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La Scena Musicale - Vol. 9, No. 7

Éloge du présent - Le NEM a 15 ans

Par Réjean Beaucage / 26 avril 2004

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J'ai rencontré Lorraine Vaillancourt tout juste avant son départ pour l'Europe, où elle a dirigé en mars dernier l'Ensemble Orchestral Contemporain (EOC) de Lyon dans le cadre de la biennale Musiques en scène, présentée par le Grame, Centre national de création musicale. Un autre voyage en Europe pour la directrice artistique du Nouvel Ensemble Moderne (NEM), mais cette fois sans l'ensemble qu'elle a fondé en 1989 et qui a acquis depuis de bon droit une réputation internationale enviable.

Avec une quinzaine d'enregistrements à son actif, qui constituent l'une des meilleures défenses des musiques d'aujourd'hui, le Nouvel Ensemble Moderne (NEM) célèbre son 15e anniversaire sans trop se retourner, préférant continuer à tracer, Lorraine Vaillancourt en tête, des chemins par lesquels nous finirons tous par passer.

LSM : Vous auriez pu choisir « des classiques » du NEM pour le programme d'un tel concert d'anniversaire, mais vous avez préféré présenter au public montréalais quatre nouvelles œuvres.

Lorraine Vaillancourt : Il faut dire que je ne suis pas très portée sur la célébration des anniversaires. Cependant, il faut quand même voir que les œuvres d'Aperghis et de Betsy Jolas sont des reprises et que l'on peut considérer ces compositeurs comme classiques. De plus, Luis de Pablo peut très certainement aussi être considéré comme un classique du xxe siècle, même s'il est moins connu ici. Oui, nous aurions pu choisir dans nos cartons, mais c'est un exercice que nous faisons maintenant chaque année pour le concert de la rentrée. Je dois aussi mentionner qu'il y a eu des changements de musiciens au NEM au cours des cinq dernières années. Plus de la moitié sont avec l'ensemble depuis le début, mais tous les musiciens n'ont pas à leur répertoire personnel les œuvres qu'a interprétées le NEM durant son histoire. Ce ne serait donc pas plus simple de reprendre les pièces de notre répertoire. De plus, plusieurs des œuvres qui ont été de grands moments de l'histoire de la musique et qui font partie du grand répertoire exigent des instrumentations un peu en dehors de nos capacités habituelles. Lorsque nous les jouons, c'est dans un contexte particulier et nous avons recours à des musiciens surnuméraires. Ce n'est donc pas toujours aussi simple de reprendre notre répertoire.

Il va de soi que nous nous devions offrir au public montréalais les deux œuvres que nous avons créées l'année derrière en France. Comme nous commandons toujours une œuvre à un compositeur d'ici pour notre Grand concert annuel et que l'œuvre commandée à Luis de Pablo s'inscrit dans notre thématique annuelle, nous avions donc un programme complet, qui s'est en quelque sorte composé tout seul.

C'est au mois de juin que nous célèbrerons particulièrement notre 15e anniversaire, au travers d'un événement spécial qui nous sortira de nos sentiers habituels et démontrera la polyvalence, l'ouverture d'esprit et la générosité des musiciens du NEM. Il s'agira d'un programme placé en quelque sorte dans la lignée de ce que nous avons fait avec le Refus global il y a quelques années. En acceptant de s'attaquer une création un peu plus théâtrale, sans être véritablement du théâtre musical, les musiciens consentent aussi à être plus fragiles. Un musiciens en pleine possession de ses capacités de musicien doit faire preuve d'une bonne dose de générosité pour faire ça. Il s'agit en fait de joindre l'utile à l'agréable et d'inviter le public à célébrer avec nous au travers d'un événement très ludique.

On a pour l'instant encore peu de détails sur ce que nous concocte le compositeur Michel Smith, mais ceux qui le connaissent savent qu'il y a toujours des surprises avec lui ! Il a d'abord rencontré individuellement tous les musiciens de l'ensemble et leur a fait remplir un questionnaire, comme s'il cherchait à percer leurs secrets. On peut certainement dire qu'il travaille expressément pour chacun des musiciens ; il a rencontré les musiciens à son studio, où il a réalisé quelques enregistrements. Avec toute cette matière, il a actuellement trop d'idées ! Il doit donc limiter son scénario. Nous avons déjà commencé à travailler certaines séquences. Ça tourne beaucoup autour du piano, qui prend tout de même de la place sur une scène. Les autres instrumentistes peuvent marcher, aller et venir avec leur instrument. Quoi qu'il en soit, le piano, dans cette pièce-là, circule également, tout comme les pianistes... Il s'agit néanmoins d'une œuvre essentiellement musicale, Michel Smith ayant comme première préoccupation le son, la musique. Il veut faire jouer le NEM par des interactions collectives, des improvisations, des solos et des clins d'œil au caractère particulier de chaque musicien. Bref, nous sommes encore en pleine découverte de ce qu'il nous réserve.

Note aux lecteurs : NEM it, de Michel Smith avec une mise en scène de Diane Dubeau, sera présenté les 10 et 11 juin à 20 h à l'Espace Go, Montréal.

LSM : Ces 15 années du NEM se sont-elles déroulées comme vous l'auriez cru ou comme vous pouviez l'espérer ?

L.V. : Oh non ! je n'aurais jamais pu imaginer tout ça ! C'est ce qui est extraordinaire. Quand on décide de se lancer dans une passion, elle vous emporte souvent ailleurs, beaucoup plus loin qu'on ne l'aurait pensé. En fondant le NEM, mon véritable but était de faire le premier concert et de démontrer qu'en prenant le temps et en travaillant avec des gens vraiment motivés, on obtenait des résultats. Il fallait d'abord convaincre les musiciens, le premier public. De toute évidence, ils ont été assez convaincus puisqu'il y en a qui sont encore là après 15 ans. Je ne pensais pas que l'on ferait autant de créations, puisque l'un des buts était précisément de jouer les classiques, de créer un répertoire pour le public. C'est difficile en musique contemporaine, parce que le public a l'habitude de se faire présenter presque toujours de la nouveauté. Nous continuons cependant à construire un répertoire, avec une série comme MusMix, notamment, dont l'objectif est de reprendre des œuvres de musique mixte existantes que l'on n'entend pas, pour des raisons techniques, entre autres. Ça permet aux compositeurs de rentabiliser un peu leur travail. Même avec MusMix, nous avons trouvé le moyen de faire des créations, grâce à une collaboration avec le Centre de création musicale Iannis Xenakis, de Paris.

L'aventure a pris une tournure un peu différente de celle que j'avais prévue. Le NEM est devenu un instrument sophistiqué au service des jeunes compositeurs et nous faisons beaucoup de travail auprès de la relève, que ce soit au Domaine Forget, où l'ensemble est en résidence durant les Journées de musique nouvelle, ou à la Fondation Royaumont, près de Paris, à laquelle nous sommes associés. En fait, c'est notre Forum international des jeunes compositeurs, inauguré en 1991, qui a généré tout ça. Cet événement a grandement contribué à la réputation de l'ensemble. Pour nous, le volet pédagogique, tant auprès des jeunes compositeurs que des jeunes interprètes, est devenu très important. Ce sont souvent les jeunes interprètes qui résistent le plus à la musique contemporaine, parce qu'ils fréquentent tous les mêmes institutions, où ils reçoivent un enseignement traditionnel. Les ornières qu'on leur a installées sont dures à faire tomber !

LSM : Peut-on éviter l'enseignement traditionnel de la musique lorsque l'on veut devenir interprète ?

L.V. : J'aimerais bien. Je pense que les différentes périodes de l'histoire de la musique pourraient au moins être présentées en parallèle. Ce n'est pas tant la formation technique qui pose problème, mais le fait de croire que l'apprentissage doit systématiquement suivre la chronologique historique. Au bout, on n'a jamais le temps d'arriver à aujourd'hui ! Le xxe siècle, maintenant derrière nous, fait partie de l'histoire... mais pas dans les écoles. On perd du temps alors que l'on pourrait très bien travailler simultanément la musique sérielle et celle de Bach. Cette mentalité est extrêmement difficile à changer, d'autant plus que nos grandes institutions musicales perpétuent l'éternel même répertoire, en général. C'est aussi ce que l'on apprend aux musiciens et lorsqu'ils se retrouvent devant une musique différente, ils sont souvent assez malheureux... De plus, lorsque, rarement, ça arrive, on ne leur donne pas beaucoup de temps pour répéter... Il y a une sorte de cercle vicieux. C'est pareil dans les grands concours internationaux. On a un grand concours international à Montréal, grandement publicisé avec retransmission à la télé et tout et tout. Écoutez les finales et vous entendrez Tchaïkovski, Tchaïkovski, Sibelius et Sibelius... Ça ne me semble pas normal. Tellement de grandes œuvres du xxe siècle pourraient être jouées ! Il y a généralement l'œuvre imposée commandée à un compositeur vivant, mais ça reste bien peu. Il y a du grand répertoire au xxe siècle, mais on ne le fait pas. Le public ne l'entend donc pas. Du côté du NEM, nous avons passablement traversé ce que nous pouvions interpréter avec notre instrumentation. Ces dernières années, nous nous rapprochons dans le temps et nous élargissons notre répertoire géographiquement.

On pourrait penser à une formation contemporaine, par opposition à la formation traditionnelle. Je pense à certaines écoles aux États-Unis, où l'on commence avec John Cage ! Pour ces élèves-là, Stravinski est évidemment déjà très classique ! L'année dernière, nous avons tenté l'expérience suivante : les enfants d'une école primaire nous ont écrit une œuvre. Cela a été extraordinaire. Je crois que des expériences comme celle-là contribuent à changer leur paysage sonore, même si c'est ponctuel. Ça éveille en eux l'idée qu'il y a d'autres formes de musique et ils n'écouteront plus de la même manière. C'est ça qui fait la différence, que les gens soient capables d'écouter autre chose que la mélodie... Il y a d'autres façons d'être ému par la musique. Il y a beaucoup de travail à faire, mais il faudrait au moins autant de budget du côté de la production que du côté pédagogique, parce que la culture sans l'éducation, ça ne tient pas la route très longtemps.

Le Grand Concert annuel

Le 21 avril à 20 h, à la salle Claude-Champagne de l'Université de Montréal, le NEM célébrera officiellement son 15e anniversaire (son premier concert a eu lieu le 3 mai 1989). La directrice artistique a mis au programme deux créations mondiales et deux créations nord-américaines : « Luis de Pablo a composé pour nous, en s'inspirant de toiles de Goya, une œuvre en cinq mouvements qui s'intitule Razón Dormida. Comme les autres œuvres de lui que nous avons interprétées en décembre 2003, il s'agit d'une musique extrêmement dynamique et volubile, d'une vitalité étonnante de la part d'un compositeur de 74 ans. Ça se prend comme un bonbon ! L'autre première, Les ruines du Paradis, est de Serge Provost. Il s'agit au contraire d'une œuvre toute en suspension. Là où de Pablo sollicite davantage les vents, particulièrement les bois, avec des solos et beaucoup de mouvement dans l'ensemble, la pièce de Serge est plutôt tramée, lente du début à la fin, avec des modulations intérieures.

Les deux autres œuvres sont des commandes de la violoncelliste Française Sonia Wieder-Atherton. Elle voulait créer une œuvre de Betsy Jolas depuis longtemps et la présenter avec le NEM, souhait qui a été réalisé le samedi 10 mai 2003 au festival " Les Musiques " de Marseille. Elle a aussi commandé une œuvre à Georges Aperghis. Celle-là, Le reste du temps, est écrite pour une dizaine de musiciens et deux solistes, au violoncelle, bien sûr, et au cymbalum, dont jouera Françoise Rivalland. Une musique furieuse, vraiment, très dure, tandis que celle de Betsy Jolas, Wanderlied, est très raffinée, subtile et très chantante. »

Il est à noter qu'en plus des deux interprètes européennes, les quatre compositeurs seront également sur place le soir du concert. Serge Provost présentera son œuvre en avant-première dans le cadre de la série des Rencontres du NEM, le samedi 17 avril à la Chapelle historique du Bon-Pasteur.

L'ensemble fera paraître dans les semaines à venir, sous étiquette ATMA, un nouvel enregistrement de musique d'ici. On y retrouvera des œuvres inscrites au répertoire de l'ensemble ces dernières années : Alap et Gat (1998) de José Evanglista, Vanitas (2003) de Jean Lesage, Travaux et jeux de gravité (1999) d'Isabelle Panneton et Lo que vendrá (2000) d'Inouk Demers. L'ensemble prévoit ensuite enregistrer un disque d'œuvres de Luis de Pablo. On leur souhaite de rester longtemps dans notre paysage !


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(c) La Scena Musicale 2002