Courrier des lecteurs
16 mars 2005
English Version... Le
festival international Montréal/Nouvelles Musiques ne fait pas, apparemment,
que des heureux. LSM publie ce mois-ci la lettre d'un compositeur dont
la musique n'apparaît pas dans la programmation du festival et qui s'interroge
sur son fonctionnement. N'hésitez pas à nous faire part de vos commentaires et
opinions en les adressant à Réjean Beaucage à l'adresse :
rbeaucage@scena.org.
Festival MNM : Un reflet de notre
identité ?
« Le festival est né du désir de ses deux co-directeurs
artistiques, Walter Boudreau et Denys Bouliane, de faire du Québec une plaque
tournante internationale de la création musicale. Nous avons ici affaire à deux
"hommes forts" de la création musicale au Québec qui souhaitent orienter le
devenir de la création musicale québécoise en imposant un certain nombre de
leurs idées... »
Michel Duchesneau, Montréal Nouvelles Musiques :
Perspectives, Circuit, vol. 14, nº 2
Jusqu'à maintenant, il semblait de mise d'occulter les
mécontentements que MNM avait pu générer auprès des divers organismes,
ensembles ou compositeurs du milieu. Je ne crois pourtant pas qu'il soit
souhaitable d'éviter tout débat sur ce festival et la façon dont il est dirigé
par ses co-directeurs si l'on souhaite que celui-ci devienne une vitrine
internationale représentative du milieu et des diverses forces qui le
composent.
Dans son article, M.Duchesneau mentionnait aussi : «
L'une des principales critiques qu'a subie [sic] MNM à ses débuts, avant même
d'avoir annoncé ses couleurs, fut celle de manquer de transparence, de
partialité. Car comment des compositeurs peuvent-ils juger de la qualité des
œuvres de d'autres compositeurs ? Inévitablement, leurs critères découlent de
leur pratique personnelle, de leur orientation esthétique... Pour MNM,
cependant, ces choix devraient être faits au nom d'une communauté et non pas au
nom d'un seul acteur qui offre alors une vision personnelle nécessairement
réductrice. »
À cause de cette problématique, il m'apparaît
dangereux, même pour une bonne cause telle que convaincre les subventionneurs
et les médias, de donner l'illusion que MNM est le résultat d'un consensus
absolu du milieu musical qui aurait mandaté unanimement quelques-uns d'entre
nous de la mission d'organiser une vitrine représentative de notre identité,
dont ils seraient les dépositaires attitrés.
À la lumière de mon expérience personnelle mais aussi
de mes échanges avec divers compositeurs, interprètes et organismes du milieu,
je souhaite interroger le consensus du milieu sur ce festival, en posant les
questions suivantes :
MNM est-il utile pour le milieu et répond-il à un
besoin urgent de visibilité de notre art ?
À cette question, je puis répondre OUI, sans hésiter.
L'édition 2003, malgré l'absence de quelques organismes d'importance, a permis
de constater à quel point l'effervescence exceptionnelle du milieu de la
musique nouvelle avait besoin d'une telle tribune pour s'exprimer avec un
maximum de visibilité.
MNM est-il pour autant un festival représentatif et
équitable des « Forces en présence » du milieu ?
Dans sa forme actuelle, à cause de certains aspects
hégémoniques du processus de sélection des oeuvres à son programme, on peut
sérieusement en douter.
Reconnaissons d'emblée qu'il est en effet difficile de
faire plaisir à tout le monde et que tout festival a forcément une direction
artistique qui doit faire des choix. [...]
Mais voilà... S'il s'agit réellement d'une vitrine
internationale représentative du milieu et des diverses forces qui le
composent, pourquoi la direction artistique du festival ne laisse-t-elle pas
réellement les musiciens, ensembles ou organismes, en fonction de leur mandat
et vision artistique, déterminer ce qu'ils présenteront pendant le festival ?
Ne serait-ce pourtant pas là, justement, une bonne façon d'obtenir une vitrine
correspondant à l'état actuel du milieu et des diverses forces le composant ?
Les co-directeurs de MNM ne considèrent-ils pas que ceux-ci ont assez de
jugement artistique pour déterminer eux-mêmes des oeuvres qu'ils y présenteront
?
Toute direction artistique a bien sûr le droit de
proposer ou déconseiller aux participants du festival telle œuvre ou tel
compositeur, pour une raison ou pour une autre. Mais lorsqu'elle utilise ce
droit, ne doit-elle pas le faire avec ouverture d'esprit, respectant les
mandats et tendances artistiques des intervenants qui sont, que cela concorde
ou non à leur vision, représentatives du milieu ? Ce droit de regard d'une
direction artistique devient dangereux lorsque celle-ci a une vision trop
étroite de ce qui est digne de représenter le milieu ou que ses choix tendent à
vouloir soutenir ses thèses esthético-culturelles sur notre identité
culturelle.
Il faudrait d'ailleurs bien se demander pourquoi nous
laissons quelques individus s'accaparer autant de pouvoir sur le milieu. Ce
type de « sauveurs », prétendant nous représenter auprès des instances
gouvernementales, des médias et aussi des milieux culturels de d'autres pays ne
risquent-ils pas de le faire en tenant uniquement compte de ce qui entre dans «
leur vision », forcément imprégnée de leurs propres fantasmes
esthétiques,transformés en critères d'appréciation ? N'y a-t-il pas dans cette
façon très « européenne » de laisser autant de pouvoir à quelques individus,
quelque chose de dangereux ? Est-il normal que quelques individus déterminent
alors quelles sont les œuvres « fortes » qui « nous représentent », et qui sont
donc « présentables » et « exportables » ?
Le milieu n'est-il pas pourtant capable de réfléchir
ensemble à des solutions pour donner à notre musique une diffusion et un
financement à la hauteur de son foisonnement incroyable sans nécessairement
faire appel à ce que M. Duchesneau appelle des « hommes forts de la création
musicale au Québec qui souhaitent orienter le devenir de la création musicale
québécoise en imposant un certain nombre de leurs idées » ?
Pourquoi ne pas réaliser la programmation de MNM en
faisant une véritable concertation du milieu, réunissant bien en avance les
différents musiciens, ensembles et sociétés de concerts, les consultant sur les
œuvres qu'ils souhaitent y défendre afin qu'ils puissent y représenter leur
mandat et vision artistique ? Ne sommes-nous pas capables de générer par une
telle concertation un véritable portrait des diverses tendances et visions
artistiques du milieu de la musique nouvelle ?
Et la cohérence ? C'est justement par notre approche
de cette problématique que l'on verra si le milieu a réellement confiance que
de notre culture musicale puisse surgir des caractéristiques identitaires
suffisamment fortes pour générer cette cohérence.
J'ajouterai même que ce chemin, plus long et chaotique
peut-être, me semble celui qui permettra de faire surgir de notre musique des
caractéristiques identitaires amenant une meilleure reconnaissance de notre
rôle dans la société. Cela n'est-il pas fondamentalement plus important qu'une
hypothétique bénédiction ou reconnaissance de nos confrères d'outre-mer ?
L'interrogation que je soulève ici est partagée par
plusieurs organismes, ensembles ou compositeurs impliqués ou non dans ce
festival. Elle ne peut être balayée d'un simple revers de la main par les
co-directeurs de MNM. Il est indéniable qu'il existe un précieux consensus sur
l'utilité et la pertinence de MNM, mais si l'on veut que celui-ci devienne une
vitrine internationale de notre identité musicale, il faudra réfléchir sur le
processus engendrant sa programmation et intégrer dans celui-ci divers acteurs
du milieu représentant la diversité des mandats des organismes le composant.
C'est le défi que les organisateurs de MNM devront relever. Car, pour reprendre
ici les termes des co-directeurs de MNM : « MNM est enfin un événement qui
correspond exactement au stade de développement de la création musicale dans
notre pays; c'est la vitrine internationale dont nous avions besoin. »
Mais au fait, messieurs, ce « nous », qui
est-ce exactement ?
Simon Bertrand
Compositeur
La Scena Musicale vous invite à ne pas
dépasser plus de 300 mots dans vos envois pour publication dans cette page. LSM
se réserve le droit de couper les textes jugés trop long.
Vous trouverez d'autres lettres sur notre site
Internet (http://www.scena.org) dont la
réponse de M. Yvan Gauthier, président-directeur général du CALQ, à M. Michael
Nafi, directeur administratif de La Nouvele Sinfonie (section Spotlight / Plein
feux).
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