Felicja Blumental Par PATRICK MATHIEU
/ 6 mars 2004
La jeune étiquette Brana nous fait parvenir cinq
disques consacrés à la pianiste Felicja Blumental : deux datent de 2002, alors
que les trois autres sont des éditions récentes.
Née en 1908 à Varsovie, Blumental émigre au Brésil
en 1942. À son retour en Europe, elle atteint le sommet de sa carrière en jouant
avec les plus grands orchestres et en se faisant remarquer par son intérêt pour
les compositeurs obscurs ou oubliés. Elle est décédée à Tel Aviv en 1991 et le
Musée des Beaux-Arts de cette ville lui a dédié son festival international de
musique.
La première pièce écoutée est, préférence
personnelle oblige, le Concerto pour piano no 9 en mi bémol
majeur, de Mozart. Bien que n'étant habituellement pas dérangé par la
qualité sonore des enregistrements, la médiocrité atteinte ici rend impossible
une juste perception de l'interprétation. Il se dégage une profonde impression
de guimauve fondue découlant en partie de la piètre qualité de l'enregistrement,
et en partie de la fâcheuse tendance du chef Leopold Hager à jouer la partition
à un niveau sonore unique : tutti fortissimo e sempre !
Si la pianiste s'en sort généralement mieux, sa
sonorité, pour ce que l'on peut en capter, est souvent hachée et agressive. Le
jeu reste sans grande nuance ni subtilité dans une musique qui en est pourtant
remplie. Une vision superficielle de Mozart que l'on traite en compositeur de
second ordre, comme on traiterait un... Clementi, par exemple.
C'est justement un concerto de Clementi qui
complète le disque. Pour cette pièce, l'interprétation correspond assez bien au
potentiel musical : des notes, des notes et des notes. L'œuvre présente un
intérêt historique, mais non musical. L'écoute en est donc conseillée uniquement
à ceux qui connaissent déjà tous les concertos de Mozart par cœur.
Un peu inquiet à la perspective d'écouter quatre
autres disques du même calibre, j'ai ensuite opté pour la « 1000e
version » disponible à ce jour du Concerto en fa mineur, op. 21, de
Chopin. J'ai eu un choc !
Pas tout à fait le feu d'Argerich, ni non plus la
grandeur de Rubinstein, mais quand même une personnalité ! Un dynamisme, un sens
rythmique, un souffle, une technique impeccable, le tout soutenu par le chef
Robert Wagner qui tire le maximum de la très faible partie d'orchestre.
Les quatre Scherzos sont du même ordre, avec
quelques étrangetés parfois, notamment le caractère sec et aride donné au
deuxième. La seule faiblesse notée provient de certains passages où l'on perd un
peu la direction, comme si la pianiste ne parvenait pas à donner tout son sens à
chacune des notes. En contrepartie, les pages de la première section du
quatrième Scherzo, le plus excentrique et le plus personnel de la série,
sont véritablement fabuleuses.
C'est donc l'espoir au cœur, mais craignant une
vive déception, que j'ai attaqué le disque incluant le Premier Concerto
pour piano de Beethoven. Nouveau choc !
Le tandem Blumental-Wagner s'élève jusqu'au
sublime. Les deux musiciens s'entendent décidément à merveille et produisent un
modèle de collaboration orchestre-soliste. Les interprètes possèdent une vision
si unie de l'œuvre que l'on a presque l'impression d'écouter de la musique de
chambre. La grande qualité des détails, notamment les superbes transitions entre
les plans orchestraux et les parties de la soliste, démontrent une compréhension
profonde de la pièce et une écoute complice. Une excellente version, un pur
délice.
Un mot sur la seconde pièce du disque, le
Concerto pour piano de Hoffmeister. Premièrement, qui est-ce ? Si mon
manque total de mémoire pour les noms me donne l'impression que tous les
personnages de troisième importance de la musique allemande s'appellent
Hoffmeister, le livret du disque m'indique qu'il a été compositeur et aussi l'un
des éditeurs de Beethoven. La pièce rappelle le premier disque écouté : la
surface de Mozart et le « génie » de Clementi... On se souviendra donc de
Hoffmeister en tant qu'éditeur de Beethoven. À vrai dire, cela importe peu, car
la qualité du Beethoven est tellement grande que je recommanderais l'achat de ce
disque même si on avait mis de la musique country en complément.
Le second disque de Beethoven (édité en 2002) est
beaucoup moins intéressant. La transcription pour piano du Concerto pour
violon a été réalisée par Beethoven pour des raisons purement mercantiles.
Je ne vois aucune raison de perdre du temps à l'écouter quand on peut
trouver
Anne-Sophie Mutter dans la version originale. Les
deux autres pièces présentent un intérêt musicologique : un rondo transcrit et
arrangé par Czerny et un fragment de jeunesse dont l'attribution est
douteuse.
Le second album datant de 2002 est consacré à
Villa-Lobos et comprend le Cinquième Concerto pour piano, dont Blumental
est la dédicataire, les Bacchianas Brasileiras no 3 et des
insignifiances. Sous la baguette du compositeur, le Concerto est assez
intéressant, comme le sont aussi les Bacchianas Brasileiras, où le jeu
impeccable de Blumental souligne le beau lyrisme du deuxième mouvement. De la
musique séduisante et agréable, sans plus.
Un élément à souligner sur la présentation des
disques : la volonté de créer de beaux objets par l'utilisation de toiles
originales en couverture (ici des œuvres de Markus Mizne, le mari de Blumental).
J'adresserais cependant moins de louanges à la qualité des textes, qui lassent
rapidement à force de rechercher le spectaculaire.
|