LSM-ONLINE-LOGO2JPG.jpg (4855 bytes)

 

Current
Home
Calendar

Back Issues
LSM Issues
LSV Issues

Features
WebNews
Newswire
Throat Doctor
Interviews
Concert Reviews
CD Critics
Books Reviews
PDF Files

Links
Audio
Midi

LSM
About LSM
LSM News
Distribution
Advertising
Guest Book
Contact Us
Site Search
Web Search

LSM Online Reviews / Critiques

 

Critiques de La Scena Musicale Online. [Index]


Le Concertgebouw, Chailly et Mahler : l'accord parfait

Par Stéphane Villemin / le 6 avril 2001


Mardi 27 mars 2001, Roy Thomson Hall, Toronto
Gustave Mahler: Fünf Rückert Lieder et Symphonie N. 10 en fa dièse mineur (version Deryk Cooke 1989 en collaboration avec Berthold Goldschmidt, Colin et David Matthews)
Orchestre du Concertgebouw d'Amsterdam
Ricardo Chailly, chef
Matthias Goerne, baryton

Les oeuvres inachevées sont du pain béni pour les musicologues. Élaborant leur plan sur la comète, ils livrent chacun leur restauration suite à l'exégèse d'un manuscrit comportant plus ou moins de blancs à remplir ou de questions à choix multiples à résoudre. Les Süssmayr de la dixième symphonie de Mahler sont au moins quatre: Deryk Cooke, Joe Wheeler, Clinton Carpenter et Reno Mazzetti. Parmi ces mousquetaires de la réécriture mahlerienne, Deryk Cooke s'impose comme le principal exécuteur testamentaire, au moins si l'on en juge par le choix des chefs. Hormis quelques exceptions, comme Leonard Slatkin et Jesus Lopez-Cobos avec la version Mazzetti, la grande majorité s'en tient à la partition de Cooke dans son intégrité ou en apportant ses propres modifications, tel Simon Rattle avec le Philharmonique de Berlin. Quant au choix de Chailly pour sa désormais annuelle tournée nord-américaine, il s'agissait de la denière version de Cooke modifiée en 1989 et sans autre modification apparente. Devant ces différentes éventualités, il convenait d'abord de définir l'option de Chailly et de son orchestre.

Mais le message musical apporté par la célèbre phalange d'Amsterdam dépassait largement toute considération liée aux notes, barres de mesures et à l'éventuelle supériorité d'une version par rapport à une autre. Bien que l'on s'attende à retrouver l'excellence au sein de chaque pupitre, les oreilles et les esprits même les plus saturés de musique et de références continuent à s'émerveiller et à s'émouvoir. Comme si c'était la première fois semble être la devise de Chailly.

Dans le premier mouvement, le thème des altos semble venir d'un ailleurs lointain empreint de prophétie et de mélancolie. Entre futur et passé, la suite se construit en circulant autour de la présence et de l'absence de la tonalité. Nous voici projetés en 1910. Malgré sa réticence à dévoiler ses nouvelles oeuvres, le père destructeur avait déjà sévi en la personne de Schönberg. Le second mouvement semble exister pour rassurer le Viennois. Le voyage mystérieux auquel nous invite le Purgatorio qui suit constitue la clef de voûte de l'édifice sinon la Pierre de Rosette de l'ensemble. Le chef italien tire de cette partie centrale, un condensé d'ironie et d'introspection laissé sans réponse. Mat et dénué d'éclat, il suggère un tableau de la condition du mortel inéluctablement reconduit à son triste sort. Plus qu'un simple chef, Chailly s'est mué en magicien des sons qui tire les ficelles de l'orchestre par le biais d'une médiation immatérielle s'apparentant au magnétisme et à l'hypnose. Alors que le dernier mouvement est enchaîné attacca, les gammes des cuivres disputent la recherche du silence aux trois coups secs et tragiques du tambour, inspirés à Mahler par la vision d'un convoi funéraire défilant dans sa rue (lui-même ne sentait-il pas venir sa fin?). Ainsi que dans le premier mouvement, le paroxysme caractéristique des symphonies du maître viennois est atteint avec un accord dissonant, gigantesque du point de vue du volume et de l'harmonie et presque protubérant, à la manière expressionniste d'un Kadinsky. Ces débordements du mal de vivre sans espoir apparent se font l'écho du thème plus serein annoncé à la flûte comme pour nous ramener un instant à l'esprit de l'adagio de la cinquième symphonie. L'interprétation de Chailly s'avère là aussi, juste de modernité, profonde par la mise en exergue des aspects dramatiques, vivante car presque théâtrale. Le public est resté suspendu au silence faisant suite à l'accord final, retenant sa respiration pendant de longues secondes.

L'ovation finale n'a pas pour autant obscurci l'enthousiasme tout aussi justifié, à l'issue de l'interprétation des cinq Rückert Lieder. Plus qu'une simple mise en ambiance, ce cycle inspiré des poèmes de Friedrich Rückert a été l'occasion de se laisser charmer par la voix envoûtante de Matthias Goerne. Ronde, souple, puissante en gardant le caractère de l'intimité, l'esthétique vocale du baryton allemand émeut par son expression tout aussi crépusculaire que les Lieder qu'il nous a offerts. Riche en sensualité dans Liebst du um Schönheit ou faisant revivre le malaise d'un siècle naissant dans Ich bin der Welt abahnden gekommen, Matthias Goerne magnifiquement inspiré par Chailly et son orchestre nous a gratifié du meilleur de ces cinq joyaux du Lied viennois.



Critiques de La Scena Musicale Online. [Index]

 

 

 

(c) La Scena Musicale 2000