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Critiques de La Scena Musicale Online. [Index]
Jeudi 23 mai, 2002. Avery Fisher Hall, New York
Ce concerto commence pourtant comme du Schnittke, avec un point d'interrogation liminaire restant sans réponse, le volcanisme des percussions et d'une simili-cadence dans le premier mouvement, sans omettre ce qu'il faut de rage, de révolte, pourtant édulcorées par la facétie d'une marche claudicante empruntant à l'occasion l'allure d'un rythme de jazz. Mais la rupture qui jaillit avec le quatrième mouvement confère à ce concerto son absolue singularité, non sans relation avec la biographie de son auteur. Répondant à une commande de la ville de Munich, le compositeur du Onzième Commandement fut frappé par une crise cardiaque le 21 juin 1985 alors qu'il avait déjà ébauché les trois mouvements du concerto. Plongé dans un coma profond pendant vingt jours, les médecins le déclarèrent à trois reprises mort cérébralement. Mais il récupéra miraculeusement le vingt et unième jour et reprit l'écriture de son concerto en octobre, révisant ses trois mouvements qu'il coiffa d'un Largo en guise de conclusion. L'interprétation de Natalia Gutman, dédicataire et créatrice de l'oeuvre, s'avère aussi poignante que troublante. Entre les sonorités narcissiques offertes par les larges vibratos de la première phrase, l'extrême virtuosité de la cadence et les appels claironnant du violoncelle amplifié dans le dernier mouvement, la soliste russe dresse sa colonne dorique sur des terres qu'elle n'a jamais cessé de cultiver. Kurt Masur n'est pourtant pas un apprenti de la musique de Schnittke, mais il se démarque ce soir-là en ne montrant d'autre ambition que celle d'accompagner analytiquement, tout en contrôlant de sa main d'expert les diverses masses sonores. Réussissant à merveille dans ces deux exercices, il atteint l'objectif honorable du Primum non nocere, sans toutefois rendre le centième de la générosité de Natalia Gutman. Après l'iconoclasme tragique de Schnittke, le chef allemand nous convie à une troisième symphonie de Bruckner, dirigée par coeur, mais malheureusement sans coeur. A qui la faute? Les arpèges mistorioso sont sapés par une articulation outrancière des violons, versant par la suite dans une inertie pesante qui ne se démentira pas pendant les trois premiers mouvements, malgré les efforts de Masur pour ne pas sombrer dans les abîmes des lenteurs brucknériennes. Le pupitre des violons s'aventure ainsi dans le deuxième mouvement avec un manque de cohérence édifiant, optant présomptueusement pour les frimas d'un réalisme qui sied fort mal à une symphonie de Bruckner. Du Charybde des decrescendos artificiels au Scylla du ländler incohérent du troisième mouvement, cet électron libre doit attendre l'Allegro final pour se réconcilier avec le reste de l'orchestre. Une telle résurrection tient des mystères de la musique en concert. Quel catalyseur Masur a-t-il enfin trouvé pour que le magnétisme charismatique reprenne ses droits et emmène la phalange new-yorkaise vers la lumière, sur le rythme juste d'une polka lente? Conclure à ce niveau serait une injustice. Les pupitres des vents n'ont à aucun moment perdu le sens de cette symphonie que ce soit dans les tutti ou dans les solos. Quant aux violoncelles, sans doute galvanisés par le jeu de Natalia Gutman en première partie, ils se sont révélés comme le pilier maître, soutenant tel un atlante le style et la sensibilité brucknérienne, sans jamais faillir. A la fin du dernier accord, la moitié de la salle a déjà levé le pied vers la porte de sortie. La publicité déclinée sur le thème "Thank you, Kurt Masur" n'est visiblement pas au diapason du public de l'Avery Fisher Hall, sans doute pressé de souhaiter "Maazel Tov" au chef allemand avant de retourner ses pancartes déjà préimprimées "Welcome, Lorin Maazel".
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