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LSM Online Reviews / Critiques


Critiques de La Scena Musicale Online. [Index]


Lettre à la rédaction

En réponse à la lettre « La Nouvele Sinfonie et le CALQ » de Michael Nafi

Par Bernard Labadie / le 30 novembre 2004


Lettre à la rédaction

La Scena Musicale ne se tient pas responsable des opinions émises dans les lettres qui lui sont expédiées. Les auteurs ont l'entière responsabilité de leur texte.

Nous sommes toujours heureux de recevoir de vos nouvelles, alors n'hésitez pas, écrivez-nous!
rbeaucage@scena.org


J'ai lu avec beaucoup d'intérêt la lettre ouverte que M. Michael Nafi, directeur administratif de l'orchestre La Nouvele Sinfonie, a signée dans le programme du dernier concert de cet orchestre et qui a également été publiée sur le site Internet de La Scena Musicale.

M. Nafi, en déplorant le refus du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) de soutenir financièrement son orchestre, remet en question le mode d'attribution des subventions aux organismes musicaux de la province et dénonce le fait que certains groupes semblent injustement favorisés. Le groupe le plus visé est l'orchestre de chambre Les Violons du Roy de Québec, dont je suis le fondateur et le directeur artistique.

D'entrée de jeu, je tiens à souligner que l'établissement à Montréal de La Nouvele Sinfonie dirigée par Hervé Niquet est en soi une excellente nouvelle pour le milieu de la musique québécois et surtout pour le public. Je n'ai pas eu la chance d'entendre l'un des rares concerts de cet orchestre depuis sa fondation, mais je connais le travail de M. Niquet par ses enregistrements et il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'un chef et d'un musicien de très grande qualité. Son nouvel orchestre, une grande formation d'une quarantaine de musiciens jouant sur instruments d'époque, aborde un répertoire que peu d'ensembles locaux ont pour vocation de présenter. Il offre en outre une occasion de travail supplémentaire pour les excellents musiciens baroques québécois qui, règle générale, ont fort à faire pour gagner leur vie décemment. On ne peut donc qu'applaudir à une telle initiative.

Je me permettrai toutefois de faire quelques commentaires sur la démarche publique de M. Nafi, qui présente ses arguments sur la foi de prémisses pour le moins discutables.

Il faut tout d'abord rectifier ou préciser certains éléments du réquisitoire de M. Nafi. Il dénonce le fait que malgré une augmentation de 12 % du budget du CALQ en 2004-2005, ce dernier n'ait pas trouvé le moyen de soutenir son orchestre. M. Nafi réside en permanence à Paris, ce qui explique peut-être qu'il ignore certains faits diffusés par les médias et par le Mouvement des arts et des lettres (MAL) au moment de l'annonce du dernier budget du CALQ par le gouvernement du Québec au printemps 2004. En effet, l'augmentation du budget du CALQ pour l'année 2004-2005 correspond à la somme de trois subventions qui, de ponctuelles qu'elles étaient avant le budget 2004-2005 (et donc comptabilisées à part), sont devenues récurrentes dans le nouveau budget : 250 000 $ aux Grands Ballets Canadiens, 1 250 000 $ à l'Orchestre symphonique de Québec et 350 000 $ pour des bourses aux artistes en cinéma et en audio (volet création de la politique d'aide au cinéma). Il ne s'agit donc pas d'argent neuf, ce qui revient à dire que le budget dont le CALQ dispose en 2004-2005 pour soutenir les organismes musicaux de la province est exactement le même qu'en 2003-2004. Conséquemment, toute augmentation au profit d'un groupe ou tout soutien financier accordé à un nouvel organisme doit nécessairement se faire au détriment d'un autre.

Par ailleurs, M. Nafi base son raisonnement sur l'établissement d'une catégorie d'organismes qu'il invente : les « baroques ». Cette catégorie n'existe pas dans le langage du CALQ, qui juge les organismes en fonction de la taille de leur budget et de leur origine géographique. Cette catégorie devrait-elle exister? Peut-être. Mais quand un orchestre « baroque » joue Haydn, Mozart, Mendelssohn, Schubert ou Beethoven, appartient-il encore à la catégorie « baroque »? Ce terme est assurément trop restrictif. Peut-être faudrait-il alors créer une catégorie pour orchestres jouant sur instruments d'époque… Mais si les archets sont d'époque et les instruments modernes (comme c'est le cas aux Violons du Roy), parle-t-on d'un orchestre « semi-d'époque »? (Cela justifierait sans doute une demi-subvention…) Si un musicien utilise son instrument moderne mais l'équipe de cordes de boyau au diapason 415 ou 392 et utilise un archet d'époque (situation qui n'est pas rare chez les orchestres « baroques » nord-américains), devient-il un instrumentiste « deux tiers d'époque » ou « trois quarts d'époque »? Suffirait-il aux musiciens des Violons du Roy d'installer une ou deux cordes de boyau sur leurs instruments pour que l'orchestre devienne éligible aux subventions? Faudra-t-il que le CALQ envoie des inspecteurs dans chaque orchestre pour vérifier la provenance et la nature des instruments?

Il s'agit là de critères arbitraires qui ne mènent nulle part, sinon à de stériles querelles de clocher et de chapelle sur ce qui est authentique et ce qui ne l'est pas. Il est beaucoup plus juste (mais non plus simple) d'utiliser comme critère d'évaluation une notion mesurable en toutes circonstances : la qualité. C'est d'ailleurs là le critère principal sur lequel le comité de pairs si décrié par M. Nafi se base pour établir ses évaluations. Mais est-il possible pour un groupe d'évaluateurs qui sont à la fois collègues et concurrents de porter un jugement juste et équitable sur la qualité des réalisations d'un organisme artistique? Voilà une question très épineuse sur laquelle nous reviendrons plus tard.

Retournons pour l'instant à l'argumentaire de M. Nafi. Il a tout à fait raison de laisser entendre que Les Violons du Roy, parce qu'ils utilisent des instruments modernes (malgré les archets d'époque), sont différents des autres groupes jouant le répertoire baroque. Nous n'avons jamais eu la prétention d'être un orchestre « baroque » : nous sommes un orchestre de chambre moderne jouant le répertoire de plusieurs époques en essayant d'adopter une approche stylistique propre à chaque époque. Il est vrai que nous sommes surtout connus en dehors du Québec pour notre fréquentation des répertoires baroque et classique, qui nous a valu beaucoup de succès au Canada et aux États-Unis, et maintenant, petit à petit, en Europe. Mais l'orchestre joue aussi Britten, Fauré, Duruflé, Richard Strauss, Schoenberg, Piazzolla ou Evangelista, pour ne citer que quelques compositeurs dont les œuvres ont été données en concert par Les Violons du Roy au cours des dernières années. Inclure Les Violons du Roy dans une quelconque catégorie « baroque » n'est donc pas approprié et ne reflète ni la mission ni la réalité de cette institution.

Par ailleurs, M. Nafi déplore vivement le fait que dans cette catégorie « baroque » qu'il invente et dans laquelle il range Les Violons du Roy, ces derniers accaparent 52 % des fonds disponibles. Comme lui seul connaît les critères de cette catégorie, je n'ai pas la capacité de vérifier ses calculs, mais disons que je fais confiance à son arithmétique. Et puisqu'il s'agit de chiffres, poursuivons dans cette voie : Les Violons du Roy en sont à leur vingt et unième année d'existence; ils fournissent du travail à temps plein à vingt-trois personnes (musiciens et administrateurs confondus) – et je ne compte pas ici les nombreux instrumentistes surnuméraires (dont plusieurs Montréalais) et les choristes de La Chapelle de Québec. En 2003-2004, la subvention de fonctionnement annuelle du CALQ ne comptait que pour 12,6 % des revenus totaux de l'organisme (dont le montant atteignait 2 275 000 $); 21,9 % provenaient d'autres sources gouvernementales (aux paliers municipal, provincial et fédéral); 65,5 % des revenus étaient donc autogénérés (vente de billets, de concerts, de tournées et de disques, opérations de financement privé, etc.). Ce sont là des performances économiques exceptionnelles considérant l'exiguïté du marché québécois; en termes de volume d'activités et de rayonnement, elles placent les Violons du Roy davantage parmi les institutions comme l'OSM, l'OSQ ou l'Opéra de Montréal que parmi les autres groupes « baroques » auxquels M. Nafi fait référence, et démontrent la profondeur de l'enracinement de l'institution dans son milieu.

Les Violons du Roy rament-ils vraiment à contre-courant des tendances mondiales dans l'interprétation de la musique baroque en jouant ce répertoire sur instruments modernes, comme le suggère M. Nafi? À contre-courant d'un certain mouvement fermement établi, sans doute, quoique le jeu de l'orchestre soit de toute évidence fortement influencé par ce mouvement. Mais les invitations nombreuses et répétées que reçoivent Les Violons du Roy à se produire dans certaines des plus grandes salles du monde (Massey Hall et Roy Thomson Hall à Toronto, Lincoln Center à New York, Barbican à Londres, Festival de Salzbourg, Concertgebouw d'Amsterdam, pour ne nommer que quelques endroits visités par les Violons au cours des dix-huit derniers mois) laissent croire que cette façon de faire intéresse toujours un public important et qu'il y a place pour plus d'une approche esthétique, même – et surtout – en cette ère de mondialisation.

M. Nafi soulève pourtant des questions très pertinentes sur le mode d'attribution des subventions aux organismes musicaux. La formule de l'évaluation par les pairs adoptée par le CALQ et par plusieurs autres organismes subventionneurs (notamment le Conseil des arts du Canada) est-elle vraiment la meilleure, ou au contraire, comme le suggère M. Nafi, ouvre-t-elle la porte à un protectionnisme incestueux dont le contrôle est réservé aux happy few? Comment s'assurer que la qualité demeure le critère par excellence et que les accointances dans un milieu tricoté parfois un peu trop serré ne fassent pas dérailler le processus? M. Nafi n'est pas le premier à poser ces questions : les organismes musicaux du Québec se les posent depuis toujours. Si on interrogeait les officiers du CALQ, ceux-ci répondraient sans doute que de toutes les formules possibles, celle du comité de pairs est la moins mauvaise et qu'elle a longtemps été réclamée par les intervenants du milieu artistique. Débattre de la chose ici serait beaucoup trop long : ces questions fondamentales devraient être à l'ordre du jour d'une réflexion beaucoup plus vaste sur l'aide aux artistes et sur l'incapacité des gouvernements canadien et québécois à soutenir la croissance de ses institutions culturelles.

Dans ce débat, toutes les opinions éclairées sont les bienvenues, y compris celles de MM. Nafi et Niquet. Mais attention : pour participer à un débat de société (car c'est bien de cela qu'il s'agit), il faut en connaître et en observer les règles. La première, c'est de respecter l'écologie du milieu : on ne peut débattre légitimement qu'entre égaux, et l'égalité commande le respect. Ce n'est pas en dressant les organismes les uns contre les autres et en cherchant à déprécier les uns pour glorifier les autres que M. Nafi parviendra à enraciner La Nouvele Sinfonie dans le paysage musical québécois.

L'autre règle à respecter pour avoir droit de parole dans un débat de société, c'est d'abord d'appartenir à cette société et d'y prendre sa place. Aucun organisme musical ne peut se développer sainement dans un environnement comme le nôtre sans que ses dirigeants n'y soient présents d'une manière active et constante. Ce n'est pas en débarquant de Paris ou d'ailleurs quelques semaines par année qu'on peut bâtir quoi que ce soit de durable chez nous. L'âme dirigeante d'un organisme culturel (ses directeurs musical et administratif) doit être présente sur le terrain et dans la communauté pour en sentir le pouls, en comprendre la réalité, les codes et les façons de faire – ne serait-ce que pour mieux les remettre en question par la suite. On ne peut pas venir planter un arbre une ou deux fois par année en tenant pour acquis que le « milieu » et son fiduciaire en garde à vue (le gouvernement) vont se charger de l'arroser pendant le reste de l'année. Demandez aux Boréades, aux Idées heureuses, à Arion, à La Nef, au Studio de musique ancienne de Montréal ou aux Voix humaines (pour se limiter à quelques noms du monde de la musique « ancienne ») quel travail de fond se cache derrière le moindre petit concert intime. Cela n'a que bien peu à voir, malheureusement, avec le talent et les capacités purement artistiques de chacun : c'est une réalité économique incontournable de notre société. Décider d'y fonder une nouvelle institution (et, à plus forte raison, un groupe aussi important en nombre que La Nouvele Sinfonie), c'est accepter de se retrousser les manches et, surtout, de le faire chez nous, sur le terrain. Je ne doute pas qu'il y ait quelques bénévoles qui s'échinent à maintenir en vie la petite machine de la Nouvele Sinfonie entre les apparitions de ses dirigeants, mais les bénévoles ne peuvent remplacer ces dirigeants dans les forums et les cercles qui les réclament. Pour que La Nouvele Sinfonie fasse vraiment partie de notre paysage musical, il faut que ses animateurs soient là pour en parler et pour planter les racines qui assureront sa survie.

Je souhaite longue vie à La Nouvele Sinfonie, car Montréal et le Québec ont tout à gagner de sa présence. Je souhaite à cet orchestre de trouver, auprès du CALQ comme auprès des autres subventionneurs et des commanditaires, le financement qu'il saura mériter par un engagement plus soutenu de ses dirigeants dans la communauté, en autant que la qualité soit toujours au rendez-vous, ce qui semble laisser peu de place au doute jusqu'ici. Je souhaite à MM. Nafi et Niquet de venir passer plus de temps chez nous, car La Nouvele Sinfonie et ses musiciens ont besoin d'eux ici. Et par-dessus tout, je leur souhaite de comprendre que le Québec est une terre d'opportunité pour ceux qui font preuve de patience et de persévérance dans le respect de la collectivité. L'aide de l'État n'est pas un droit, c'est un privilège, et il faut plus qu'un concert par année – si extraordinaire soit-il – pour le mériter.

Bernard Labadie
Directeur artistique et musical — Les Violons du Roy

Novembre 2004


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