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La Scena Musicale - Vol. 9, No. 8

Série rarum d'ECM2e édition

Par Marc Chénard / 10 mai 2004


Peu épris de nostalgie, Manfred Eicher a longtemps résisté à l'exercice des compilations (exceptions : « Music with 58 artists », un double long-jeu promotionnel des années 70, et un CD de la fin des années 90). Néanmoins, en 2002, il céda à la tentation en proposant un premier tirage de huit titres d'une série intitulée « rarum ». Le producteur a cependant fait appel à ses artistes pour qu'ils choisissent eux-mêmes les pièces et écrivent en sus un mot de présentation. Dans chacun des livrets insérés dans les pochettes cartonnées, on retrouve également plusieurs photos de concerts ou de séances d'enregistrement, une biographie sommaire de l'artiste ainsi qu'une discographie des titres publiés par l'étiquette. Suite au franc succès de la première cuvée, douze autres recueils arriveront sous peu et, de ce nombre, voici cinq titres, présentés ici en exclusivité.

Carla Bley

Pianiste et organiste de métier, Carla Bley est surtout reconnue pour ses talents de compositrice et d'arrangeure. Sur cette généreuse surface de 75 minutes, elle a choisi 11 titres, réalisés entre 1999 et 1961. Regroupées selon un ordre chronologique inverse, toutes les plages sauf la dernière -- soit Ictus, gravée pour les disques Verve en 1961 par le légendaire trio Bley (Paul)-Giuffre-Swallow -- proviennent d'enregistrements édités par Watt Records, étiquette de la pianiste mais affiliée à ECM. Le programme, très varié, comprend des formations à dimensions variables, soit du big band percutant au duo intimiste avec son partenaire actuel, le bassiste électrique Steve Swallow. Musique apprêtée de pointes ironiques et de kitsch, elle ne manque pas de lyrisme ou de swing et son solo de piano bien délié sur la pièce « Chicken » pourra en surprendre quelques-uns. Des beaux moments, il y en a, mais de petits creux aussi, comme l'extrait du « Escalator over the Hill » avec une toute jeune... Linda Ronstadt !

Jack DeJohnette

Si Mme Bley met l'accent sur la diversité, l'incomparable batteur Jack DeJohnette semble se présenter sous un jour plus tamisé. Pourtant, la première plage, « Third World Anthem » décolle bien, puisqu'il s'agit de son groupe-phare des années 80, son Special Edition bien armé de ses trois solides souffleurs, dont l'intempestif David Murray. Ailleurs, le climat s'adoucit en bonne partie (exception : « How's Never » par le Gateway Trio), mais compte tenu de ses accompagnateurs (John Abercrombie, John Surman ou Mich Goodrick), on peut s'attendre à une musique assez feutrée. Batteur hors-pair, DeJohnette n'a jamais renoncé à son premier instrument, le piano, qu'il nous fait entendre à deux reprises, dont « Picture 8 », une finale toute vaporeuse pour clavier et percussion. Cela dit, ne cherchez pas le trio des standards avec Peacock et Jarrett ici, quoique le grand pianiste se fait entendre au piano électrique dans un duo de 1971 « Ruta and Daitya », pièce ayant donné son titre à un des premiers disques à succès de l'étiquette.

Dave Holland

Vétéran de l'écurie ECM depuis plus de 30 ans, le grand bassiste Dave Holland compte parmi les grandes pointures du jazz moderne. Après que Miles Davis l'eut recruté à la fin des années 60 et une période d'exploration au sein de l'avant-garde free, Holland s'est rangé dans un jazz moderne par son double travail de compositeur et de chef de groupe. Ce sont justement ces deux atouts qui sont mis en valeur dans ce faste recueil de dix pièces. Au cœur de celui-ci, on entend ses formations des années 80 et 90 surtout, mais aussi des pièces antérieures, comme un extrait de son disque « Life Cycle » pour violoncelle solo (en rejouera-t-il un jour ?), la pièce titre de son disque magistral « Conference of the Birds » de 1972 et, coincidence, la même plage du Gateway Trio choisie par Jack DeJohnette (voir ci-haut). Musicien hors-pair et gentleman tout en même temps, Dave Holland est un artiste marquant de notre temps et ce portrait discographique le prouve avec éloquence.

Paul Motian

Alchimiste des ambiances, le batteur Paul Motian a tracé sa voie dans le trio de Bill Evans au début des années 60. Par la suite, il a côtoyé le free jazz avant de former ses propres groupes dans lesquels il recruta de jeunes talents connus et certains méconnus. Dans cette collection, on entend justement des musiciens de ces deux catégories, en l'occurrence Joe Lovano et Bill Frisell, amorçant tous deux leur montée en flèche au cours des années 80, deux bassistes trop peu appréciés de leur vivant, David Izenson et Jean-François Jenny Clarke, ainsi qu'un saxophoniste sous-enregistré, Charles Brackeen. Pour la plupart, les pièces retenues ont été réalisées entre 1972 et 1981, années durant lesquelles Motian était associé plus étroitement à la maison de disques. Programme à deux temps, on y retrouve, d'une part, des plages plus libres et nerveuses (comme son duo « Conception Vessel » avec Keith Jarrett) et, d'autre part, des morceaux moins fébriles (ceux avec Frisell et un avec Paul Bley et John Surman).

Tomasz Stanko

Outre les noms américains, ECM a propulsé plusieurs jazzman européens sur la scène internationale, Jan Garbarek bien sûr, mais aussi Bobo Stenson, Terje Rypdal, John Surman et, plus récemment, Nils Petter Molvaer. À cette liste, ajoutons le nom du trompettiste polonais Tomasz Stanko. Ayant déjà effectué un bref passage dans les années 70, il est revenu au bercail au milieu des années 90, produisant sept disques à titre de leader. Huit des douze pièces de cette compilation proviennent justement de sa production récente, laquelle nous permet d'entendre un musicien doué d'une sonorité âpre et prenante, d'un style qui marie bien une certaine dramatique discursive à d'élégantes tournures lyriques. Même dans les plus vieux extraits, comme le « Balladyna » gravé en 1975, il se montre à la fois expressionniste et impressionniste. Absents ici sont ses plus récents disques, avec son quartette de jeunes compatriotes, mais en revanche on a droit à la présence de grandes pointures comme Dave Holland, Gary Peacock, Stenson, ou le très original batteur free Tony Oxley.

Disponibles en magasin le 18 mai.

Autres parutions :

  • rarum ix : Pat Metheny
  • rarum xi : Egberto Gismonti
  • rarum xiii : John Surman
  • rarum xiv : John Aberrcombie
  • rarum xviii : Eberhard Weber
  • rarum xix : Arild Anderson
  • rarum xx : Jon Christenson

(c) La Scena Musicale 2002