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Le phénomène Alina Gurina

Par Stéphane Villemin / le 29 octobre 2001

Alina Gurina
Mercredi 26 septembre 2001, Hummingbird Centre, Toronto
Puccini: Il tabarro
Luigi: Vadim Zaplechny
Michele: Yuri Nechoev
Tinca: Michael Colvin
Talpa: Alain Coulombe
Giorgetta: Eszter Sümegi
Frugola: Susan Shafer
Mascagni: Cavalleria rusticana
Santuzza: Alina Gurina
Turiddu: Vadim Zaplechny
Mamma Lucia: Susan Shafer
Alfio: Yuri Nechoev
Lola Krisztina Szabó
Orchestre de l'Opéra du Canada, Richard Bradshaw
Mise en scène: Tom Diamond

A l'ère de l'opéra scénographique, où les chanteurs se sont fait ravir les lauriers par les hommes de théatre, la majorité des compte-rendus fait naturellement la part belle aux mises en scène. Originales ou provocatrices, lorsqu'elles ne sont pas scandaleuses, elles injectent l'élément de nouveauté au sein des opéras du grand répertoire, souffrant tous d'avoir été immortalisés par une ou plusieurs références discographiques. Toutefois, il se peut qu'un tel postulat cache une autre réalité. Les voix d'aujourd'hui, sévérement sélectionnées et passées au crible des concours, sont toutes fabriquées pour rassurer l'auditeur rationnel. Elles laissent volontairement pour compte les amateurs de sensibilité, personnages hautement criticables et non fiables du fait de leur penchant pour la subjectivité. Notre époque possède certes de grandes voix, bien formées et déployant pour la plupart une technique irréprochable mais qui, trop souvent, donnent l'impression d'être interchangeables tant elles manquent de personnalité. En résumé, les bons chanteurs sont légion et les bons interprètes (ou les interprètes, tout simplement) sont rares.

Dans un tel environnement, découvrir une chanteuse qui sorte du moule s'avère déjà un événement en soi. A ce titre, la jeune mezzo-soprano ukrainienne Alina Gurina mérite qu'on s'y attarde. A vingt-sept ans seulement, cette personnalité surprenante et attachante musicalement arrive à point pour les aficionados en mal d'émotion. Avec des phrasés soutenus qui ne meurent qu'avec leur ultime vibration sonore et des sonorités rondes et chatoyantes vivant au rythme d'un vibrato frémissant, elle fait jaillir la vie de son souffle. Les aigus savent se faire oublier tant ils sont devenus naturels mais aussi parce que sa voix bénéficie d'une puissance égale dans tout le registre. Son sens musical au service de l'émotion n'a d'égal que son jeu de scène vécu à fleur de peau. D'aucuns ne manqueront pas de la trouver maniérée ou même passée de mode. Mais pour ses défenseurs (dont l'auteur de ces lignes fait partie) c'est une vraie personnalité qui irradie par sa présence. Son intégrité et sa sincérité artistique sont mues par une intuition profonde qui l'entraine à vivre ses personnages intensément. Sa voix ne s'applique pas à la musique, ni l'inverse. Gurina épouse la musique en la vivant. Il était d'ailleurs agréable de constater à quel point l'orchestre de Richard Bradshaw ne faisait qu'un avec Santuzza lorsqu'elle déclamait tragiquement son "Voi lo sapete, o mamma". L'inspiration était visiblement réciproque.

Rapprocher Gurina de l'une des plus grandes chanteuses du siècle passé est certes tentant. Mieux vaut sans doute éviter cette attitude passéiste et nostalgique: Alina Gurina représente un présent et un avenir passionnant pour tout opéraphile à la recherche de la sensibilité perdue.


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