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Critiques de La Scena Musicale Online. [Index]
Samedi 2 novembre 2002, Elgin Theater, Toronto Médée de Marc-Antoine Charpentier Ce nest plus le temps où Lecerf de la Viéville, partisan inconditionnel de Lully, fomentait sa cabale contre Charpentier et lui assénait entre-autres ces quelques vers persifleurs: De Charpentier et de Thomas Corneille Perpétrer de tels propos à légard de ce que lon tient pour un chef-doeuvre de la tragédie lyrique française savère aujourdhui dune absolue iniquité. Car entre la première de Médée créée au Théâtre du Palais-Royal en 1693 et la représentation de lOpéra-Atelier torontois eut lieu une fabuleuse résurrection en 1984 sous les auspices de William Christie. Pourtant la remarque acerbe de Lecerf de la Viéville pourrait presque satisfaire à un résumé de cette représentation torontoise aussi peu musicale quelle est visuelle. La musique de Charpentier nen est plus la cause, mais ses interprètes. On cherche en vain le style propre à la vocalità de la tragédie lyrique au sein de lassemblage incohérent de la distribution. Que la voix de Stephanie Novacek soit une "force de la nature" ne fait pas de doute. Encore faut-il distinguer dans cette nature la forêt puccinienne du jardin à la française de ce précurseur de Rameau. Bien que peu rompue à la diction du français, la mezzo-soprano américaine révèle un sens de leffort non dissimulé, qui peut porter ses fruits lorsquelle aborde un phrasé avec la souplesse de sa voix, mais susceptible de retomber à tout moment dans la couleur naturelle de son drammatico qui revient au galop. Les craintes mentionnées à la suite de son Ottavia dans le Couronnement de Popée se confirment à la lumière de cette prise de rôle. Olivier Laquerre est un autre exemple édifiant du patchwork de cette distribution. Il prête sa voix au personnage dOronte, dans un style qui serait idoine pour la Médée de Cherubini. Marc-Antoine lui pardonnera volontiers cette incartade. Le baryton-basse québecois donnait le lendemain un récital de mélodies françaises (Fauré, Ibert) dont la justesse de style rassurait quant à la typologie de sa voix. Nathalie Paulin, en Créuse, exploite à merveille le cristallin de ses sonorités mais enlève à la prosodie toute inflexion baroque. Ses duos avec le Jason de Cyril Auvity évoquent le yin et le yang. Le jeune haute-contre français, malgré une voix encore verte, est bel et bien le seul à suggèrer la marche à suivre dans cette quête du style perdu. "Cettuy-là qui conquit la Toison" paraît donc esseulé et ne trouve pas le réconfort escompté dans la gestique nerveuse de Niquet plus soucieux de faire avancer ses troupes que den assurer la cohésion. Soigner les fins de phrases ne le concerne pas plus, ce soir-là, que contrôler les attaques du choeur. Certes Médée apporte son content de Cupidon, de démons, et autres deus ex machina surgissant don ne sait quel éclair. Son Styx mystérieux, ses éclairages doutre-tombe et lhellénisme convenu du décorum se veulent lécho parfait des danses galantes que lon nous dit inspirées de lart de Louis Pécour et de Gregorio Lambranzi. Malgré cette double référence aux styles français et italien, la Médée de Charpentier, "le Phénix de la France", sest consumée dans les éclairs lancés par la magicienne. On attendait plutôt quelle renaisse de ses cendres.
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