Le FIJM a 25 ans - La fête accomplie Par Marc Chénard
/ 5 juin 2004
Doyen des festivals au Canada, le Festival
International de Jazz de Montréal (FIJM) marquera son premier quart de siècle en
grand. Et c'est peu dire. Depuis leurs débuts bien modestes, lors du premier
weekend de juillet, en 1980, les organisateurs sont passés maîtres dans l'art
(et le commerce) de la fête. Du 30 juin au 11 juillet, les bonzes du FIJM se
sont fait cadeau, une fois de plus, d'une programmation fidèle à la moyenne de
leurs éditions antérieures. Tout y est, ou presque : les musiques du monde,
l'électro, le blues, le pop, le multi-média, et même... le jazz.
Dans ces lignes, on pourrait bien passer en revue
les sélections de cette année en y soulignant les quelques bonnes prises, des
découvertes probables, voire discuter des mérites de certains choix, mais, en
cette édition-anniversaire, remontons plutôt la filière dans le temps afin de
saisir l'ampleur du phénomène.
1980 : l'année charnière
Historiquement donc, le FIJM voit le jour au cours
d'une année charnière de notre histoire, tant musicale que sociale. Moins de
trois mois après l'échec du référendum sur la souveraineté du Québec, les
humeurs étaient encore maussades chez nous. Pourtant, dans l'esprit de notre
peuple, la fête constitue le meilleur des refuges à nos malaises.
En 1978, deux jeunes imprésarios, Alain Simard et
André Ménard, tenaient déjà à présenter un festival de jazz et en déposèrent
même le nom au bureau des enregistrements. Pourtant, ils durent mettre leur
projet sur la glace, faute d'appuis. Fait intéressant à noter ici, quoiqu'oublié
de nos jours, l'édition inaugurale du FIJM devança de trois semaines un autre
événement du même acabit, le troisième (et dernier) « Festijazz de Montréal »,
piloté par le promoteur numéro un du jazz de l'époque, Doudou Boicel.
Par ailleurs, un genre de vide s'était créé à ce
moment-là sur la scène du jazz puisque les clubs réchignaient à le présenter ou
fermaient tout simplement boutique. De la douzaine qui existait à la fin des
années 70, sans compter les salles de concerts, comme le Théâtre Outremont, qui
présentaient des têtes d'affiche américaines en tournée, il ne restait que deux
ou trois boîtes qui, cinq ans plus tard, vivotaient dans un milieu plutôt
moribond. Profitant alors de ce trou, les patrons du FIJM ont créé un événement
grand public, donc rassembleur, mais concentré sur une courte période de
l'année. Que cela ait été leur intention ou non importe peu, mais le jazz comme
foyer d'activités soutenable à l'année se mit à pérécliter, remplacé par un
événement qui allait certainement mousser l'intérêt du public at large,
mais d'une manière éphémère. De nos jours, l'éclosion récente d'événements, tels
le Off Festival et le Suoni per il Popolo, sans oublier un plus ancien comme la
série Silence on jazze de Radio Canada, contribuent à la relance des activités
pendant le reste de l'année, mais, aux yeux de la majorité, l'intérêt pour le
jazz n'est plus lié à la musique même, mais bien à l'événement. De son côté, le
FIJM s'est lui aussi impliqué à ce chapitre en mettant sur pied des concerts
hors-saison, instaurés comme par coincidence avec l'arrivée de ces nouveaux
intervenants dans le milieu.
Cela dit, rendons à César (Simard) ce qui est à
César (Ménard)... Les embûches ont été nombreuses en cours de route, les
principales étant décrites dans les pages de l'album souvenir publié tout
récemment (voir encart), mais ces deux complices ont réussi à les surmonter en
apprenant à connaître leurs interlocuteurs et en s'adaptant aux règles du
jeu.
Des points tournants
En suivant sa trajectoire au fil des ans, force est
de constater des points tournants, les plus importants étant reliés à ses
emplacements. De son espace exigu de la Place des Nations à ses tous débuts, le
passage au Quartier Latin donna une meilleure accessibilité à l'événement. Puis,
en 1987, ce quartier s'avérait à son tour trop restreint, d'où une migration
partielle vers le périmètre de la Place-des-Arts, son domicile unique depuis
1990. Du même coup, les organisateurs se donnaient la mainmise sur les services
offerts aux festivaliers.
Sur un tout autre plan, et certainement celui qui
interpelle le plus les mélomanes, le festival a joué à fond la carte de la
diversité, tout particulièrement à l'extérieur, où le jazz s'est vu noyé dans un
raz-de-marée de styles bigarrés. Qu'on pense aux méga-événéments de la
mi-festival, mis à part le jadis populaire Chuck Mangione et le guitariste Pat
Metheny (curieusement absent cette année), nul autre de ces concerts relevait,
de près ou de loin, du jazz. En revanche, la série « Invitation », lancée en
1989 avec Charlie Haden (qui offre sa seconde présence dans la série cette
année), est l'une des composantes les plus originales de sa programmation, les
élus faisant immanquablement partie du palmarès personnel de son instigateur,
André Ménard.
Vingt-cinq ans, cela se fête, et les touristes
(musicaux et autres) feront une fois de plus le pied de grue devant les scènes,
en y donnant la claque à tout ce qu'on leur présente. Après toutes ces années,
il ne fait aucun doute que le FIJM est devenu... une fête accomplie.
Album souvenir 25 ans
Festival International de Jazz
Lancé à la mi-mai, l'album souvenir du 25e
anniversaire du FIJM est un élégant recueil de 196 pages glacées, copieusement
assorti de photos retraçant la chronologie du festival de sa première édition à
la présente. Par delà ces souvenirs visuels et les notices d'accompagnement
bilingues, les deux principaux textes sont des entretiens avec les deux
architectes de l'événement. D'une part, Alain Simard tient un discours axé sur
l'événement, ou le contenant si l'on veut, alors que, d'autre part, son acolyte
André Ménard se livre de manière essentiellement anecdotique sur ses expériences
avec les musiciens. On peut bien s'attendre à ce que la plupart des éventuels
acheteurs se l'arrachent pour des raisons nostalgiques ou esthétiques, mais les
plus fûtés ne manqueront pas de lire les propos de ces deux hommes sur la petite
et grande histoire de leur aventure. Dans les deux cas, cependant, on
reconnaîtra en eux des décideurs culturels qui, comme tout le monde, ont connu
des coups de cœur de jeunesse, mais qui se sont donné des moyens et un pouvoir
de former un public à leurs propres goûts. Un seul regard sur la programmation
des concerts en salle suffit pour savoir qu'ils en sont essentiellement restés
au même point où ils étaient dans leurs années de
formation.
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