalisateur nous
permet ainsi d'entrer au plus près dans le rythme des activités du maestro. On
voit ainsi Ellington accepter un doctorat honorifique, signer des autographes,
jouer en concert ses vieux classiques, s'installer au piano pour composer,
diriger un concert sacré, enregistrer une nouvelle pièce, prendre à l'hôtel son
fameux déjeuner de steak et pommes de terre au four, recevoir Louis Armstrong
dans sa loge et assister aux funérailles de son plus proche collaborateur,
Billy Strayhorn. Bref, un film qui dépasse l'anecdotique pour nous offrir un
portrait fascinant et essentiel aux amateurs du grand maestro.
Signalons, en terminant, d'autres documents visuels
qui valent aussi le détour :
Memories of Duke (1968) – Music Video
Distributors
Copenhagen 1965
The Intimate Duke Ellington (1967)
Live at Tivoli Gardens (1971)
(Ces trois titres disponibles sur Image Entertainment)
Anatomy of a Murder (1959) d'Otto Preminger –
Columbia / TriStar
(Ellington composa sa trame sonore la plus célèbre
pour ce dernier film, dans lequel il fait même une brève apparition) FAH
Dave Holland Quintet : Live in Freiburg
TDK 2412100132
****Y a-t-il un musicien plus représentatif du jazz
moderne que le grand contrebassiste Dave Holland ? Protégé de Miles Davis dans
sa première période électrique, puis côtoyant l'avant-garde free (Braxton et
Rivers entre autres), il s'est affirmé pleinement dans une musique purement
acoustique, appuyée de compositions originales sophistiquées et jouées avec
panache par des accompagnateurs de premier plan. Dirigeant ses propres
formations depuis plus de 20 ans, il a contribué à mettre sur la carte
plusieurs talents, le plus récent étant Chris Potter. En 1986, date de cette
captation audio-visuelle dans la ville allemande de Freiburg, ce quintette
comptait un musicien qui marquerait le jazz des années 1990, soit le saxo alto
Steve Coleman. À ses côtés, on entend le toujours inspiré Kenny Wheeler (ici
entendu surtout au cornet et un peu au bugle -- solo excellent sur World
Protection Blues) et le tromboniste Robin Eubanks (toujours au poste en
2005), sans oublier le percutant Marvin Smitty Smith à la batterie. Variant de
neuf à seize minutes, les cinq thèmes interprétés ici firent partie du
répertoire à l'époque du second enregistrement ECM, « Seeds of Time ». Donnant
une assise de béton, Holland est un soliste tout aussi éblouissant (écoutez et
voyez ses doigts se déplacer avec la vitesse d'éclair sur « Homecoming »).
Puisqu'il s'agit d'une captation pour la télévision allemande ZDF, le tournage
est de grande qualité et la synchronisation de la musique avec les prises de
vue multiples est impeccable. Un des beaux et bons groupes des années 80,
jouant ici avec tout le panache qu'on lui connut. MC
The Super Guitar Trio
Al Di Meola, Larry Coryell, Biréli Lagrène
TDK DVWW-JSGTF
****If a music DVD sometimes raises the question
"why is this not just a CD ?", this session anchored by guitarist Al Di Meola
suggests the answer is so that we can see how the music happens: the quick jump
shots from guitarist to guitarist, close-ups of the fingerboards, the
eye-contact signaling twists and turns in the compositions – visual elements
that bring us that much closer to the music. Filmed before an audience in
Cambridge, Massachusetts, in 1990, the concert features Di Meola at his peak,
spinning out the lightning quick flamenco-coloured licks that he tailored to
his own fashion. Rhythm and phrasing are mesmerizing, and his cohorts keep
pace; Coryell seems more comfortable with the rapid rhythms the leader commands
than Lagrène, a prodigy in the Django mold, who appears to find the context a
little restrictive since his solos never quite take flight. The six tracks here
include the hit "Mediterranean Sundance," and "No Mystery," a Chick Corea tune
that appeared on a 1975 "Return to Forever" album that featured the guitar
sizzle of a young Di Meola. The acoustic six-stringers are accompanied on three
tracks by Gumbi Ortiz and Arto Tuncboyaci on percussion. Chris Carrington also
appears on guitar in a duet with Di Meola on Astor Piazzolla's "Tango Suite."
Although this DVD contains material that is 15 years old, it is satisfying
viewing for fans of the guitar and recalls the work of the fiery 1980s guitar
trios of Di Meola, John McLaughlin and Paco De Lucia. PS
Au rayon du disque / Off the Record
John Coltrane : Mémoires d'outre-tombe
L'année en cours sera sans doute mémorable à un titre,
soit pour la mise en marché d'enregistrements inédits de grande valeur. Ces
derniers mois, un concert de Charlie Parker et de Dizzy Gillespie, donné au
Town Hall de New York en 1945, voyait le jour sur étiquette Uptown Records.
Plus récemment, deux autres nouveautés inestimables s'ajoutent au palmarès.
Thelonious Monk Quartet with John Coltrane:
Live at Carnegie Hall
Blue Note 0 946 3 35174-2
****
Formation mythique, le quartette unissant Thelonious
Monk et John Coltrane s'est produit au café Five Spot de New York durant l'été
et l'automne de 1957. Aucune bande documentant ce périple ne semblait exister
(outre trois plages d'un album studio). Puis, en 1993, les amateurs crurent
être comblés avec « Discovery », édité aussi par Blue Note ; toutefois, cette
prestation eut lieu l'année suivante, Coltrane remplaçant le saxo attitré
Johnny Griffin pour un soir. Par ailleurs, cette parution était entachée par le
transfert d'une bande tournant trop vite, erreur corrigée dans une édition
ultérieure. Perdue dans les limbes de la Bibliothèque du Congrès, cette
nouvelle bande documente une partie d'un concert-bénéfice tenu au Carnegie Hall
en novembre 1957. Non seulement la prise sonore est excellente, mais la qualité
de jeu du groupe est exquise. Plus volubile que d'habitude, Monk glisse souvent
des citations de ses autres morceaux dans ses solos (essayez de repérer Off
Minor ou Hornin' In dans Bye-Ya, ou encore Work dans
la première version d'Epistrophy, la seconde étant hélas ! incomplète).
Coltrane, pour sa part, était le parangon de la volubilité et on l'entend ici à
une des époques-charnières de sa vie, sevré de la drogue et voué pleinement à
son art. Neuf plages sont regroupées ici, les cinq premières données durant un
premier set, les quatre autres plus tard dans la soirée. Derrière ces deux
légendes, le bassiste Ahmed Abdul Malik (mort assez récemment) tient la
pulsation comme un roc, le batteur Shadow Wilson (disparu moins de deux ans
après) est d'un swing indéfectible. Pour agrémenter cette production, six
personnes ont contribué aux notes du livret de plus de 20 pages, dont Ira
Gitler et Amiri Baraka, témoins de cette époque mais pas du concert qui, lui,
semble être passé inaperçu. Pour nos oreilles de 2005, tout cela est éminemment
familier, mais 48 ans plus tôt, cela passait pour l'avant-garde du jazz. Reste
maintenant à savoir quelle avant-garde de notre temps aura la faveur du public
en 2053...
John Coltrane Live at the Half Note – One Down One Up
Impulse (Universal) 2380-02
*****
Il y a de ces disques qu'il importe d'écouter de
toute urgence, si bien que ce chroniqueur s'est gavé de ce copieux repas
musical avant même d'avoir pris son petit-déjeuner. Même si ces enregistrements
ont circulé des années durant parmi les collectionneurs, ils voient enfin le
jour dans une édition légitime. En mars et mai 1965, le quatuor de ce célèbre
musicien se produisait au Half Note, un bar new-yorkais qui lui servait de
laboratoire musical. Pour ces deux soirées, une radio locale diffusa en direct
les performances. Et quelles performances ! Quatre plages garnissent les deux
disques, pour un total de 82 minutes de musique (entrecoupées d'introductions
de l'animateur de l'émission au début des pièces et d'un dernier micro à la fin
de chacune des diffusions, les pièces Afro Blue et My Favorite Things
étant malheureusement incomplètes). Pourtant, c'est la pièce d'ouverture One
Down One Up que beaucoup estiment être le graal ici : outre une intro
de basse, rejointe par la batterie, il s'agit d'un torrent de saxo ténor de
plus de 25 minutes, où le pianiste, suivi du bassiste, se retirent pour laisser
le saxo et le batteur Elvin Jones se livrer un vrai duel de championnat. Le
pianiste Tyner, pour sa part, brille dans les deux pièces tronquées (et on
entend ses solos au complet), sans oublier le tandem Jones-Garrison qui
maintient la musique en état d'ébullition constante. Le maître, lui, n'est rien
de moins que renversant (son solo sur Song of Praise est tout aussi
captivant et autrement plus écorché que la version studio publiée à l'époque).
Par moments, des petites chutes de son sont perceptibles (dans la pièce titre),
mais cela n'amoindrit en rien l'impact. Cette musique a de quoi réveiller les
vivants, ce qui est d'autant plus remarquable pour quelqu'un qui est passé de
l'autre bord depuis 38 ans déjà ! Choc de la musique, disque d'émoi et tout ce
que vous voudrez, quel mémorable témoignage d'outre-tombe ! MC
Art Ensemble of Chicago: Certain Blacks
America Records # 1
067 848-2
*****
The French label America Records captured some of
the most exciting and innovative music being made in the '60s and '70s. As the
original discs are long out of print, this is a reissue series well worth
discovering. The first disc is a strange yet perfect thing. Recorded on
February 10, 1970, in Paris, while America was a seething mass of unrest and
significant social change, this disc is a vital account of the spirit of the
times. Based on a recurring chant ("Certain Blacks do what they wanna / Certain
Blacks go wild yeah / Certain blacks groove on love / Certain blacks dig their
freedom"), this is the Art Ensemble's "A Love Supreme," a collective-leaning
and societally-conscious counterpart to Coltrane's mystic song of praise. The
three-note germ of the chant grows into a 23-minute collective improvisation
the likesof which have not been surpassed. Soulful, expressive, lyrical, crazy,
wild, unfettered, and revolutionary are all words that apply to the music
making here. The main opus is followed by two equally engaging tracks that show
the creative variety the Ensemble was capable of. PS
Roswell Rudd
America Records # 10
067 868-2
****
Recorded five years before the disc reviewed above,
this 10th in the inspired series of reissues happened while Elvis and the
Beatles ruled the airwaves. Despite its age, the music is still fresh, an
evergreen model of inspired improvisation. Rudd's trombone reflects the sounds
of the emerging free jazz and the arcane experiments in serious music circles
(Rudd studied at Yale). Teaming up with Europeans John Tchicai on alto, Finn
Von Eyben on double bass and Louis Moholo on drums in a 1965 date in Holland,
Rudd and company improvise fearlessly on originals and render an idiosyncratic
reading of Monk's "Pannonica." The exploration of sound and textures that is
still the poetic behind most creative music today is here presented in very
inspired bloom, the more impressive because of the pioneering nature of the
language, which will surely surprise listeners despite the rather sub-standard
recording quality. PS
Erroll Garner: Plays Misty
Naxos Jazz Legends 8.120771
****Parmi les 14 plages de cette réédition,
provenant de séances réalisées en 1953 et 1954, on compte plusieurs belles
réussites, dont la version originale de Misty, la pièce la plus célèbre
du pianiste Erroll Garner. Peu importe si ces enregistrements en trio ont été
gravés avant l'introduction de la haute-fidélité, Garner est tout simplement
éblouissant. Peu de pianistes dans les annales du jazz avaient le don de
surprendre l'auditeur et de communiquer avec le grand public autant que lui et
il est facile de comprendre pourquoi la revue Down Beat l'a couronné
meilleur pianiste entre 1948 et 1957. Cette compilation s'ouvre avec Stompin' At
The Savoy, évoquant l'exubérance de Fats Waller et donne un aperçu du
style garnérien. On a beaucoup parlé de ce style unique, aussi charmant que
fougueux, et relancé sans cesse par des idées neuves. Sa prodigieuse main
gauche, expression même du « swing », donnait aussi une couleur harmonique
apparentée à Liszt ou Debussy, notamment dans les ballades. Ce disque est une
bonne écoute car on entend du très bon Garner ; en fait, sa version de Lullaby
of Birdland mériterait à elle seule six étoiles. CC
Miles Davis: Boplicity
Naxos Jazz Legends 8.120772
*****
If you've been thinking of replacing your original
vinyl copy of "Birth of the Cool" with a CD, this budget compilation of
material from that period in Miles Davis's output might interest you. Subtitled
"Original Recordings 1949-1953" this is Volume 2 of Miles Davis on Naxos.
Featuring eight of the tracks from that seminal recording along with ten
others, the material heard here covers stints with Capitol, Blue Note and
Prestige. Although it was recorded on the eve of and during the trumpeter's
lapse into the shadows of heroin addiction, the only tunes that show any signs
of lazy or uninspired playing are the four from Prestige sessions with Al Cohn
and Zoot Sims sharing the front line. Nonetheless, even these are recordings
with historical interest, showing Davis in a setting with West Coast musicians
with whom he shared aesthetic sensibilities for a time, before the protean
leader would form his first famous quintet with John Coltrane. Now that this
Davis material has fallen into the public domain, we can expect some creative
repackaging of the great artist's output, of which this disc is an example. An
added bonus is the thorough liner notes written by Scott Yanow. PS
Vienna Art Orchestra: Swing & Affairs
Universal 02498 74469
***
Peu d'ensembles inscrits dans l'univers contemporain
du jazz peuvent être considérés comme de véritables institutions. Le Vienna Art
Orchestra en est un. Dirigé depuis sa création en 1977 par le compositeur et
arrangeur helvète Matthias Rüegg, le VAO a d'abord fait sa marque comme
orchestre de création pour en devenir un de répertoire au fil des ans. Dans ce
nouvel enregistrement, l'ensemble revisite son passé avec des réarrangements de
sélections antérieures. Des quinze pièces, cinq sont des relectures de pièces
originales, les autres provenant de plumes aussi diverses que Satie, Strauss,
Schubert, Mozart, Mingus, Dolphy, Strayhorn, Monk, Santamaria, Landesmann. À
elle seule, cette liste révèle l'éclectisme du groupe, mais il faut aussi
savoir qu'il s'agit d'un véritable catalogue de tous les poncifs du jazz big
band à l'américaine, l'influence de Duke Ellington traversant le tout. Malgré
une précision exemplaire, cette machine (trop ?) bien huilée semble embrayée
sur le pilote automatique. The thrill is gone. MC
Marty Ehrlich : News on the Trail
Palmetto Records PM2113
****
Dans la foulée de son précédent enregistrement édité
chez nous chez Justin Time, Marty Ehrlich poursuit son travail de compositeur
et d'arrangeur, quoiqu'en formation réduite (un sextette plutôt que la douzaine
de musiciens qui l'entourait dans son précédant opus) et dans un registre
musical plus proche du jazz mainstream que de celui de la Third Stream. Les
références stylistiques abondent, évoquant l'univers d'Ellington ou de
Strayhorn (« Light in the Morning » et « Keeper of the Flame »), un style
syncopé un peu funky (« Here you Say ») ou le son Blue Note années 60
(l'ouverture « Enough Enough »). Cela dit, il ne tombe pas complètement dans le
piège du pastiche, puisque tout le monde y met du sien dans ses solos, le
leader au sax alto et à la clarinette, le multi-instrumentiste Howard Johnson
(au tuba et à la clarinette basse), le trompettiste James Zollar et un trio de
solides rythmiciens. En 53 minutes, l'ensemble négocie les huit originaux du
leader avec conviction. Comme le système de cotes de cette publication n'admet
pas les demi-étoiles, nous en donnerons quatre, même s'il en mérite trois et
demie au plus. MC
Dave Douglas: Keystone
Greenleaf Music GR-03
***
À l'instar de Bill Frisell et Go West (de
Buster Keaton), voici maintenant au tour du trompettiste Dave Douglas de
composer une trame sonore d'un film muet, en l'occurrence Fatty & Mabel
Adrift de Roscoe « Fatty » Arbuckle. Cette comédie saugrenue de 1915
sert donc de prétexte pour une musique qui, malheureusement, ne colle pas à
l'histoire. On voit mal le rapport entre ce film et l'espèce de jazz fusionnant
avec orgue Wurlitzer et basse électrique. Pour cette troisième réalisation sur
son étiquette, Douglas offre un disque audio et un DVD où un remix de la
musique accompagne le film de 34 minutes seulement. Le tout est arrondi par un
bref extrait de 4 minutes d'un autre film dudit M. Arbuckle. Les notes de
Douglas (en ca-ractères minuscules et difficiles à lire) font allusion aux
déboires du réalisateur, apparemment évincé d'Hollywood suite à quelques procès
(sans nous en dire plus, ce qui est plutôt frustrant pour les non-cinéphiles).
Bien qu'on l'eut applaudi pour ses deux disques antérieurs, Douglas a glissé
ici sur une pelure de banane. Meilleure chance la prochaine fois, Dave. MC
The New Talent Jazz Orchestra :
The Sounds of the New York Underground
Fresh Sound FSNT 200
***
D'après le titre de ce double coffret, on penserait
qu'il s'agit d'une musique marginale, ou même ésotérique; toutefois, il s'agit
d'un jazz contemporain joué selon les règles de l'art. Lancé par le producteur
de cette étiquette sise à Barcelone, ce projet rassemble près de 50 musiciens
(pas tous en même temps) qui exécutent huit originaux par autant de
compositeurs du collectif et huit arrangements (par les mêmes). Outre le
guitariste Ben Monder, peu de musiciens sont connus ici, à moins que soyez un
assidu de cette maison de disques. Ce qui plane au-dessus de ces séances, c'est
l'approche du jazz préconisée par la Berklee School of Music, une musique bien
ficelée et polie (dans tous les sens du terme). Et comme une bonne partie des
participants ont justement fait leur classe dans cette institution, nul ne
saurait être surpris par la musique produite. Tout compte fait, il est beaucoup
plus facile de sortir le musicien de l'école que le contraire. Ainsi, à jouer
sans péril, on triomphe sans gloire. MC
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