Connaître ses forces et ses faiblesses - Rencontre avec Jean-Philippe Collard Par Frédéric Trudel
/ 10 mai 2004
English Version...
Recherche et transcription: Frédéric Trudel,
recherchiste à la Chaîne culturelle de Radio-Canada
Du 30 mai au 2 juin 2004, à l'occasion de la 3e
édition du Concours Musical International de Montréal, le grand pianiste
français Jean-Philippe Collard sera l'invité de Françoise Davoine sur les ondes
de la Chaîne culturelle de Radio-Canada. Ensemble, ils commenteront les épreuves
de cet important concours consacré cette année au piano. En avant-première,
voici un entretien que Jean-Philippe Collard accordait l'an dernier à
l'animatrice de Radio-concerts.
JFC : Avant de monter sur scène, on ne
sait jamais ce qui va se passer, c'est l'un des grands miracles de la musique et
je puis vous dire que pour les musiciens, c'est aussi une grande peur. Il y a
des soirs où les ambiances sont telles que l'on doit quand même se méfier un peu
: on monte très haut finalement.
Pourquoi doit-on se méfier quand « on monte
très haut » ?
Parce qu'on ne sait jamais où on va aller, on ne
sait jamais si l'idée originelle du compositeur va être respectée. À cause de
tous ces petits paramètres qui viennent se mettre les uns au bout des autres :
la journée de préparation, l'acoustique de la salle, la qualité du piano, le
rapport avec le chef d'orchestre, le sourire des musiciens, et enfin l'arrivée
de cette masse de gens au concert. On prépare quelque chose avec une nouvelle
recette tous les soirs.
Mais c'est ce qui fait que c'est vivant
!
C'est ce qui fait que c'est vivant et c'est
également ce qui fait qu'on ne peut pas s'arrêter et se retourner en disant : «
Ah ! hier soir alors je crois que c'était bien ! » L'analyse qui suit le
concert, je crois qu'il faut la gommer. Porter un jugement sur quelque chose
qu'on a envoyé dans un lieu et à une telle altitude, je n'y crois pas. C'est
d'ailleurs la raison pour laquelle la fixation sur bande ou sur disque
représente un peu, pour moi, une agression.
Pourtant vous avez enregistré énormément de
disques, c'est un paradoxe, non ?
On ne pouvait pas passer à côté de cela, et je l'ai
fait, comme tout le monde. Le disque est encore un peu différent de la captation
radio. Dans la captation radio, il manque une pièce à l'échiquier, on ne peut
pas faire de confidences à des gens qui ne sont pas là. Le micro est là pour
vous prendre votre âme, vous la voler ! Les gens qui sont là, présents, on leur
donnerait tout mais les gens qui sont au travers de cette petite boule qu'on met
devant le piano, je ne sais pas où ils sont. J'aimerais tellement mieux qu'ils
soient autour du piano.
Mais ils ne peuvent pas tous être là.
Et pourtant ils sont bien présents à leur manière, n'est-ce pas
magique ?
Qu'ils profitent de ces instants mais qu'ils
sachent peut-être aussi que ce n'est pas tout à fait de cette manière qu'ils
auraient dû les ressentir, qu'ils sachent qu'il y a un rêve, une petite étoile
qu'il faut aller décrocher. Il faut venir au concert, c'est là qu'on trouve la
vraie réalité de la musique ! Elle est dans l'instant, dans la présence
physique. Pour faire ma musique à moi, j'ai besoin que des gens viennent là et
soient témoins de ce qui se passe.
Il y a un aspect de votre vie dont j'aimerais
parler, c'est ce qui vous est arrivé sur le plan physique et qui, je crois, a
changé un peu votre approche du piano...
C'est très simple, je suis gaucher, ou plus
exactement ambidextre, mais tout ce que je fais de puissant dans la vie
quotidienne est avec la main gauche. C'est une situation qui me convenait très
bien puisque quand on joue du piano, on demande à la main gauche d'être plus
puissante puisqu'elle assure l'architecture, alors qu'on demande à la main
droite de chanter et d'avoir un rôle beaucoup plus « caressant » si j'ose dire.
Donc moi j'avais une différence qui était assez marquée et par conséquent mon
épaule droite commençait à fléchir légèrement. Et un jour, lors d'une rencontre
avec Vladimir Horowitz, il m'avait dit : « Méfiez-vous parce que de temps en
temps, sous le prétexte que certains pianos ne sonnent pas très bien dans le
registre de la main droite, vous allez devoir forcer et on voit bien, avec la
situation de vos épaules, que votre main droite a du mal à passer dans certains
répertoires. »
Quelques semaines plus tard, j'ai joué dans des
conditions épouvantables lors d'un récital à Los Angeles. J'y ai joué la 2e
Sonate de Rachmaninov et j'ai dû vraiment demander à ma main droite de se
surpasser physiquement. Le lendemain matin, je ne pouvais plus bouger ma main :
il y avait de la tendinite dans l'air et il y avait aussi de la « dégénérescence
des ligaments croisés du poignet ». Je me suis inquiété, j'ai suivi une
rééducation et je suis rentré dans le milieu des pathologies dues à la pratique
d'un instrument de musique.
Phénomène dont on ne parle peut-être pas
assez souvent...
Oui, il y a une certaine pudeur qui s'installe
lorsqu'on aborde cette question. Mais il y a un réel danger, qu'on peut très
bien comprendre, parce qu'on est amené à répéter les mêmes gestes
quotidiennement et il arrive que cela résulte en ce que l'on appelle une
dystonie de fonction. La dystonie de fonction, c'est simplement que l'ordre que
vous donnez à vos muscles n'est pas toujours transmis par le cerveau. Ce dernier
ne saisissant plus très bien ce qu'on veut lui faire faire, le muscle s'en va un
peu dans tous les sens et prend de mauvaises habitudes qu'on ne peut plus lui
faire quitter. Cela aurait pu m'arriver si on ne m'avait pas mis en garde et si
je n'avais pas eu ce petit accident prémonitoire sous forme de tendinite. J'ai
suivi deux ans de rééducation, j'ai remis mon épaule droite à la hauteur de mon
épaule gauche et aujourd'hui tout va bien. Je m'intéresse beaucoup à ces
nouvelles formes de pathologies parce que j'en croise, hélas, beaucoup dans mon
travail.
Quel message passeriez-vous aux musiciens,
face à ce problème-là ?
Je crois que ce qui compte c'est d'être heureux
avec le son que l'on émet. Il ne faut pas surcharger, il y a un moment où la
mécanique ne peut pas aller plus loin. Il faut être prudent, de la même façon
que dans la vie courante on ne rentre pas chez soi en escaladant les murs, on
fait les choses en fonction de son souffle, de ses limites. Pourquoi faudrait-il
aller plus vite que la nature nous le permet ? Il est vrai que la vie de nos
jours ne nous prédispose pas à la sérénité. Raison de plus pour sonner l'alarme
et dire à tous ces jeunes qu'il ne faut pas dépasser les bornes.
Vivez au rythme d'un concours international
!
Le Concours Musical International de Montréal,
édition piano, bat son plein et Radio-Canada vous permet de ne rien manquer.
Toutes les épreuves de demi-finale sont diffusées sur le Web à
www.radio-canada.ca/cmim, les 26, 27 et 28 mai en direct du Centre
Pierre-Péladeau à Montréal. Deux émissions spéciales présentant les meilleurs
moments de cette demi-finale seront diffusées à la Chaîne culturelle de
Radio-Canada, le 30 mai de 10 h à 12 h et de 14 h à 17 h. Faites vos choix parmi
les neuf finalistes durant les trois soirs de la finale diffusés sur les ondes
de la Chaîne culturelle en direct de la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des
Arts les 31 mai, 1er et 2 juin à compter de 19 h 30. Soyez des nôtres
!
- Animation : Françoise Davoine
- Commentateur : Jean-Philippe Collard
- Réalisation : Claire Bourque, Diane
Maheux
- Réalisation-coordination : Odile
Magnan
English Version... |