Marc-André Hamelin - L'intégrale d'Iberia à Pro Musica Par Réjean Beaucage
/ 26 avril 2004
Le pianiste Marc-André Hamelin sera de
passage à Montréal en avril prochain, à l'invitation de la Société Pro Musica
qui, après avoir présenté au public montréalais le grand Leon Fleisher le mois
dernier, nous invite une fois de plus à un événement musical d'importance.
Le pianiste interprétera en effet l'intégrale d'Iberia, douze impressions
pour piano, d'Isaac Albéniz, une première à Montréal. Je l'ai joint chez
lui, à Philadelphie.
LSM : Vous interpréterez le 26 avril
une pièce rarement entendue en concert.
Marc-André Hamelin : En effet. Je me
suis lancé dans ce projet sans songer particulièrement à la rareté de la chose.
Il y a quand même une bonne douzaine d'enregistrements de l'œuvre, dont quatre
d'Alicia de Larrocha. Je l'ai présentée à New York en décembre dernier. On m'a
dit que ça ne se joue presque jamais intégralement en concert et que la dernière
interprétation dans cette ville était celle de Larrocha en
1991.
LSM : Et pourquoi avoir choisi cette
œuvre ?
MAH : Évidemment, la rareté d'une
œuvre n'a aucune importance. Ce qui compte, c'est la musique, que je trouve
extraordinaire dans ce cas-ci. Avec Goyescas de Granados, c'est vraiment
ce qui a été écrit de mieux en fait de musique espagnole pour le piano. Il
s'agit essentiellement de 12 impressions de la vie espagnole, inspirées par le
folklore. Ça regorge de beauté et d'exubérance, c'est débridé et
chaleureux.
LSM : Vous vous spécialisez un peu dans
l'interprétation d'œuvres peu jouées.
MAH : Oui, c'est vrai, quoique
partiellement. Les gens ont cette impression surtout à cause de mes
enregistrements. Si vous fréquentez mes récitals, vous savez que, d'une manière
générale, j'y interprète au moins pour moitié du répertoire assez connu. C'est
un peu pour que les œuvres moins connues passent mieux, et pour créer un
équilibre, parce que si on assiste à un récital complet d'œuvres peu ou pas
connues, on en sort souvent un peu éberlué...
LSM : Ça reste une façon un peu risquée
de faire les choses pour les enregistrements aussi.
MAH : Oui, mais justement, je fais
attention. J'essaie de ne choisir que de la très bonne musique, de la musique
dont je peux croire qu'elle a un avenir.
LSM : Comme le disque consacré à Leo
Ornstein (Hyperion CDA67320), qui a remporté un Prix International du disque au
Midem de Cannes en janvier dernier...
MAH : Oui, en effet. Ornstein devrait
être célébré davantage, mais voilà le problème : très peu de ses œuvres ont été
publiées. Cela a changé récemment et on peut même télécharger gratuitement
plusieurs de ses partitions aujourd'hui.
LSM : Il faudrait réussir à les jouer,
ensuite !
MAH : Oui. Bien que sa musique donne
l'impression d'être très difficile, elle est surtout extraordinairement
pianistique. Je ne dirais pas que ça se joue tout seul, mais ça tombe sous les
doigts.
LSM : Vous êtes par ailleurs
compositeur vous-même.
MAH : Oui, mais ça reste une activité
de second plan, derrière ma carrière de concertiste. J'aime écrire et je
continuerai à le faire, mais je ne pourrais pas me concentrer sur les deux
activités à part égale.
LSM :
Est-ce que ces deux activités se
nourrissent mutuellement ?
MAH : Énormément ! On prend davantage
conscience de ce qu'un compositeur a inscrit dans la partition lorsque l'on
compose soi-même. On se rend compte de la difficulté à cristalliser sa pensée, à
la traduire en notation musicale. Lorsque je note ma musique, j'ai toujours un
grand désir d'être bien compris, mais j'ai découvert que même en étant très
méticuleux dans ma notation, il m'est impossible de traduire parfaitement mes
intentions. De plus, l'interprète a toujours la possibilité d'ignorer ce que
vous avez écrit ! L'interprète idéal doit jouer exactement ce qui est écrit afin
d'en traduire l'esprit d'une façon personnelle...
LSM : Quels sont vos plans
d'enregistrement pour le moment ?
MAH : Il y a deux disques qui sont
déjà enregistrés, mais pas encore édités. L'un est consacré à la musique d'un
compositeur russe contemporain au milieu de la soixantaine du nom de Nikolai
Kapustin. Il écrit dans le style jazz, mais tout est conçu selon des formes
classiques. Dans le style d'un jazz écrit pour le concert, je ne connais rien de
mieux.
LSM : Ça fait penser au concerto de
Chtchédrine sur votre dernier disque.
MAH : À ceci près que Kapustin reste
toujours tonal. J'ai déjà enregistré une de ses pièces, la Toccatina,
opus 36, sur mon disque Kaléidoscope (Hyperion CDA67275). Ça peut en donner une
bonne idée. Quant au disque à venir, il est consacré à Schumann, avec
Carnaval, opus 9, Papillons, opus 2, et les Pièces de
Fantaisie, opus 12.
Sitôt le téléphone raccroché, Marc-André Hamelin
devait se préparer à sauter dans un avion en partance pour l'Europe, où il
donnera une série de récitals en Allemagne, en Autriche, en Hollande et en
Angleterre. Il enregistrera dans ce dernier pays un disque consacré à la musique
de Charles Ives et commencera l'enregistrement de l'œuvre d'Albéniz, qu'il nous
fera entendre à son retour.
Lundi 26 avril 2004, 20 h
Théâtre Maisonneuve, Place des Arts,
Montréal
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