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Critiques de La Scena Musicale Online. [Index]
Mitsuko Uchida, une romantique raisonnable. par Stéphane Villemin / le 7 novembre 1999 La sensibilité musicale de Mitsuko Uchida nous rappelle que Schumann a déclaré un jour que toute musique était d'essence romantique. Son récital torontois fut l'occasion de démontrer à ceux qui en doutaient encore, la profondeur et la subjectivité intelligente de son jeu raisonnablement engagé du côté coeur. Si une telle approche n'étonne pas dans Chopin et Schubert, elle relève d'un engagement personnel et délibéré pour Mozart et Webern. Bien que ce siècle ait été celui de la réhabilitation musicologique qui a dépoussiéré Mozart de la tradition romantique, tout en essayant d'imposer l'Ecole de Vienne sous le diktat des modernistes, l'amateur de musique ne peut que se réjouir de ce retour à l'émotion qui semble resurgir depuis la chute du mur de Berlin. L'extrémisme cartésien, issu d'un préjugé intellectuel et contrôlé, a atteint le fond de sa vacuité dans les années 80. En cette fin de millénaire, le reflet de cette période nous revient en pleine figure comme le crâne de Yorick. Un autre courant, auquel Mitsuko Uchida appartient, nous ramène heureusement vers des terres plus chaleureuses et plus humaines en retrouvant l'esprit de l'âge d'or du piano sans pour autant retomber dans les excès fantaisistes dus au non respect de la partition. Mitsuko Uchida nous livra ce soir-là une fantastique lecture de la 2° Sonate de Chopin: un exemple d'équilibre entre le subjectif et la rigueur. Après avoir conclu le premier mouvement avec un lyrisme tragique et poignant, et exprimé des sommets de tendresse dans le thème central du scherzo, elle n'attaqua la Marche Funèbre qu'après un long silence. Là encore, elle fit chanter les voix de son piano et mit en scène des personnages imaginaires venant de l'au-delà avant de conclure la marche dans un pianissimo d'une extrême délicatesse. Avec la déferlante du dernier mouvement, elle conclut en lançant son invective au destin avec dignité et panache. Dans les Variations op.27 de Webern, la pianiste japonaise révéla une fois de plus ses affinités avec l'école de Vienne qu'elle a toujours ardemment défendu. Son éducation à la Hochschule für Musik dans la capitale autrichienne n'y est pas étrangère. Elle aborda ces Variations avec beaucoup de chaleur et de poésie, et les révéla à son public comme des Haïkus d'une intense beauté. Tendresse puis rythme syncopé faisant vivre l'histoire, sonorités profondes, intentions délicates, tout concourrait à faire de Webern le successeur direct de Brahms et de Richard Strauss. Dans la foulée, elle enchaîna l'Adagio de Mozart et relia le dodécaphonisme viennois à l'apogée de la tonalité avec un naturel qui fit de cette pièce une sorte de conclusion aux Variations de Webern. Mozart n'en devint que plus romantique. Avec des forte tourmentés, un tempo allongé et une pédale accentuant les phrasés, Mitsuko Uchida fit de cet Adagio une pièce prémonitoire de l'époque qui allait suivre; c'était déjà Beethoven qui semblait frapper à la porte. Le programme se terminait avec la grande Sonate de Schubert dont Serkin, en son temps, s'était fait un ardent défenseur. Quel délice et quelle intelligence! Tout y était. Les thèmes viennois dansaient, le tempo allait de l'avant, la légéreté s'imposait d'elle-même. Jamais elle ne donna l'impression du pâteux germanique, jamais elle ne s'enlisa dans la richesse des chants et des harmonies. Elle traita le second mouvement comme un lied et recréa l'atmosphère du chant des esprits sur les eaux. Mitsuko, la magicienne, insérait une pointe d'humour dans la première reprise du thème, puis lui donna un caractère majestueux pour sa dernière exposition. Le Scherzo était énergique, élégant, rythmé mais pas martelé, avec un tempo intériorisé s'imposant naturellement. Le trio était céleste et religieux. Dans le rondo, elle raconta une histoire tantôt légère, tantôt spirituelle, avec autant d'intimité que de finesse. Il n'y a pas de doute: Mitsuko Uchida est une viennoise accomplie. Elle avait ce soir-là la vigueur de Serkin, la grâce et la rondeur en plus.
Toronto
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