Qu'est-ce que la musique de chambre ? Par Réjean Beaucage
/ 10 mai 2004
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Discussion avec Denis Brott, Oliver Jones et
Daniel Taylor
La 9e édition du Festival de musique de chambre de
Montréal présente des musiques allant de la Renaissance au jazz. Qu'ont en
commun ces différentes musiques de chambre ? La Scena Musicale s'est
entretenue avec les trois directeurs artistiques du Festival : le fondateur
Denis Brott, le directeur artistique du volet jazz, Oliver Jones et le directeur
artistique du tout nouveau volet « musique ancienne », Daniel Taylor.
LSM : Le concept de musique de chambre
englobe une vaste partie du répertoire musical, mais lorsque l'on pense à ce
type de musique, on ne fait pas forcément le rapprochement avec le jazz ou même
avec la musique ancienne.
DB : Je voudrais d'abord rappeler un
peu sur quelles bases a été lancée l'idée du Festival de musique de chambre de
Montréal en 1995. Nous avions, dès le départ, le désir d'étendre le concept
global de ce qu'est la musique de chambre. Il fallait bien sûr pour cela la
définir. Outre le fait qu'elle représente l'une des formes d'art les plus
élevées, comme en fait foi l'histoire de la musique à travers tous les grands
compositeurs qui ont considéré l'écriture pour quatuor à cordes comme la
quintessence de l'art musical, pour moi, la musique de chambre c'est
essentiellement un tout plus grand que la somme de ses parties. Chaque
instrumentiste y tient une partie indépendante et chacun contribue à part égale,
démocratiquement, à donner sa forme à l'ensemble. Idéalement, personne n'y
impose sa manière et le résultat est celui d'une collaboration. C'est une
musique qui est quelquefois présentée comme élitiste, mais c'est là vraiment une
idée que je ne partage pas. Le Festival veut justement démontrer que la musique
de chambre, c'est aussi du jazz, c'est aussi de la musique baroque et c'est
aussi bien d'autres choses, comme on a déjà pu le voir dans les éditions
précédentes.
OJ : Pour moi il est assez clair que
l'équivalent « classique » du jazz, c'est la musique de chambre. C'est en effet
une musique où il revient à l'individu de porter plus loin l'ensemble. Il y a
bien sûr une différence importante, c'est qu'en jazz nous prenons un peu plus de
libertés par rapport à la « partition », mais quel que soit le style, le thème
musical est toujours là ; on se promène autour par des variations, on s'en
éloigne, puis on y revient. Nous savons tous que 5 et 5 font 10, mais 9 et 1
aussi, comme 7 et 3 ; il y a plusieurs façons d'obtenir le même résultat, et les
grands artistes de jazz se font fort de les explorer. Ça vous semblera peut-être
amusant, mais je n'ai jamais suivi de formation en jazz... J'ai eu une formation
classique. Mon père était un grand amateur de Bach et dès l'âge de sept ans la
fugue était pour moi un concept familier. Ça m'a justement permis de comprendre
l'indépendance des parties et leurs fonctions complémentaires. J'ai eu la
chance, lorsque j'étais jeune, d'étudier le piano avec une enseignante qui
comprenait bien l'esprit du jazz (peut-être était-ce parce qu'elle était la sœur
du plus grand pianiste de jazz au monde, M. Oscar Peterson). Je me lassais de
répéter sans arrêt les mêmes passages et les mêmes exercices, et lorsque j'avais
terminé, je lui montrais mes travaux personnels, dans lesquels j'intégrais les
motifs classiques qu'elle m'apprenait, en les faisant varier rythmiquement. Mais
la base de tout ça restait classique.
LSM : On peut voir certaines similitudes
également entre le jazz et la musique ancienne où, souvent, les interprètes sont
appelés à embellir par des fioritures des thèmes qui sont notés assez
simplement.
DT : Je pense que ce que nous avons
surtout en commun, c'est la relation qui s'installe entre les interprètes,
particulièrement en petite formation, où il s'installe une véritable intimité
entre les interprètes. Dans le cadre de cette intimité, il nous est possible
d'explorer et de développer la musique ensemble. Par ailleurs, ce type
d'exploration est aussi possible à l'intérieur de notre petit trio de
directeurs, qui comporte trois générations de musiciens. Je crois que ça a
permis de développer une programmation véritablement diversifiée. Ce sont de
véritables voyages que nous préparons pour le public.
LSM : On comprend qu'il y a une très grande
différence pour l'interprète entre la musique de chambre en petit ensemble et la
musique orchestrale.
DB : Certainement ! Il faut savoir que
pour quelqu'un qui passe sa vie à apprendre à jouer d'un instrument, qui
développe son savoir-faire et son identité, son rapport à l'instrument, et
cetera, c'est un véritable choc que de travailler avec un orchestre symphonique
et de comprendre qu'il faut laisser sa personnalité au vestiaire pour accepter
de se mettre au service d'une entreprise d'un tout autre type. Il y a quand même
une certaine forme de liberté de ce côté-là aussi ; bien sûr, j'aime entendre
parler Oliver parce que pour moi la plus grande forme de liberté se retrouve
dans le jazz, bien qu'il ait aussi ses règles, comme la musique ancienne où en
effet il y a une certaine part d'improvisation de la part des interprètes qui
embellissent les thèmes. En fait, aux 16e et 17e siècles, il était entendu que
les interprètes allaient improviser leurs propres cadences durant une
représentation, cependant, et malheureusement, c'est un art qui s'est un peu
perdu. J'admire les gens qui peuvent improviser et je me sens bien limité en ce
domaine par ma formation classique ! Et ce que dit Daniel de la relation
intimiste entre les interprètes est aussi très important.
OJ : C'est un dialogue, une
conversation. C'est un merveilleux sentiment lorsque l'on peut communiquer de la
sorte avec d'autres musiciens. Je sais que si je jouais avec cinq
contrebassistes différents, ils me donneraient chacun quelque chose de différent
et ils m'amèneraient éventuellement à jouer des choses auxquelles je n'aurais
jamais pensé autrement.
DT : Il y avait un courant
philosophique pendant la Renaissance qui parlait de mettre la musique au centre,
entre le public et les interprètes, et si l'on pousse l'image plus loin, on peut
voir, à ce moment-là, la musique comme un prisme qui absorbe la lumière de tous
les côtés et la reflète en couleurs différentes. C'est un échange d'énergie et,
en un sens, une communion. C'est un véritable luxe, ce privilège de pouvoir
prendre part à ça régulièrement !
Le Festival de musique de chambre de Montréal se
tiendra du 4 au 26 juin. On remarquera parmi les invités la violoniste Lara
St-John et les Eroïca Trio, Tokyo String Quartet, Ranee Lee Quintet, Canadian
Brass, Ottawa Bach Choir, etc.
www.festivalmontreal.org --
514-489-3444
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