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Miroir dans un miroir

Par Stéphane Villemin / le 20 février 2001

23 janvier 2001, Hummingbird Centre, Toronto.
Vénus et Adonis de John Blow (extraits)
Vénus et Adonis de Hans Werner Henze

Kristina Szabó (Vénus de Blow)
Andrew Tees (Adonis de Blow)
Timothy Noble (Mars de Henze)
Susan Marie Pierson (Vénus de Henze)
Alan Woodrow (Adonis de Henze)
Six madrigalistes et six danseurs
Orchestre de la Compagnie de l'Opéra du Canada, Richard Bradshaw
Mise en scène: Alfred Kirchner- Production Opéra de Santa Fe


Photo: Michael Cooper

Créé en 1997 à Munich, le dernier opéra en date de Henze fut d'abord introduit en Amérique via Santa Fe l'été dernier, avant de faire ses débuts sur la scène canadienne à Toronto. Ardent défenseur de la musique du compositeur allemand, Richard Bradshaw en assura la direction musicale dans ces deux villes. En apéritif de la représentation torontoise, la Compagnie de l'Opéra du Canada donna des extraits du Vénus et Adonis de John Blow, compositeur anglais du XVIIème siècle. Cette initiative fut plus que symbolique lorsque l'on sait que Henze s'est en partie inspiré de la pièce de Blow: mélange de la danse et du chant, ou plus précisément du jeu et du madrigal. Présentée dans une chorégraphie contemporaine sensuelle et directe de Serge Bennathan (le ballet de jambes en l'air était plus que suggestif), cet opéra baroque ne manque pas de consistance, quoiqu'en dise Denis Arnold dans son New Oxford Companion to Music. Sur un rythme allègre soutenu par une dramaturgie alerte, ces extraits furent révélateurs d'une lecture cathartique sinon distanciée de la source mythologique. Cette histoire d'amour qui finit mal se transforme ainsi en une sorte de chanson de geste réaliste, dans le genre du fait-divers. Loin d'apporter une clé de lecture du second opéra au programme, Blow fut plutôt une sorte d'anti-didascalie, au miroir inversé.

Le Vénus et Adonis de Henze sonne profondément racinien et prend son relief dans une vision contemporaine sombre, au devenir incertain. Les décors d'une blancheur hospitalière, s'ils sont compensés par l'éveil à la nature et la mise en place de l'action initiale, se muent rapidement en environnement hostile et sinistre ("La terre devient grise" du Boléro IV) au fur et à mesure que la tension monte. Le conflit de Mars et de Vénus, évoluant sur un fond psychanalytique (Lui: "J'avais la bouche pleine de sable", Elle: "Un dragon se mouvait sur ma poitrine") trouve en la mort d'Adonis sa seule résolution. Freud est mort il y a soixante-deux ans. Et c'est là que l'opéra de Henze prend tout son relief. Enrichi de références et d'allusions, il prend la forme d'un concentré culturel multistrate de l'Antiquité à nos jours, véritable remède contre l'amnésie. Doubler chaque chanteur par un danseur n'était pas qu'un simple mélange des genres cédant à la mode de l'oecuménisme artistique (Zingaro et Boulez, Le Cirque du Soleil,...). Une ombre qui reflète la réalité, un esprit qui calcule l'avenir, une âme qui s'élève au-dessus du temps et de l'espace, ces danseurs étaient les miroirs que chaque personnage se devait de traverser. Opéra-art total, tel pourrait être la devise de Henze qui avec Vénus et Adonis pousse encore plus loin les limites du sublime. Evidemment la musique ne fait pas que flatter. Ses intonations païennes rappellent quelquefois l'aspect sauvage du Sacre du printemps, à moins que ce ne soit le reflet de notre actualité. Les débordements passionnels des boléros étaient édulcorés par des madrigalistes plus grecs que moyen-âgeux, dont il faut souligner l'excellente tenue vocale. Susan Marie Pierson, prima donna plutôt que réelle Vénus, a réalisé une belle performance vocale tout comme Timothy Noble dans le rôle de Mars. Leur jeu de scène était pourtant trop sage, manquant d'expression et de liberté. Après un début un peu froid, Alan Woodrow-Adonis a pris pleine possession de son rôle d'acteur et de chanteur.

Robert Bradshaw a sans conteste remporté la mise avec intelligence. Sans céder à la facilité et sans compromis, il a su dévoiler cet opéra. ou cette nourriture pour l'esprit conçue par Henze.



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