L'année des clavecins Par Yves Beaupré / JEAN-SÉBASTIEN GASCON
/ 6 mars 2004
C'est devant tout le milieu québécois de
la musique de concert qu'Yves Beaupré, facteur de clavecins, est allé cueillir
le 25 janvier dernier le prix Opus Reconnaissance à un facteur
d'instruments. Le Conseil
québécois de la musique lui a remis ce Prix, accompagné d'une bourse de 5 000 $
offerte par la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC),
pour l'ensemble de son œuvre, qui compte plus de 100 instruments livrés au
Canada, aux États-Unis et en Europe.
Le facteur, complice du musicien
Cette distinction montre combien le travail des
luthiers, facteurs et autres artisans importe dans la démarche artistique des
musiciens. Cette importance peut difficilement être mieux démontrée que dans le
travail d'Yves Beaupré. Depuis 1982, il permet aux musiciens d'explorer le
répertoire baroque sur des instruments fidèles à leur époque de
référence.
Pour Yves Beaupré, « le Prix Opus apporte une
notoriété qui aide le travail mais elle met surtout en évidence le travail
accompli ». Les instruments qu'il fabrique ont déjà permis à des centaines de
musiciens de participer au renouveau de la musique baroque.
Un bon instrument fait toute la différence pour le
musicien. Le claveciniste Luc Beauséjour remportait trois Prix Opus en janvier
dernier : « En faisant des clavecins bien réglés, inspirants, dont l'univers
sonore permet de bien traduire la musique, le travail d'Yves Beaupré m'a
forcément aidé car l'instrument, qui est en fait la "voix" de l'interprète, est
un précieux allié lors du travail de répétition ou lors d'une prestation en
concert. » Bien qu'il n'enregistre pas exclusivement sur les clavecins Yves
Beaupré, Luc Beauséjour fait presque tous ses concerts avec ceux-ci. Il possède
personnellement un clavecin français à deux claviers fait en 1998, d'après
Hemsch et Blanchet (deux facteurs parisiens du milieu xviiie
siècle).
La démarche artistique de l'artisan
Depuis plus de 20 ans, les clavecins Yves Beaupré
ont acquis une réputation enviable grâce à leur excellente sonorité, leur
mécanique fiable, leur stabilité et leur apparence soignée. Comme beaucoup
d'autres artisans, Yves Beaupré a d'abord débuté comme musicien. Il a choisi le
clavecin pour le baccalauréat en interprétation à l'Université de Montréal, où
Réjean Poirier lui a enseigné. C'est par nécessité qu'il en est venu à fabriquer
son premier instrument à la fin du bac en 1977. Après l'étude approfondie des
principales collections d'instruments anciens (Paris, Anvers, Édimbourg,
Washington, etc.), Yves Beaupré a su s'inspirer des éléments les plus
convaincants et les plus représentatifs des grandes écoles de facture.
Tous ses
instruments sont fabriqués suivant les principes de la facture traditionnelle :
choix des matériaux,
mesures et
conception acoustique. Réjean Poirier, le doyen de la Faculté de musique de
l'Université de Montréal, connaît bien la démarche d'Yves Beaupré : « Les
anciens ont porté à un haut niveau de perfection la facture du clavecin. Les
facteurs d'aujourd'hui n'ont pas à réinventer le clavecin, mais ils n'ont pas
non plus à se limiter à faire des copies serviles. Un praticien chevronné comme
Yves Beaupré a développé une compréhension profonde de chaque type d'instrument.
Chaque fois qu'il reprend un plan, il modifie certains détails afin, par
exemple, de donner plus de stabilité, d'enrichir le timbre dans un certain
registre, mais tout cela sans jamais dénaturer le lien avec le modèle. » Danièle
Forget, sa complice dans le travail et dans la vie, décore avec goût et
maîtrise chaque instrument, selon l'esthétique qui leur convient.
Luc Beauséjour dit encore : « Ce sont de très bons
instruments, spécialement depuis une dizaine d'années. Ils ne sont pas toujours
puissants mais la qualité de leur timbre fait leur force. Les meilleurs
instruments de Beaupré sonnent particulièrement bien en enregistrement.
L'égalité du toucher dépend du grand talent qu'a Yves Beaupré à tailler avec
minutie les becs qui pincent les cordes. De plus, les instruments sont décorés
sobrement et avec goût. »
Réjean Poirier se souvient des crises d'orientation
de son élève : « Encore aujourd'hui, il ressent le besoin de toucher à autre
chose. Maintenant, c'est la composition électroacoustique ! Je dois admettre
que, là aussi, il fait de fort belles choses. »
Fasciné par le travail sur la sonorité, c'est tout
naturellement qu'il en est venu à enregistrer les bruits produits par son
travail en atelier pour ensuite se faire électroacousticien et produire un
disque très original intitulé Humeur de facteur (Empreintes Digitales,
IMED 0160)
Acquéreurs et utilisateurs
Les clavecins d'Yves Beaupré sont utilisés par
plusieurs musiciens reconnus en plus d'avoir été aquis par plusieurs universités
et orchestres canadiens. À Montréal et à Toronto, on peut penser à Christopher
Jackson, Paul Jenkins, Catherine Perrin, Rachel Taylor, Yves G. Préfontaine et
William Wright.
Vous pourrez voir et entendre un clavecin d'Yves
Beaupré lors du prochain concert de Luc Beauséjour le 7 mai prochain à Montréal
(renseignements : 514 748.8625 / www.clavecinenconcert.org). Vous pouvez aussi
visiter le site Internet d'Yves Beaupré www3.sympatico.ca/clavecin.
Photo 1 caption: Muselar Yves
Beaupré (2004) : l'opus 105 d'après Joannes Couchet, Anvers 1650
Photo 2 caption: Yves
Beaupré
Photo 3 caption: Luc Beauséjour a
remporté trois Prix Opus cette année : « Concert de l'année – Musique
médiévale, de la Renaissance et baroque »,
« Prix du public de la Chaîne culturelle de
Radio-Canada » et « Interprète de l'année
».
Photo 4 caption: Réjean
Poirier
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