Les 35 ans de l'étiquette ECM, Le plus beau son après le silence Par Marc Chénard
/ 10 mai 2004
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Fièrement affichée par les disques ECM depuis plus
de 30 ans, « The Next Best Sound to Silence » est une devise qui cerne à
merveille l'esthétique musicale embrassée par cette maison de production
phonographique hors-pair depuis ses tous débuts. Chose intéressante, cette
heureuse tournure vient de la plume perspicace d'un rédacteur du magazine de
jazz canadien Coda en 1971, deux ans à peine après la création de cette
entreprise munichoise.
Maître d'œuvre de ces « Editions of Contemporary
Music », Manfred Eicher jouissait autant d'une formation de contrebassiste
classique que d'une expérience dans les cercles de la nouvelle musique
européenne et de son principal tributaire, le Free Jazz. À l'encontre de la
majorité des producteurs de disques, le nouveau venu n'était donc pas un simple
amateur averti, mais bien un musicien avec une connaissance intime de l'art qui
l'intéressait..
Sur le tôt, ECM s'est distinguée par une esthétique
sonore « propre » (dans tous les sens du mot) et, en moins de cinq ans, cette
esthétique est devenue un style à part entière, même repris par des imitateurs
(étiquettes, artistes), presque tous aussi fades les uns que les autres. Qui ne
connaît pas de nos jours ses prises sonores typiques, appuyées d'effets
réverbérants au mixage ? Qui n'a pas entendu à quelque moment l'une ou l'autre
des critiques adressées à l'égard du producteur, celles-ci ayant sans doute
justifié son refus d'acquiescer à des demandes d'entrevues des médias (celui-ci
compris) ?
Un affaire de son d'abord
Pourtant, son pari artistique, si on le définit
ainsi, se comprend à la lumière de son instrument, la contrebasse, appréciée si
justement pour sa sonorité ample et résonnante*. Par ailleurs, il faut bien
souligner une autre donnée importante, la formation de musicien classique du
producteur, car cela lui a permis de cultiver une autre forme d'écoute que celle
privilégiée dans le domaine populaire, jazz inclus. Puisque tout l'édifice pop
repose sur une pulsation régulière et explicite, cela dicte une écoute guidée
non pas par l'harmonie, ce qui est le cas de la musique classique de tradition
occidentale, mais bien par le rythme.
En embrassant du regard l'impressionnant catalogue
de plus de 900 titres ECM -- ce qui s'avère un réel exploit pour une entreprise
farouchement indépendante mais liée tout de même à la multinationale Universal
pour sa distribution -- cette double dimension de l'instrument et de la
formation musicale du producteur sont à la base même de l'esthétique de
l'étiquette. Pour s'en rendre compte, il suffit d'écouter la guitare de Terje
Rypdal et ses plages sonores éthérées défiant la temporalité, le saxo soprano de
Jan Garbarek flottant dans les nues, voire la guitare aérienne d'un Pat Metheny
faisant ses premières armes au cours des années 70. Et n'oublions pas la « New
Series », dévolue uniquement à la musique « classique », et inaugurée par Eicher
en 1984 avec le « Tabula Rasa » de Arvo Pärt.
Avant la venue de cette étiquette, la documentation
du jazz était essentiellement une affaire américaine et même si des maisons
européennes existaient déjà avant cette date (on pense ici à MPS en Allemagne),
le vieux continent était toujours dépendant des derniers arrivages américains.
Toutefois, le déferlement du free jazz en Europe eut des conséquences certaines
et ECM naquit dans la mouvance de nouvelles étiquettes continentales. Aux
Pays-Bas, le collectif ICP faisait déjà ses premières armes, en Angleterre Derek
Bailey et Evan Parker proposaient sur leur étiquette, Incus, une musique
improvisée affranchie de ses sources américaines, comme chez FMP à Berlin (Free
Music Productions), née elle-aussi en 1969.
Pourtant, Manfred Eicher avait choisi un créneau
différent des autres et il s'était démarqué assez rapidement des démarches plus
radicales préconisées par les étiquettes indépendantes sus-dites. Certes, il a
côtoyé le free européen à ses débuts (Marion Brown, Derek Bailey et le Music
Improvisation Company dès les premières parutions), mais en revanche le très
épuré « Crystal Silence » de Gary Burton et de Chick Corea, deux disques pour
piano solo de ce dernier et, son plus grand coup de tous, Keith Jarrett et ses
grands flots pianistiques. Qui douterait du fait que Jarrett doit autant de son
succès à son producteur que celui-ci doit à son artiste emblématique ?
Enregistrant exclusivement pour cette compagnie depuis les 25 dernières années,
le trio unissant Jarrett à ses seuls accompagnateurs Gary Peacock et Jack
DeJohnette est la plus puissante locomotive pour l'étiquette, et de loin, il va
sans dire.
Une question de look aussi
Par delà les choix esthétiques et l'empreinte
sonore qui en découle, un autre facteur important s'ajoute, soit l'identité
visuelle. Comme certains illustres prédécesseurs, (Blue Note étant le cas
patent), Eicher a compris que le disque n'est pas seulement un objet à écouter
mais aussi à regarder. Pour ce volet, il s'en est remis à sa graphiste Barbara
Wojirsch (désormais à la retraite). Fait à noter aussi, ECM est la première
étiquette à avoir mis au ban la traditionnelle et obligatoire photo de l'artiste
en couverture, éliminant même les notes à l'endos de la pochette des anciens
vinyles. À leur place, on affichait des sobres photos de lieux souvent déserts,
des lettrages sans fioritures, le tout suggérant un certain mystère et, par
conséquent, une certaine incitation à la découverte pour le consommateur. Cette
stratégie, inédite jusqu'alors en jazz, cadrait à merveille avec les
dispositions d'un public bien moins cantonné dans les valeurs sûres et certes
plus curieux d'esprit que celui d'aujourd'hui.
En dépit des nombreux honneurs qui lui ont été
accordés (dont un Grammy comme producteur), Manfred Eicher n'affiche pas de
prétention, aux dires des artistes qu'il dessert, et se montre à tous points de
vue discret sur la place publique, trait qu'il partage avec la majorité des
producteurs de disques. Toujours présent en studio, il n'hésite pas à
intervenir, proposant parfois des solutions de rechange. Sa vie privée, on la
respecte donc, mais son œuvre, elle, est au vu de tous et demeure l'une des plus
considérables sommes musicales de la fin du dernier millénaire et, sans doute,
pour quelque temps encore.
www.ecmrecords.com
*À ce sujet, on ne peut passer sous silence
l'importante contribution des ingénieurs de son, tout spécialementle Norvégien Jan-Erik Konsghaug, mais aussi Martin
Wieland et Hans Albrecht pour les plus vieux enregistrements ou, plus récemment,
Joel Farber à New York.
JAZZ PLUS Spectacles et événements à surveiller pour le
mois
Special events to watch for in
May
Code des styles / Style
Key
- 4 (21 h) Alex Côté / Normand
Guilbeault / Claude Lavergne – Va-et-Vient, 3706 Notre-Dame O.
A
- 4 Mile End Jazz Quartet (jam sessions
tous les jeudis) – Escogriffe, 4467 St-Denis A
- 8 (22 h) Follow Follow (Musique de
Fela Kuti pour quintette de jazz) – Escogriffe
- 18 (22 h) Michel Morissette Quintet –
Escogriffe A/E
- 21 (22 h) Hommage à Django Reinhardt –
Escogriffe A
- 21 (21 h) Antoine Berthiaume / Michel
Donato / Pierre Tanguay – Va-et-Vient A
- 20–24 Festival international de
musique actuelle de Victoriaville (Voir article, p. 34)
Ac
- 26–30 (9 h 15 à 11 h 15 et 13 h 30 à
17 h 15) Perspectives sur l'improvisation (Colloque et concerts) Ac
Événement organisé par le Projet sur l'improvisation, Université McGill ;
Colloque : du 28 au 30 au 3475, rue Peel
- 26 (19 h) Lori Freedman, Pauline
Oliveros, Diane Labrosse, Dana Reason et Matana Roberts (incluant une
table-ronde portant sur la place des femmes en musique impro.) – Sala Rossa,
4848 boul. St-Laurent
- 27 (21 h) Trio Undersound – J. Heward,
Dominic Duval, Joe McPhee + invités) – Sala Rossa
- 28 (19 h 30) Collectif d'improvisation
des invités – Sala Rossa
- 29 (21 h) Concert (Jean Derome, Lori
Freedman, Malcolm Goldstein, George Lewis) – El Salon, 4388
St-Laurent
- 30 (21 h) Performance musique et danse
– avec Malcolm Goldstein ; Programmation détaillée à www.mcgill.ca/improv (voir
26–30) ; Renseignements et inscription au colloque : improv@mcgill.ca / 514
398-6060
- 4 juin (21 h 30) Hommage à Lee Konitz
et Warne Marsh – Va-et-Vient A
Tous les
concerts sont sujets à changement sans préavis.
Pour des informations hebdomadaires détaillées
(incluant l'abonnement à une liste d'envoi par courriel), prière de consulter le
site suivant :
Schedules may be subject to change without prior
notice. For update information on a weekly basis, including registration to a
free e-mail list, please consult the following web site:
sortiesjazznights.com
Au petit écran / On the
tube
« Solos »: Global TV Mardi /Tuesday 20 h
30
- 4 : Le pianiste Jacky
Terrasson
- 11: Le guitariste Kevin
Breit
- 18 : Le pianiste Michael
Keshammer
- 25 : Le saxophoniste Phil
Dwyer
- 1er juin : Le pianiste Brad
Mehldau
Vous avez
un spectacle ou un événement jazz à annoncer ?
Know of a jazz event happening
soon?jazz@scena.org
Tous les commentaires, suggestions ou autres sont aussi les
bienvenus.
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are welcome.
TOMBÉE / DEADLINE : le 15 du
mois précédent la publication / 15th of month prior
publication
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